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14 septembre 2007 5 14 /09 /septembre /2007 05:56
Le dialogue interreligieux institutionnalisé est un phénomène nouveau et l’Église catholique est actuellement la seule à posséder une doctrine élaborée à travers un ensemble de documents qui permettent de le présenter de manière assez précise en évitant le « choc des civilisations » au nom de la religion, sans pour autant renoncer à la mission d’évangélisation. C’est ce thème qui sera développé maintenant.
Le dialogue et la mission ont des rapports variés qui selon les interprétations peuvent être complémentaires ou contraires, voire contradictoires. Vatican II a insisté sur la nécessité du dialogue sans diminuer l’importance de la proclamation de la foi, il a même considéré le dialogue comme une des voies privilégiées de l’annonce évangélique.
En entrant dans le troisième millénaire, Jean-Paul II annonçait que cette nouvelle période de l’histoire de l’Église serait caractérisée par l’évangélisation de l’Asie des grandes civilisations ce qui impliquait des approches spécifiques pour tenir compte non seulement des nouvelles mentalités liées à la modernité, mais aussi de la richesse de ces cultures où la religion occupe une place décisive.
Après avoir rappelé les principes, nous nous attacherons brièvement au dialogue avec le Judaïsme, puis avec l’Islam et enfin avec l’Asie des grandes cultures .

− Les principes

Dans sa première encyclique Paul VI déclara : L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation. Aussitôt il nota le risque encouru par l’Église dans ce dialogue : Comment doit-elle se prémunir contre le danger d’un relativisme qui entamerait sa fidélité au dogme et à la morale ? (...) L’art de l’apôtre est plein de risques. La préoccupation d’approcher nos frères ne doit pas se traduire par une atténuation, par une diminution de la vérité. Notre dialogue ne peut être une faiblesse vis-à-vis des engagements de notre foi. L’apostolat ne peut transiger et se transformer en compromis ambigu au sujet des principes de pensée et d’action qui doivent distinguer notre profession chrétienne. L’irénisme et le syncrétisme sont, au fond, des formes de scepticisme envers la force et le contenu de la Parole de Dieu que nous voulons prêcher. Il distinguait des cercles concentriques : d’abord tous les hommes, ensuite ceux qui croient en Dieu, puis les chrétiens et enfin les fidèles au sein de l’Église catholique elle-même. À tous, il proposait le respect, l’amitié et la charité dans l’exercice du dialogue.
Jean-Paul II, dans sa première encyclique intitulée Redemptor hominis (1979), commença par affirmer la priorité absolue du Christ dans l’annonce du mystère : Jésus Christ est le principe stable et le centre permanent de la mission que Dieu lui-même a confiée à l’homme et si cette mission semble rencontrer à notre époque des oppositions plus grandes qu’en n’importe quel autre temps, cela montre qu’elle est actuellement et – malgré les oppositions – plus attendue que jamais. Puis, avec l’encyclique Redemptoris Missio (1990), il indiqua les rapports entre le dialogue interreligieux et l’annonce missionnaire : Le dialogue interreligieux fait partie de la mission évangélisatrice de l’Église. Entendu comme méthode et comme moyen en vue d’une connaissance et d’un enrichissement réciproques, il ne s’oppose pas à la mission ad gentes, au contraire, il lui est spécialement lié et il en est une expression (…) Le Concile et les enseignements ultérieurs du magistère ont amplement souligné tout cela, maintenant toujours avec fermeté que le salut vient du Christ et que le dialogue ne dispense pas de l’évangélisation (…) il faut que ces deux éléments demeurent intimement liés et en même temps distincts, et c’est pourquoi on ne doit ni les confondre, ni les exploiter, ni les tenir pour équivalents comme s’ils étaient interchangeables (…) Le dialogue doit être conduit et mis en œuvre dans la conviction que l’Église est la voie ordinaire du salut et qu’elle seule possède la plénitude des moyens du salut (n.55).
Les formes de ce dialogue peuvent avoir des expressions multiples : depuis les échanges entre experts de traditions religieuses ou entre représentants officiels de celles-ci jusqu’à la collaboration pour le développement intégral et la sauvegarde des valeurs religieuses ; de la communication des expériences spirituelles respectives à ce qu’il est convenu d’appeler « le dialogue de vie », à travers lequel les croyants de diverses confessions témoignent les uns pour les autres, dans l’existence quotidienne, de leurs valeurs humaines et spirituelles et s’entraident à en vivre pour édifier une société plus juste et plus fraternelle.
Enfin dans Tertio Millenio adveniente préparant le jubilé de l’an 2000, Jean-Paul II écrit : Jésus Christ est le nouveau commencement de tout : en lui tout se retrouve, tout est accueilli et est rendu au Créateur de qui il a pris son origine. De cette façon, le Christ est la réalisation de l’aspiration de toutes les religions du monde et, par cela même, il en est l’aboutissement unique et définitif.
Ces affirmations du magistère ne laissent aucun doute sur la pensée de l’Église catholique à propos du dialogue et de sa compatibilité avec la mission.

− Positions théologiques

On verra maintenant comment se pose concrètement la rencontre du catholicisme avec les autres religions. Trois positions typiques sont possibles dans le dialogue interreligieux : l’exclusivisme, l’inclusivisme et le pluralisme. Dans le premier cas on exclut du salut ceux qui n’appartiennent pas à l’Église visible. Dans le second cas on admet que certaines voies non chrétiennes peuvent être invisiblement incluses dans le Christ et son Église dont le corps mystique s’étend bien au-delà de sa visibilité. Dans le troisième cas, le pluralisme, il y aurait des voies non chrétiennes, non ecclésiales, qui parallèlement à l’Église tiendraient lieu de médiations vers le Royaume.
L’exclusivisme qui fut longtemps cru et enseigné, n’est pas admissible aujourd’hui et cette prise de conscience théologique a connu au Concile Vatican II son expression classique.
L’inclusivisme est défendu par des théologiens comme Jean Daniélou, Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar, Charles Journet et, on le verra plus loin, par Joseph Ratzinger – alors président de la Congrégation pour la défense de la foi –, qui tous s’opposent au pluralisme.
En 1953, Jean Daniélou  faisait remarquer que la différence du Christianisme et des religions non chrétiennes est celle du héros et du saint. Le héros prend son destin en main, le saint s’appuie sur la force de Dieu. À la même époque le P. de Lubac écrivait de son côté : Les religions et les sagesses humaines ne sont pas comme autant de sentiers gravissant, par des versants divers, les pentes d’une montagne unique. On les comparerait plutôt, dans leurs idéaux respectifs, à autant de sommets distincts, séparés par des abîmes, et le pèlerin qui s’est égaré, hors de la seule direction, sur le plus haut sommet, risque de se trouver, de tous, le plus éloigné du but .
Urs von Balthasar va dans le même sens : Il ne faut donc absolument pas songer à une convergence et une harmonisation de l’histoire du monde et de l’histoire du royaume de Dieu. Il en va plutôt comme le dit la parabole : le bon grain et la mauvaise herbe croissent en même temps, parce que la responsabilité grandissante de l’homme historique et civilisé à l’égard de lui-même aussi bien que la responsabilité grandissante du croyant qui administre l’héritage du Christ, à l’égard de Dieu, conduisent à des décisions toujours plus radicales .
Enfin, Charles Journet dans L’Église du Verbe incarné  identifie Église et Royaume en ne voyant qu’une distinction conceptuelle entre, d’une part, l’Église et d’autre part, le corps du Christ ou le Royaume de Dieu . Cette Église connaît une loi progressive d’incarnation en vertu de laquelle elle apparaît d’autant plus visible, et par conséquent d’autant plus différenciée des formations temporelles ethniques et politiques, qu’elle est plus spirituelle . Et à propos du salut des non-chrétiens, il écrit : Là donc où les grâces du salut ne peuvent les rejoindre plénièrement par la prédication de l’évangile et la dispensation des sacrements, elles les atteindront néanmoins secrètement, utilisant pour les éclairer et les secourir les traditions valables, les données doctrinales et sociales authentiques des milieux où ils vivent contraignant finalement chacun d’eux dans l’intimité de son cœur à répondre ou par oui ou par non aux prévenances d’une lumière qui, sans qu’ils le sachent toujours, leur vient du Christ ; en sorte que ceux d’entre eux qui se font dociles à ces prévenances, sans cesser d’appartenir visiblement (corpore), à leurs propres formations religieuses, appartiennent déjà réellement et spirituellement (corde), – peut-être à leur insu – à l’Église même du Christ, d’une manière déjà salutaire bien qu’encore non plénière, non pleinement épanouie .
L’Église dans son mystère, est considérée ici comme indispensable, mais en distinguant l’Église en acte achevé et plénier et l’Église en acte encore inachevé et imparfait .
Les théologiens qui défendent le pluralisme religieux, comme Karl Rahner, Yves Congar, Edward Schillebeeckx, Hans Kung, Raimud Panikkar et Jacques Dupuis, opposent, plus ou moins radicalement, le christocentrisme à l’ecclésiocentrisme et procèdent par séparations : entre l’Église et le Royaume, entre le Logos et Jésus-Christ, entre l’Esprit Saint et l’Église, et reconnaissent aux religions non-chrétiennes un statut de médiatrices possibles vers le Royaume en parallèle avec l’Église.
Karl Rahner prit position dans un article célèbre sur le Christianisme et les religions non-chrétiennes (1961), il proposait la notion de « chrétien anonyme » en ces termes : Probablement, le fait que le chrétien considère comme fruit de son Christ et comme Christianisme anonyme, le salut et tout ce qui a été guéri et sanctifié dans tout homme et qu’il regarde le non-chrétien comme chrétien non encore venu, en réponse à lui-même, paraît présomptueux aux non-chrétiens. Or le chrétien ne peut renoncer à cette « présomption » .
Le « chrétien anonyme » accèderait au Royaume sans passer par l’Église. Plus récemment, Jacques Dupuis  a publié successivement trois ouvrages dont le second intitulé : Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux (1997) a fait l’objet d’une Notification de la Congrégation pour la doctrine de la foi, présidée alors par le cardinal Ratzinger qui avait publié entre temps la déclaration Dominus Jesus, sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus Christ et de l’Église (2000).
Dans son troisième ouvrage Jacques Dupuis propose une interprétation qu’il appelle pluralisme inclusif visant à montrer comment la foi et la doctrine chrétienne peuvent associer l’affirmation de foi en l’unicité de Jésus Christ comme Sauveur universel et la conception théologique d’un rôle et d’une signification positifs  des autres traditions religieuses selon le plan divin pour l’humanité .
Dans un long chapitre intitulé Le règne de Dieu, l’Église et les religions , l’auteur reconnaît que la constitution Lumen Gentium identifie le Royaume de Dieu et l’Église, mais il interprète l’encyclique de Jean-Paul II Redemptoris missio (No 15) comme le premier document officiel qui ferait une distinction entre le Règne et l’Église et il conclut : L’Église ne détient pas le monopole du Règne de Dieu (…) les membres des autres traditions religieuses participent réellement au Règne de Dieu présent dans l’histoire, et ces mêmes traditions peuvent contribuer à l’édification du Règne de Dieu non seulement parmi ses membres, mais dans le monde. Si l’Église est le « sacrement universel » du Règne de Dieu dans le monde, les autres traditions religieuses exercent, elles aussi, une certaine médiation sacramentelle, sans doute différente, mais non moins réelle, de ce Règne .
Rappelons que Lumen Gentium ne va pas dans ce sens et que Jean-Paul II dans Redemptoris missio déclare : On finit par marginaliser ou sous-estimer l’Église, par réaction à un « ecclésiocentrisme » supposé du passé (…) Or il ne s’agit pas là du Royaume de Dieu tel que nous le connaissons par la Révélation et que l’on ne peut séparer ni du Christ ni de l’Église (RM 17 et 18). Plus loin il ajoute : On ne peut disjoindre le Royaume et l’Église. Certes, l’Église n’est pas à elle-même sa propre fin, car elle est ordonnée au Royaume de Dieu dont elle est germe, signe et instrument. Mais alors qu’elle est distincte du Christ et du Royaume, l’Église est unie indissolublement à l’un et à l’autre (RM 18). Jacques Dupuis a pris ses distances, il est vrai, avec le pluralisme religieux au sens strict en se réclamant d’un pluralisme inclusiviste, mais cet inclusivisme qui sépare Église et Royaume fait justement problème.
Le cardinal Journet  a proposé dans son ecclésiologie une réponse que l’on pourrait qualifier de mystique ou de « mystérique » aux questions si actuelles que le grand expert jésuite aborde du point de vue de la praxis  dans le dialogue interreligieux. Cette priorité de la praxis le conduit à séparer l’Église et le Royaume malgré ce qu’en dit le Concile, dans Lumen Gentium, et Jean-Paul II dans Redemptoris missio.
Le cardinal Ratzinger  expliquait pourquoi il n’était pas d’accord avec la position de Rahner selon laquelle face à la question du salut, la différence des différentes religions paraît sans importance . Et sa critique du pluralisme de Jacques Dupuis se lit dans la Notification et dans la déclaration Dominus Jesus. L’inclusivisme, qui est critiqué parfois comme un impérialisme du Christianisme, peut au contraire être défendu au nom de l’unité de la nature humaine : L’inclusivisme, écrivait J. Ratzinger, appartient à l’essence de l’histoire des cultures et des religions du genre humain, qui n’est pas construit dans la forme d’un pluralisme strict. En revanche, le pluralisme, dans sa forme radicale, nie en définitive l’unité du genre humain et nie la dynamique de l’histoire qui est un processus d’union . L’approche inclusiviste, encore purement phénoménologique est transformée par l’avènement de la foi : La foi entre en scène avec l’affirmation selon laquelle, dans ce processus d’union, c’est la révélation faite dans le Christ qui est le point de référence véritable de l’unité de tout le genre humain, en effet elle ne vient pas d’une culture particulière, mais d’une intervention d’en haut .

Don Patrick de Laubier
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