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10 décembre 2008 3 10 /12 /décembre /2008 10:17
Dans son mémorable message sur la démocratie de Noël 1944, Pie XII évoqua les conditions d’une authentique démocratie : un peuple et non pas des masses ; des dirigeants compétents et soucieux du Bien commun ; enfin  le respect de la Loi naturelle.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale la démocratie avait connu et, connaît encore, des parodies totalitaires avec un trait commun : la négation de la religion. Un demi siècle plus tard  la situation a radicalement changé en ce sens que la religion est maintenant au cœur du débat démocratique et il importe de l’intégrer dans la vie politique en respectant sa spécificité. Pourquoi choisir l’exemple d’Israël ?Parce que Israël renferme, depuis sa création en 1948, tous les paramètres du fait religieux dans le débat démocratique : laïcisme, fondamentalisme, théocratie , messianisme (révélé ou sécularisé). Dès  l’ouvrage de Théodore Herzl : Judenstaat(1896),on ne savait pas  s’il fallait traduire :Etat juif – excluant les autres-ou Etat des Juifs , ouvert à d’autres.Ben Gourion qui était agnostique  opta pour l’ambiguïté et le nouvel Etat ne se donna pas de Constitution nous allons voir ce qu’il en résulta.

Première partie, les faits.
Rappel  historique
En 1947, la Grande Bretagne qui ne pouvait plus maintenir l’ordre en Palestine se tourna vers l’ONU dont la résolution 181 prévoyait deux Etats, un Etat juif sur 57% du territoire peuplé de 558 000 juifs et 405 000 arabes ; un Etat arabe sur 43% du territoire avec 1 million d’arabes et 100 000 juifs. Les jordaniens, les Egyptiens et les membres de la ligue arabe refusèrent la création d’un Etat palestinien prévu par l’ONU. Les jordaniens étendirent leur Royaume à la Cisjordanie et les égyptiens occupèrent la zone Gaza. Le 14 mai 1948  l’Etat proclamé unilatéralement avec Jérusalem ouest  comme capitale (1950) couvrit 78 % de la Palestine à la suite de combats (1949) contre les arabes dont 850 000 se réfugièrent en Cisjordanie, à Gaza ou dans des Etats voisins  comme le Liban. De 1948 à 1951 la population du nouvel Etat juif doubla tandis que les arabes d’Israël n’étaient plus que 160 000.Dans la déclaration de 1948  on se réclamait de la justice et de la paix telles que les envisageaient les prophètes d’Israël.
Ben Gourion, détaché de la foi religieuse pensait que la nationalité (ethnique) de style socialiste, remplacerait la solidarité proprement religieuse. Le messianisme biblique devint politique. Ben Gourion souhaitait le transfert des arabes. On se borna à imposer aux arabes d’Israël un gouvernement militaire de 1948 à1966 et l’Etat expropria les terres en ne laissant que 3,5 % aux anciens propriétaires. En 1967 Israël attaqué par ses voisins se défendit et triompha. L’occupation de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem Est s’en suivit. En 1964 Arafat  créa l’OLP se proposant la destruction d’Israël. Aujourd’hui un palestinien sur deux est réfugié et 3,7 millions  vivent dans les territoires occupés tandis que 3 ou 4 millions vivent en exil. L’occupation  pris un nouveau caractère en 1977 avec l’arrivée au pouvoir de la droite alliée aux religieux et se proposant d’étendre l’Etat juif à toute la Palestine. En 1987 Ière Intifada(soulèvement) pour s’opposer à l’occupation par l’armée des 22% du territoire  qui restaient aux palestiniens sans citoyenneté tandis qu’un demi million de palestiniens étaient réfugiés dans des camps sur leurs propres terres. L’assassinat en 1995 de Rabin  favorable à un dialogue avec les Palestiniens, par un juif et l’arrivée au pouvoir d’A Sharon en 2001 provoquèrent la seconde Intifada.
 L’évacuation de la bande de Gaza et la reconnaissance par Israël  de la nécessité d’un Etat palestinien tandis que le Quartet (Etats Unis, Russie, UE et l’ONU) présidé par Blair, offre ses services, constituent incontestablement des facteurs en faveur de la paix. Pourtant cette paix doit exister en premier lieu dans  les mentalités. Ce que  Jimmy Carter a dénoncé comme un apartheid doit être combattu non seulement sur le terrain mais aussi dans les cœurs.

Données démographiques
Dans la mesure où les critères sont ethniques le facteur démographique revêt une importance capitale. En 2007 la population d’Israël comptait 7 150 000 h dont 75% de juifs et 20 % d’arabes auxquels s’ajoutent des immigrants (310 000). Dans les territoires occupés  il y a (2008) 3, 76 millions  d’arabes .Soit un total de 10,9 millions pour l’ensemble de la Palestine dont 5,4 millions de juifs.  Le taux de croissance démographique   des  juifs d’Israël est de 2,6 par femme et celui des musulmans de 5,5.
En 2010 sur la population  totale en Palestine les juifs seront un peu  moins de la moitié, mais l’établissement d’un  Etat palestinien ramènerait la question au seul Etat d’Israël avec une majorité de juifs .La démographie n’étant pas une science exacte les projections pour 2050 : 23, millions au total  dont 8,8 juifs et 14,7 arabes n’ont qu’une signification imaginaire.

La loi et son application
L’Etat d’Israël n’a pas de constitution, mais des lois fondamentales. Les 12 articles de celle qui concerne la dignité humaine et la liberté adoptée le 17 mars 1992 ont été complétés  en 1994 par Y Rabin : Les droits de l’homme en Israël sont fondés sur la reconnaissance de la valeur de l’être humain, la sainteté de la vie humaine et le principe que toutes les personnes humaines sont libres.
Depuis 1996 le Premier ministre est élu directement par le peuple. On a parlé à propos d’Israël d’une démocratie ethnique car si la citoyenneté est accordée aussi bien aux arabes qu’aux juifs, la nationalité ou ethnicité introduit des différences devant la loi. La diaspora juive deux fois plus nombreuse que la population vivant en Israël dispose  virtuellement de la nationalité tandis que  les arabes nés en Palestine, soit 20 % de la population, jouissent de la citoyenneté mais  n’ont pas la nationalité. Il suffira d’indiquer que sur 1310 postes de hauts fonctionnaires  17 sont tenus par des arabes.

La religion en Israël
Théodore Herzl avait fait  le projet d’un Etat des juifs mais Ben Gourion a opté pour un Etat juif  sans préciser ce qu’il entendait par judaïté. Israël peut-il devenir un Etat théocratique à la manière des Etats islamiques qui adoptent la Charia ?
On peut distinguer  du point de vue religieux, quatre groupes : 1) les ultra orthodoxes (Haredim) avec environ 8% . 2) les sionistes religieux (Datiim) avec 17% ; 3) les juifs traditionnels (Masotiim) avec 55 % et  4) les laïcs (Hilonim)  avec 20%. Selon des sondages (1993) les 2/3 des israéliens croient en Dieu et  la moitié pensent qu’Israël est spécialement élu de Dieu. Environ 40% attendent le Messie  et 30% n’y croient pas. Ces chiffres approximatifs ne donnent qu’une idée  lointaine de la situation concrète, comme on le voit aussi avec les sondages  à propos des catholiques en France par exemple. Des évènements extérieurs peuvent modifier radicalement ces proportions. Ce qui est plus  sûr c’est la proportion des juifs orthodoxes ou même ultra orthodoxe qui ne reconnaissent pas l’Etat d’ Israël  et dont les nombreuses familles peuvent se comparer à celles des arabes.

Le terrorisme et les représailles
On peut parle d’état de guerre entre juifs et musulmans  des territoires occupés, mais tandis qu’avec Arafat la religion n’était qu’un prétexte au service d’une politique, avec le Hamas  c’est au nom du Coran que la lutte est proclamée et le martyre devient à la fois une arme de guerre et un fait de religion. Le terrorisme  qui prend des formes internes (Hamas contre Fatah) et surtout externes, contre les Israéliens, est devenu une  menace permanente qui amena Israël à construire un mur de séparation suivant plus ou moins la frontière de 1967.  Il faut ajouter que le phénomène des martyrs qui s’est répandu dans le monde musulman à l’échelle planétaire (Ben Laden) doit être distingué  des  formes purement politiques ou idéologiques du terrorisme (ETA, Brigades rouges, Baader, dissidences régionales  , luttes ethniques en Afrique).L’arme nucléaire que possède Israël , dont l’Irak fut soupçonné  et que l’Iran semble  vouloir se munir donne au terrorisme un visage vraiment apocalyptique.

La démocratie en question
La loi démocratique donne à la majorité le droit de décision et Tocqueville avait fait remarquer, en prenant l’exemple américain, qu’il pouvait y avoir une redoutable dictature de la majorité sur les minorités. Par ailleurs le dialogue interreligieux est encore très limité et la tolérance généralisée  reviendrait à faire de la sécularisation  ,voire de l’exclusion du religieux en tant que tel, l’avenir de l’humanité. Or si le XXe siècle a été caractérisé par des idéologies et des répressions anti religieuses, il n’en est plus de même aujourd’hui où la religion a repris une importance croissante dans la vie politique et sociale du monde. Les croyances religieuses ne sont pas décidées à la majorité et on sait que l’Eglise catholique n’a pas de forme démocratique. L’infaillibilité du pape est même un dogme depuis le Concile Vatican I.
Le judaïsme n’a pas de Magistère à proprement parler, c’est une religion d’un Livre, comme l’Islam qui s’en est inspiré. Les traditions et les interprètes  tiennent alors lieu d’autorité de référence avec des interférences du pouvoir politique. A l’origine de l’Islam ce sont de Califes militaires qui se sont vus confiés l’autorité en matière religieuse, du moins chez les Sunnites puisque les Chiites se réclament de la descendance du Prophète.
L’intervention d’organismes civils internationaux et pour commencer l’ONU est justifiée aujourd’hui au nom de la démocratie qu’il s’agirait d’étendre à tous les pays. Cependant on  ne peut demander  à l’ONU , qui a créé l’Etat d’Israël , d’intervenir au plan religieux  auprès des protagonistes au Moyen Orient qui  se réclament  de la religion.

Deuxième partie, les diagnostics


Voix juives
Avraham Burg ancien vice –président du Congrès juif mondial et ex-président de la Knesset a décrit la crise de confiance qui ronge Israël :
Certes, nous nous reposons beaucoup sur la venue du Messie et sur l’avènement d’un monde meilleur, nous sommes dans l’attente d’une rédemption qui changerait du tout au tout notre situation, mais nous ne pouvons occulter le pessimisme qui frappe le monde juif. Nous n’accordons notre confiance à personne. Ni à nos frères, ni à nos dirigeants, encore moins aux Goys ». Toute mort se transforme pour nous en assassinat, tout assassinat en pogrome et tout attentat en acte antisémite. Chaque nouvel ennemi est un Hitler en puissance, et chaque danger qui se profile une Shoah potentielle. Nous, avec bon nombre de nos dirigeants, croyons que le monde est dressé contre nous et veut nous anéantir. Nous croyons être perpétuellement entourés d’ennemis et de persécuteurs prêts à nous éliminer. C’est la raison pour laquelle nous tuons en premier. ..Nous aimons les ténèbres nous y sommes habitués depuis toujours. Car, virtuellement tout le monde veut nous anéantir. Nous n’avons aucune confiance dans le monde. Il faut mettre un terme à cette méfiance et la transformer en confiance.
Ecoutons maintenant Theo Klein ancien président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives en France) de 1983 à 1989.
Je propose donc que Jérusalem reste bien juive là où elle l’est et chrétienne et musulmane, mais qu’elle le soit de manière ouverte et non repliée sur elle-même ou sur la défensive, autour de ses murailles. Jérusalem, le symbole non pas de l’unité mais de la fraternité retrouvée. Et ailleurs aussi, il nous faudra savoir partager fraternellement partout en Palestine…Nous donnerons au monde une leçon de tolérance par une telle initiative israélo-palestinienne. La démocratie aidant, bien des choses  évolueront et elles changeront quand les Israéliens et les palestiniens  les feront ensemble évoluer…la confiance comporte des risques c’est vrai. Mais ces risques peuvent être calculés !La confiance permet d’ouvrir le débat, une négociation et même de placer l’adversaire devant des choix difficiles…la méfiance est le piège séculaire d’un peuple qui a pendant des lustres été toléré ou à peine, qui a beaucoup pâti du mépris que des religions dominantes lui ont manifesté, qui s’est construit sur la hantise d’une sécurité toujours aléatoire…Il n’y a que l’optimiste qui construit la vie. Le pessimiste  doute de tout, se méfie de tout, il a du mal à avancer.
 Enfin Michel Warschawski président du centre d’information alternative de Jérusalem :

En construisant ce mur, Israël fait le choix de son propre enfermement et construit un immense bunker, hyper armé et paranoïaque à l’extrême. Il n’est pas nécessaire d’expliquer en quoi le mur est une atteinte à la liberté des Palestiniens, en quoi il permet de renforcer qualitativement le processus de spoliation et de colonisation, et en quoi il foule aux pieds le droit à l’autodétermination d’une population. Il est important par contre de souligner ce qu’il a de pervers et de destructeur pour l’avenir de la communauté israélienne…il signifie en fait que les dirigeants israéliens  ont choisi de rejeter la main tendue par les Palestiniens et le monde arabe , préférant l’enfermement et l’appui militaire historiquement fragile, des Etats –Unis d’Amérique…Ironie de l’histoire, le sionisme , qui voulait faire tomber les murailles du ghetto, a créé le plus grand ghetto de l’histoire juive, un ghetto surarmé, capable  d’élargir en permanence  ses frontières, mais un ghetto quand même, replié sur lui-même et convaincu que hors de ses murailles règne la jungle un monde foncièrement et irrémédiablement antisémite qui n’a d’autre objectif que de détruire l’existence juive, au Moyen Orient et partout ailleurs.

Loi naturelle  comme fondement de la  démocratie selon Benoît XVI
L’organisation politique relève de la raison mais la vie politique doit tenir compte de la religion. Raison et religion doivent coopérer pour respecter les droits de l’homme qui s’appuient en dernière instance sur la loi naturelle. Citons Benoît XVI à ce propos
 La loi naturelle,   dit-il, est en définitive le seul rempart valide contre l’arbitraire du pouvoir ou des tromperies de la manipulation idéologique. La première préoccupation de tous – et particulièrement pour qui a la responsabilité publique, est donc d’aider au progrès de la conscience morale. Tel est le progrès fondamental et sans ce progrès, tous les autres progrès ne sont pas de vrais progrès. Dans le monde contemporain on assiste à une dérive relativiste qui blesse dramatiquement la société et c’est souvent la vie humaine elle-même qui paie le manque de respect de la loi morale naturelle, mais aussi la famille. Par ailleurs, le pape soulignait l’importance du dialogue entre science et foi, tout en se souvenant que tout ce qui est scientifiquement faisable n’est pas toujours forcément éthiquement licite. La tentation est d’oublier l’existence de Dieu, et de trahir la loi écrite dans le cœur de l’homme qui vient avant toute loi humaine, de tout savoir découvert par la science, et qui répond au premier et principe très général de faire le bien et éviter le mal . Au contraire, le respect de la vie, le droit à la liberté, l’exigence de justice, et de solidarité, qui jaillissent de ce principe sont souvent violés par des pouvoirs ou des manipulations idéologiques, fruit d’une vision de l’homme et du monde qui n’a pas de fondement dans un code éthique mais tend à idolâtrer le progrès. Reconnaissant le progrès scientifique, le pape disait cependant : Nous voyons tous les grands avantages de ce progrès, mais nous voyons toujours plus aussi les menaces d’une destruction du don de la nature par la force de notre action. Et il existe un autre danger, moins visible, mais non moins inquiétant : la méthode qui permet de connaître toujours plus les structures rationnelles de la matière nous rend toujours plus incapables de voir la source de cette rationalité, la Raison créatrice . D’où, l’urgence  de réfléchir sur le thème de la loi naturelle, source de normes, qui précèdent toute loi humaine, et qui n’admettent pas de dérogation .  Tel est le principe du respect de la vie humaine, de sa conception à son terme naturel, car ce bien de la vie n’est pas une propriété de l’homme mais un don gratuit de Dieu.  Tel est aussi le devoir de chercher la vérité, présupposé nécessaire de toute maturation authentique de la personne .La liberté est  une autre instance du sujet, en tenant compte du fait que la liberté humaine est toujours une liberté partagée avec les autres d’où l’attente de solidarité qui alimente en chacun – spécialement les défavorisés – l’espérance d’une aide de la part de qui a eu un sort meilleur, devoir loin de la réalité actuelle. Avec des  conditionnements imposés par un positivisme juridique dominant, où en somme les intérêts privés sont transformés en droits , alors que, au contraire, au fondement de tout ordonnancement juridique intérieur ou international se trouve justement la lex naturalis . Les applications concrètes de ces principes,  dans les questions concernant le respect de la famille en tant que communauté intime de vie et d’amour conjugal, donnée par le Créateur et donc un lien sacré qui ne dépend pas de la décision de l’homme , comme l’affirme Vatican II. Aucune loi faite par les hommes,  ne peut pour cela subvertir la norme écrite par le Créateur, sans que la société ne vienne à être dramatiquement blessée dans ce qui constitue son fondement. Oublier cela signifierait affaiblir la famille, pénaliser les enfants, et rendre précaire l’avenir de la société . Mais dans la société contemporaine, on a préféré cantonner la référence à la loi naturelle au domaine de la spéculation philosophique plutôt que d’en voir les retombées dans la vie sociale. Ce qui est faisable scientifiquement n’est pas également licite sur le plan éthique. Lorsque la technique réduit l’être humain à un objet d’expérience, elle finit par abandonner le sujet faible à la volonté du plus fort. Se confier aveuglément à la technique en tant que seule garante du progrès sans offrir en même temps un code éthique, qui plonge ses racines dans cette réalité, qui est étudiée et développée, équivaudrait à faire violence à la nature humaine avec des conséquences dévastatrices pour tous. Mais la loi naturelle reste imparfaite, et comme elle a besoin d’approfondissements, les scientifiques ont dans ce domaine un rôle décisif. Les scientifiques doivent aussi contribuer à aider à comprendre en profondeur notre responsabilité vis-à-vis de l’homme. Sur cette base, il est possible et il est nécessaire de développer un dialogue fécond entre croyants et non-croyants, entre théologiens, philosophes, juristes, scientifiques, qui peuvent fournir aussi aux législateurs un matériel précieux pour la vie personnelle et sociale .

L’analyse prophétique du cardinal Journet
A notre sens le meilleur jugement porté sur l’ Israël  contemporain est celui que le cardinal Charles Journet a porté dès 1944 dans Destinées d’Israël et qu’il a repris et développé  dans le tome III de L’Eglise du Verbe incarné  intitulé Essai de théologie de l’histoire du salut (DDB1969).
Israël reste ainsi un peuple messianique »-il faut mettre le mot entre guillemets-mais d’un messianisme désormais affolé, travaillé par une insoluble antinomie, et dont il semble incapable de prendre pleinement conscience. Tout vient de ce qu’étant un groupe ethnique particulier, un peuple particulier ,il veut usurper, les ayant fait tomber sur le plan des réalités de ce monde-il y insiste- les prérogatives du salut messianique, qui doit être par nature universel, catholique, supraculturel, et qui ne peut l’être que parce qu’il’ n’est pas un royaume de ce monde. Les religions nationales des gentils immergeaient dans le politique un divin  qui consentait à se morceler entre plusieurs cités : au nom du Dieu transcendant, le judaïsme veut conférer  à la destinée politique d’un peuple particulier le caractère d’une mission divine rigoureusement universelle : d’où les déclarations par les quelles Israël se sent et se prétend à la fois  particulier et  universel, d’où encore la possibilité pour Israël , à la différence du christianisme, de se présenter comme une religion armée. Israël enfonce  comme un coin entre le spirituel-chrétien et le temporel-chrétien. Le concept de peuple messianique, jadis authentique  pour désigner l’Israël en qui se préparait l’Eglise, se brise et se désagrège lors  de la promesse supra éthique, supra politique, supra culturelle. En continuant  à s’en prévaloir, en le portant au sein même de l’histoire profane, en apprenant aux hommes  à reverser sur le temporel un désir fait d’abord pour le Royaume de Dieu et sa justice-tout le reste devant venir par surcroît- en leur communiquant ses fièvres, Israël est à l’origine de ce que l’on appelle aujourd’hui  « messianisme », des concepts explosifs de peuple , de race de classe  « messianiques ». Les grands mouvements sociaux, politiques qui sous prétexte de la stimuler, détraquent la machine du monde, sont des altérations de l’annonce messianique judéo-chrétienne.
Poursuivant sa réflexion, Journet évoque la conversion au christianisme des juifs, prophétisée par St Paul, et voit  avec elle la possibilité d’un mouvement d’évangélisation de tous les peuples de la terre. Il pense qu’elle pourrait avoir lieu  avant la grande apostasie   dont parle St Paul et le retour du Christ lors de la Parousie. Il rejoint ainsi la mémorable homélie de Noël 1975 dans laquelle Paul VI annonçait la civilisation de l’amour devenue depuis lors l’idéal historique proposé par les papes  depuis  30 ans  en dépit des progrès foudroyants de la sécularisation dans les pays de tradition chrétienne.
Conclusion
Dans un ouvrage récent  intitulé : Israël, l’autre conflit  son auteur, Marius Schattner, évoque le retour du religieux dans le monde : le phénomène de « retour » à la foi n’a pas la même signification en Occident que dans un pays comme Israël, où  religion et Etat ne sont pas séparés. Encouragé par les représentants des partis religieux au pouvoir, ce mouvement bénéficie de subventions de l’Etat et s’insère dans un combat, lui éminemment politique, destiné à « préserver le caractère juif du pays » face aux menaces internes comme externes. Et il ajoute en comparant la religion en Israël et dans l’Islam : Dans les deux cas, mais bien plus dans l’Islam, la religion vient se substituer à des idéologies nationalistes  défaillantes.
Le XXe siècle  les idéologies  combattirent la religion, au XXIe elles s’efforcent d’utiliser la religion à des fins séculières . Aux Etats-Unis,  en Russie , en Israël , dans les pays qui reconnaissent la Sharia et  en Inde, la démocratie  doit compter avec cette confusion  du politique et du religieux que  la distinction évangélique entre Dieu et César peut seule  vraiment résoudre.

Patrick de Laubier
professeur honoraire de l’université de Genève ,  a été ordonné prêtre par Jean Paul II le 13 mai 2001,
ouvrages récents : La loi naturelle, le Politique et la religion Parole et silence 2004 ;  Phénoménologie de la religion DDB 2007.


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18 octobre 2007 4 18 /10 /octobre /2007 07:39
Lord Macaulay who had travelled across the length and breath of India as an administrator, observed in his address to the British Parliament on 2nd February 1835 that the backbone of India is her spiritual and cultural heritage.  This is true even today.  Every family has a special place or room for prayer in the house.  No village is without its temple or mosque or church depending on the kind of population.  Not a shop starts or closes work without adoring God.  No Indian starts writing without placing initially the symbol of God.  The Indian government declares around 20 days of national holidays for the religious festivals of the major religions:. Christians are honoured with national holidays on Christmas and Good Fridays, the Muslims get national holidays for Bak’s id Ramzan and Muharrum and the Hindus celebrate the birthdays of Rama and Krishna, the Deepavali etc.  People throng in millions to various religious shrines like Benares, Tirupathi, Palani, Nagore and Velankanni.  Children are taught to pray, the educational institutions start their classes daily with a prayer.  All meetings, conferences and seminars begin with an invocation to God even today. 
   
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Indians then are a very God fearing and deeply religious people.  However illiteracy has not been wiped out and the fundamentalist forces easily move the crowds to violence in the name of religion.

The country has been divided into high caste, low caste and untouchable groups for thousands of years.  After Independence, untouchability has been abolished by law though in certain areas it has still not disappeared:  people belonging to the untouchable group even today cannot enter the places of worship, eat and drink along with other castes, separate utensils; glasses are used to serve them…
The Government has several programmes for the upliftment of these hapless peoples.  They get scholarships for studies, reservation in jobs etc.  As the other caste people claim their share also, a quota system has been introduced: 18% for the former untouchables who are named Scheduled castes and Tribes, 27% for the lower castes and 55% for the rest.  Due to the advantages given, some groups of the high castes are demanding that they be considered as lower castes (Backward Classes) and given reservation for jobs and other benefits.  The priestly class known as Brahmins and the people of the high castes resent  the reservation policy as it cuts the monopoly they have   been enjoying in all walks of life.
 
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The Middle Ages in India saw a lot of invasions and wars and the society was weakened with the population striving for survival.  When the European merchants arrived in the sixteenth and seventeenth centuries, they could easily establish themselves and the British proving themselves to be more powerful than the other Europeans, over time, took control of the entire country and ruled over it for two hundred and fifty years.  The missionaries who came with the merchants had to cater initially to the high castes in their educational institutions and continue to tolerate the caste system lest they be treated as untouchables with all the new high caste converts.  The Jesuits tried a two tier system of missionaries, one serving the untouchables and the low castes and the other catering to the upper and Brahminical classes.  When the society of Jesus was suppressed in 1773 and the Foreign Mission Fathers of Paris took over the work, they gave up the two tier system and stopped the efforts at inculturation.  The Jesuits reentered after sixty years when the British Government had established itself in India.  Both the Foreign Mission Fathers and the Jesuits founded indigenous religious congregations, started seminaries, invited religious orders from Europe and started a member of educational and charitable institutions all over India.  However, till Independence, it was the Brahmins and the upper castes who benefited by the educational and other services offered by

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Christian institutions as well as those established and funded by the government.
They occupied all Government posts and consolidated their position. The missionaries expected Christian values to permeate in the hearts of the upper classes leading to the abolition of caste distinction. However, the cunning Brahmins and upper caste people foresaw the advent of an egalitarian society and got ready to perpetuate their hold on the population and the preservation of their privileges.  Slowly the lower castes who were also coming up, started clamouring for their rights and share of the public offices.  Political parties were formed like the Justice Party in Tamilnadu for the purpose.  The frightened Brahmins and the upper castes formed fundamental groups like Rashtriya Swayam Sevak (RSS), Bajrang Dal, The Shiv Sena, Hindu Munnani etc., training their youth in martial arts, brainwashing them with Hindu ideologies and instilling in them hatred for the other religions.  They have established themselves all over India, put their cadres in all the parties, set them up in all top positions so that only sympathizes of their ideologies are recruited in all important positions.  The Brahmins who are just 3% of the Indian population, are in all the sectors of activities in the highest posts.  Most Judges, Governors, Chief Ministers, CEOs of Post and Telecommunications, the Media, Banks….

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are Brahmins or of the upper Castes.  The minorities occupy the lower positions and undergo open or covert persecution.
Our Muslim brothers feel that calumny and slander against their community as being terrorist is their biggest problem.   Apart from calumniating, the Hindu fundamentalist forces perpetrate crimes and accuse innocent minorities of having committed  them.   At Godra in Gujarat,  a coach in a train was set on fire at a station in a Muslim area, Hindu pilgrims were burned  to death and a very big attack was carried on the Muslim population.
Hindu fundamentalists desecrate of break their own idols and spread the rumour that the minorities have committed the heinous acts.
Christian missionaries have been put to lot of suffering and persecution.  Many have been murdered, burnt, stripped and humiliated, imprisoned for flimsy reasons, their properties are confiscated or destroyed with the connivance of local authorities.  The officers make it difficult for the minorities to enjoy the benefits allowed by the Indian constitution.  Job vacancies are not easily filled up in our institutions which are forced to find their own resources to run them efficiently.  Justice is either denied or delayed.  For example, compensations have not yet been yet paid to victims of riots in Bagalpur of Bihar in 1989, nor to those of Godra in Gujarat.
   
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It is not denied that certain minority groups have reacted violently when their rights were curtailed, and their property destroyed as for example in Coimbatore where the muslim merchants were forced to flee for their lives leaving their shops and properties and their sons when they grew up set up bombs to show their resentment.
In this context how does the Church react and what does it do to help in the normalization of situations?
The Indian Church consisting of 18 Catholic Archdioceses with 105 suffragans, the protestant Church of North India and that of South India, CNI and CSI respectively and a few Christian sects like the Seventh Day Adventists, the Pentacostals, and the Assembly of God, are  working at unity of Christians first.  It was providential that the former chief minister of Tamil Nadu Ms.Jeyalalita enacted a law curtailing the freedom of propagating one’s religion with strigent punishment.  Muslims and Christians thronged in Chennai to protest against it and many leaders of the major political parties in the opposition came to address the protesters.  It has brought about a solidarity among the muslims and Christians in the state of Tamilnadu.
The Church through its Caritas agency in all its dioceses, always rushes to the rescue of every of victim of natural calamities and religious repression.
   
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Many proactive long term projects have been undertaken to foster harmony among the peoples.
Several priests have become registered lawyers to plead for the causes of victims of discrimination.
Ashrams and dialogue centres have been opened in almost all the dioceses and social amity and collaboration are fostered.
In Christian institutions the youth are taught courses on World Religions and made to understand that trying to contain violence through violence in retaliation is like putting out fire by pouring petrol.
As pioneers, the Jesuits have made an option for the poor and admit 30% of strength from the oppressed classes, giving them scholarships, free meals, accommodation etc. and their example has been followed by other congregations and a slow transformation is taking place in the right direction.
Our own Association for Christian Social Teaching has conducted a number of seminars to bring together Christians and men and women of other faiths, thanks to the help of our President Manfred Spieker and Don Patrick and the subsidies of MISSIO, and  MISEREOR of Germany.  I may mention the National Seminar in 1993 with 300 people from all major religions to mark the tercentenary of St. John de Britto, a Portuguese Jesuit who was martyred at Oriyur,  100 kms east of  Madurai.  The theme was “The Challenges to

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Religious Pluralism”.  Dr. Spieker gave the key – note address and a book was published with all the papers presented at the Seminor.
State level cultural competitions to promote Religions Harmony were organized to mark the Platinum Jubilee of Loyola College, Chennai,  in the year 2000 and thousands of young students from all over Tamilnadu from High school to University levels took part in the various competitions.  The Chief Minister of Tamilnadu, Dr. Kalaignar M. Karunanidhi attended the valedictory function and gave away the prizes to the winners.  The Government has instituted an annual prize for the institution which excels in activities promoting Harmony.
In spite of all these efforts there are problems from time to time.  We have sown the seed.  We have to wait.  As Saint – Expiry would say in Terre des Hommes if we are planting the seed of an oak tree we cannot expect to take shelter under its foliage in the near future.
The problem of terrorism and insolence is very complex.  There are many factors apart from the religious fanaticism.  The economic inequalities, the mistrust, the selfishness in people and many other factors foment intolerance.
Ignorance is the worst divider.  Knowledge of the other human beings will help us to appreciate the many good qualities in them.  So bringing leaders

                                                             9

of various communities in dialogue and initiating common programmes of service to the local population will foster mutual trust and respect.
The Basic Christian Communities that are formed in every Indian parish can be encouraged to help in this effort.
Our Muslim brothers also make some efforts to bring about religious harmony.  They award prizes to top rankers irrespective of religious or caste distinction in the whole state of Tamil Nadu.  They have bi–weekly  programmes on the TV to propagate the message of peace and unity.  The church could get closer to the Muslim brethren in this field.
If Reconciliation is social healing, it has to be effected in all spheres of life.  We work to get broken families reconciled through marriage week-end programmes.  Mgr. Lawrence Pius is in charge of the Family Commission of the TNBC and is still animating the week ends.  Fr.V.S. George S.J, my illustrious successor, is one of our team priests. My wife Philomena and I form part of the executive teams.  Sr. Cecilia who has attended our meeting in Rome has started regular programmes for engaged couples to prepare them for a happy marriage thus preventing  clashes in the families as time passes by.
Thus AIESC is a partner to  the Church in India in its efforts to bring about a harmonious society.
Deo Gratias!

Prof. Xavier Raj
Loyola College - Chennai
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10 octobre 2007 3 10 /10 /octobre /2007 19:15
At the outset, I must acknowledge the fact that it is a unique privilege for us as a team from India, for me as a Jesuit representing a group of pioneers and sustainers of “Inter Religious Dialogue in India”, to be present amidst of you, honorable members and earnest seekers of ‘God at work in our world today’ under the banner of “Christian Social Teaching and the gift of Reconciliation to Today’s World,” at Coventry, UK.

India, A Miniscule Representation of Our World Today:
It is unique privilege for us for two reasons: First of all, India, which has a third largest population of Muslims in the world, two corers of Christians which in actual terms forms 2% of the total national population, along with a sizable number of Sikhs, Parsis, Zoroastrians, Jainas, and Buddhists, remains a miniscule representation of our world which is multicultural by its age old heritage and multi-religious by its variety of beliefs and belief systems. India is a phenomenon by itself of ‘various religions negotiating and re-negotiating to co-exist amidst of conflicts which have the potential threat to destroy their healthy contributions over the years. In spite of an un-forgettable communal clash that was unleashed on the Indian population after the demolition of a disputed mosque at Ayodhya and after the burning of railway compartments at Godhra, Inida has emerged out of such traumatic experiences and continues to invite its children to seek for peaceful co-existence rather than ruthless elimination of one another from the phase of this earth.  Secondly, In spite of ‘a bomb here and an explosion there’, hundreds and thousands of its innocent people dying every now and then, India continues to find ways and means of ‘living together’ as brothers and sisters of a single nation, ‘learning to negotiate with one another (many a times through legitimate institutions of legislature, executives, judiciary and media) and as citizens of a complex nation destined to realize the ideals proposed through its modern, political Constitution.

Against this panoramic view of India, let me share my points of view on the proposed topic on the “Inter-religious Dialogue in India”.

Inter-religious Dialogue as a Way of Life in India :

It is true that ‘inter-religious dialogue’ has almost become a way of life i) for many of our Christian, religious communities (whether it be the Jesuits, the Salesians, the SVDs or CMIs etc.), ii) for the millions of Christian laity who live out their day today life amidst of multi-cultural and multi-religious families, and iii) for the thousands of pastors/priests who proclaim the Word-Incarnate amidst of hundred and one religious ideologies prevalent among our people. Hence it would be more than a presumption to articulate all their thinking, living and experiences within this short time available. Hence it is a modest attempt in articulating the same through a concrete option of speaking for the “Jesuits Engaged in Inter-religious Dialogue in India.”

Chronological Account of Jesuits and Inter-religious Dialogue in India :

The Jesuit involvement in inter-religious dialogue in India goes back to the 16th century. At the request of the Moghul Emperor Akbar two Jesuits wnet from Goa to Agra to take part in the inter-religious conversations animated by him (1579-1580). Roberto de Nobili, who arrived in Madurai in 1606, was positive to Indian culture, but negative to Indian religion. But he did not simply reject it and ignore it. He argued with the Hindus and sought to show rationally that they were wrong. This means that he took them seriously and ‘dialogued’ with them, though polemically.
The next serious involvement starts in early 20th century. A group of young Belgian Jesuits in Bengal acknowledged what was good in Hinduism and saw it as a preparation for the Gospel. They saw Christianity as a fulfilment of Hinduism. They launched a journal The Light of the East. Pierre Johanns (1882-1955) wrote a series of booklets with the title To Christ Through the Vedanta, showing how the philosophies of the Vedanta find their accomplishment in the Christian philosophy of Thomas Aquinas. They were certainly inspired by Brahmabandab Upadyaya (1861-1907) who was a convert from Hinduism, but called himself a Hindu-Christian and Hindus like Keshub Chandra Sen (1838-1884) who considered Jesus as their guru, though they did not like the Church as an institution. Hindu culture and religion were learnt seriously and comparative studies were undertaken by such pioneers like Julien Bayart, Henri De Smet, and Josef Neuner (1908-). A special supplement to The Clergy Monthly (edited by the Jesuits) was started to publish such studies. It was later integrated into the main journal, which itself was rechristened later in 1974 as Vidyajyoti Journal of Theological Reflection. The broad paradigm that oriented them was the "preparation-fulfilment" one, which included a positive appreciation of Hinduism. Their approach to Hinduism was not only academic, but also personal.
Pierre Fallon and Robert Antoine in Kolkatha and Guy Deleury and Matthew Lederle in Pune mastered Sanskrit and other local languages, lived among the Hindus and dialogued with them in various ways. Some Jesuit scholars banded together and launched a correspondence course as an initiation to Hinduism. These lessons were later collected into a book.
Various Types of Inter-religious Dialogue in India: The Second Vatican Council only confirmed and encouraged this orientation. It is significant that one of these Jesuit pioneers, Josef Neuner, was in the committee that drafted the Document on Other Religions: Nostra Aetate. A serious interest in Hinduism continued and many young Jesuits undertook to study its philosophy/theology and spirituality. Let us briefly speak about the various different types of dialogue where the Jesuits and the people of God are at present engaged in India. The documents of the Church speak about four types of dialogue: of life, of action, of intellectual exchange and of experience. To these four, we could add three more: intra-personal dialogue, dialogue as reconciliation and theological reflection to prepare and support dialogue. We could use this framework to group the various activities of the Jesuits in the field of inter-religious dialogue. Given to our contemporary conditions, the term ‘dialogue’ needs to be more inclusive, in the sense that it includes not merely religions, but also secular ideologies.
1. The Dialogue of Life: The Jesuits in India have had a strong presence in the field of education. This continues and grows. Given the demographic conditions of India most of the students in these institutions and some of the teachers are members of other religions. It is here the ‘dialogue of life’ takes place very concretely. Though our dialogical presence seems institutional at the peripheral level, it is very much ‘incarnation-al’ at the deeper level. We offer ‘education’ which is open to all.
2. The Dialogue of Action: The Jesuits are involved in social and freeing action with many social centers, and projects. Much of the activity in this area is inter-religious. The Jesuits seek the collaboration, not only of people of all faiths, but also of secular groups. The beneficiaries of their action also belong to different religions. At the level of reflection and discussion, the Indian Social Institutes (both at Bangalore and Delhi) collaborate with many governmental and non-governmental organizations as a consultant.
3. The Dialogue of Intellectual Exchange: Jesuits have taken up the study of Hinduism and Islam, not merely out of an academic interest, but with the aim of reaching out to them. The orientation, however, has been varying. Roberto de Nobili, for instance, studied Hinduism to show the Hindus why it is wrong. In the early part of the 20th century the interest was much more comparative. There was a certain appreciation of Hinduism. But there was an underlying desire to show that Hinduism will find fulfillment in Christianity. A good knowledge of Hinduism was also considered necessary to proclaim the gospel meaningfully to the Hindus. The mood however changes around the time of Second Vatican Council. Hinduism is then appreciated for its own sake, though it is always set in dialogue with Christianity. But the dialogue is much more equal and mutual, with great respect for each other.
4. The Dialogue of Experience: This dimension of dialogue became common by many Jesuits ‘praying’ and ‘learning’ the various other methods of prayers like, Vipasana, Yoga and Zen etc. ‘Reading’ and ‘Listening’ together with the people of other faiths become popular in some of the Jesuit prayer centers like Ashirvad, Bangalore etc. ‘Being and Sharing together as believers was encouraged in centers like Aikyalayam, Chennai etc. Many ‘dialogue groups’ were formed in various cities in India and active interaction among the believers is still going on.
5. Intra-personal Dialogue: There are however many Jesuits who are searching for an Indian Christian spirituality and Indian Christian Identity. While not running an ashram, they are integrating elements of yoga like breathing, posture and meditation and other aids to concentration like music (bhajans, Slokas etc.), the prayer of the Name (naam jap etc.). It is a process of dialogue wherein each one is rooted in his/her religion (in our case, the Chrisianity), yet they felt free to adopt the healthy spiritual practices of another religion.
6.Dialogue of Reconciliation: For people of India, who are living in multi-religious societies like India people who belong to different religions have to live together as one socio-political community, respecting the religious freedom of each other. But it is an obvious fact that today’s world is heading towards greater and deeper violence between religious communities. In such a situation, dialogue then begins with ‘conflict resolution’, ‘healing of memories and reconciliation’ between different religious groups. Jesuit Institutes like IDCR (Institute of Dialogue with Cultures and Religions), Chennai are beginning to focus on conflict resolution and promoting harmony in situations of inter-religious violence, based on field surveys.
The Jesuits’ activity of inter-religious dialogue has triggered off two sorts of theological reflection. First of all, there has been a development in the theology of religions and dialogue in relation to the mission of the Church. Secondly, the dialogue with other religions, particularly Hinduism, has given rise to a contextual method leading to Indian Christian Theology. Theology is a reflection on our faith in the context of our living experience. Faith itself is a response to God speaking to us and calling us. If God has spoken also to our ancestors, in whatever limited ways, our response to God cannot ignore this. Thus theological reflection, in our Indian context, becomes both dialogical and inter-religious. For the last 25 years, Jesuits in India have taken this process seriously and have taken step after step gradually in living out their faith by regionalizing theological formation in the pursuit of inculturation. A serious attempt is being made to reflect on one’s Christian faith in particular contexts, which are many in a big sub-continent like India, and as far as possible in the local language, rather than in English. Such contextual reflection has to take into account, not only the cultures, but also the religions of India at all levels. At the moment the dialogue seems to be more with the popular religions since the people we relate to in preference are the poor and the marginalized like the Dalits and Tribals. The fruits of such dialogue and reflection are once again slowly emerging. Some more time may be needed for them to mature.
Conclusion
At a structural level, each one of the Society's 17 provinces and one region in India has a coordinator for inter-religious dialogue. They are animated by a national secretary. Regional and national meetings are held periodically for reflection, planning and animation. The coordinators are more or less active according to their abilities and circumstances. Of course the Jesuits are not alone in the field. They work with many other religious Congregations and the Laity. For example, while the Jesuits have two 'ashrams', there are more than sixty of them in India, big and small, with an association of their own. For the Jesuits in India dialogue has become a way of life. They are not agitated by theological questions like Jesuits elsewhere, though practical problems abound in a situation of increasing religious fundamentalism and violence, especially in some regions of India like Gujarat and Madhya Pradesh. Though India has a millennial tradition of religious tolerance, today our dialogue partners tend to be sensitive and aggressive. A global awareness in a post-colonial world is responsible for this. But the Jesuits with their educational and social institutions and their deep involvement in theological reflection and spirituality are trying to meet the contemporary challenges of inter-religious dialogue creatively.

Rev. Fr. V.S. George Joseph S.J.,
Dean of the Jesuit Faculty of Philosophy,
Chennai, India
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15 septembre 2007 6 15 /09 /septembre /2007 08:07
Traits anthropologiques dégagés par les homélies sur l’Evangile de St Matthieu de saint Jean Chrysostome (SJC dans la suite)


De l’ensemble des homélies, on peut facilement tirer la conclusion que pour SJC la nature humaine est bonne, et en cela SJC se range aux côtés des autres Pères de l’Eglise.
C’est l’homélie 4 la première qui attaque le sujet : dans un développement très piquant, SJC se demande comment retrouver dans ses fidèles les traits d’un chrétien quand il est difficile de retrouver ceux d’un homme. On remarque une gradation des états : l’état de bête (même pire que les bêtes et les démons) auquel l’homme s’abaisse quand il trahit sa propre nature, l’état naturel de l’homme que nous allons décrire plus loin et l’état chrétien qui dépasse le naturel.
« Mais de plus (les apôtres) annonçaient aux hommes une doctrine élevée au-dessus de la nature humaine. Ils ne disaient rien de terrestre, et ils ne parlaient que des choses du ciel. Ils prêchaient une vie et un royaume dont on n’avait jamais entendu parler. Ils découvraient d’autres richesses et une autre pauvreté ; une autre liberté et une autre servitude ; une autre vie et une autre mort; un nouveau monde, et une manière de vie toute nouvelle; et enfin un changement, une sorte de renouvellement général de toutes choses. » .

L’homme naturel se trouve entre ces deux pôles et nous allons voir plus loin pour quelles raisons il prend une direction plutôt qu’une autre et quelles en sont les conséquences d’après SJC.

L’homme – corps et âme


De manière très claire, SJC montre que l’homme est constitué de deux parties : corps et âme. J’insiste sur la clarté de sa position à ce sujet, car il y a des interprétations sur l’œuvre d’autres Pères de l’Eglise qui soutiendraient une conception triadique de l’homme : corps, âme, esprit. Chez SJC, il n’ y a pas de doute par rapport à cela et nous allons voir plus loin quelle place il donne à l’esprit.
L’homme est constitué de ces deux éléments, le corps et l’âme, mais il y a un ordre. Premièrement, il y a un fort lien entre ces deux parties : ce qui se passe dans l’âme influence le corps et ce qui se passe dans le corps a des conséquences sur l’âme.  Deuxièmement, l’âme est supérieure au corps. Il faut tout  de suite dire ici un mot sur le fait que dans toutes les homélies nous n’avons pas trouvé un mot qui saurait être méprisant par rapport au corps. J’insiste sur cela parce que sur ce point il y a aussi des interprétations sur la patristique qui dévalorise le corps.  Nous allons présenter quelques citations pour en mieux saisir les nuances.
L’homme est constitué de deux éléments : le corps et l’âme, Jésus-Christ en est le créateur :
« (le Christ) mêlait à la prédication de sa parole les guérisons miraculeuses des corps pour fermer la bouche à l’insolence des hérétiques et pour montrer, par le soin qu’il témoignait de l’une et l’autre de ces deux substances qui composent l’homme, qu’il était le créateur de l’une et de l’autre. C’est la raison pour laquelle sa providence partageait si souvent ses grâces tantôt au corps et tantôt à l’âme, comme il le témoigne même en cet endroit. » .
 
Interdépendance harmonieuse du corps et de l’âme


Mais voyons maintenant comment il décrit le lien entre le corps et l’âme :
« L’excès de nourriture produit la mauvaise mixtion des humeurs dans le corps humain, et lorsque les éléments dont celui-ci se compose ont cessé d’être en harmonie, il s’ensuit des maladies graves qui amènent la mort : eh bien, le même phénomène se remarque aussi dans nos âmes » . 
Il est inutile de dire à quel point cette approche du corps, de son harmonie, est actuelle.
Dans l’homélie 34, qui commente Mt 10, 23-34 (l’envoi des apôtres à la prédication et les annonces des souffrances  et de la mort ), SJC fait un commentaire très intéresssant sur la mort,  pourquoi il y a la mort du corps et qu’en est-il de l’âme.  Il décrit de manière très claire le lien entre ces deux parties d’un côté, et la supériorité de l’âme, de l’autre côté. Le corps  reçoit sa beauté de l’âme et l’état de l’âme joyeuse ou triste, contente ou inquiète, agitée ou en paix, envieuse ou pleine de bonté, se reflète dans le corps, sur le visage, dans le regard ou dans la santé même.
L’homélie 44 contient un traité diététique où le saint insiste sur l’importance de se nourrir correctement en évitant les excès, qui sont cause de « milles mauvaises humeurs qui deviennent une source de corruption et de pourriture » ; et  il tranche à la fin en disant « tout ce qui est au délà de la nécéssité n’est plus une nourriture, mais un poison ».  Et si la plu part des maladies corporelles tirent leur origine de celles de l’âme, l’âme à son tour souffre à cause des dérèglements qu’engendrent les excès dans le corps.
Nous allons voir dans la suite comment SJC présente la supériorité de l’âme par rapport au corps :
«L’âme est la reine, et le corps l’esclave. Pourquoi abandonnez-vous celle qui commande pour admirer celui qui lui obéit? Pourquoi quittez-vous celle qui possède la lumière et la sagesse, pour vous asservir au corps et aux sens qui ne sont que ses organes? »  Et ailleurs il dit la même chose : « Car vous savez que notre âme est ce que nous avons de plus précieux. Mais si ce n’est que le corps qui s’engraisse, lorsque l’âme sèche de jour en jour, que vous sert cette abondance de biens que vous possédez? Que sert le plaisir de la servante lorsque la maîtresse se meurt ? Que sert le vêtement magnifique, lorsque le corps est près de mourir? »  « Si quelqu’un voulait orner votre maison de tapisseries rehaussées d’or et d’argent, et qu’il vous laissât cependant tout nu, ou couvert d’habits sales et déchirés, souffririez-vous cette injure? Cependant c’est vous-mêmes qui vous faites cet outrage. Vous ornez magnifiquement votre corps, qui est comme la maison de votre âme, pendant que la maîtresse qui y doit habiter est toute déchirée et toute nue. »
L’affirmation fondamentale qui ressort de ces citations est que  l’âme est  supérieure au corps et qu’elle a une valeur inestimable pour nous-mêmes : elle est notre bien le plus précieux. Ne pas la traiter en conséquence, c’est la déshonorer.

Vertus  naturelles et passions naturelles et non naturelles à l’être humain

Cela nous permet ainsi de parler des vertus et des passions naturelles à l’homme et des passions  qui ne lui sont pas naturelles. Commençons par les passions et les vertus naturelles : « Et cependant ces deux passions, la colère et la concupiscence, sont toutes les deux inhérentes à notre nature» , 

Il y a des passions naturelles comme il y a aussi des passions qui ne sont pas naturelles. Par exemple l’avarice : « Cette passion ne vient point de la nature, comme on peut en juger par ceux qui échappent à sa tyrannie. Ce qui est naturel est commun à tous les hommes. Ainsi tous les hommes n’étant pas universellement avares, il est clair que ceux qui le sont, ne le sont que par leur faute et par leur propre négligence. »   Cette citation est très intéressante, car elle nous donne aussi le critère selon lequel SJC distingue ce qui est naturel de ce qui ne l’est pas et surtout ce qui fait  qu’une passion habite l’homme ou pas. La deuxième citation nous éclaire encore mieux : « Car la malice n’est pas naturelle à la créature, mais elle vient du choix de la volonté. »
C’est bien là que je voulais en arriver : à la volonté.  Dans l’homélie 29, quand Jésus-Christ défend d’arracher l’ivraie, il le fait parce que, dit SJC, « la volonté n’est point liée ni assujettie aux lois inviolables de la nature ; et Dieu l’a honorée du don de la liberté »  et donc un changement en dernier instant est possible. La semence ne peut pas changer, de semence de blé en semence d’ivraie et vice versa, mais l’homme oui, il le peut en vertu de sa liberté et par sa volonté.
Mais l’être humain n’est pas seulement doté d’une volonté libre, il est aussi doué de raison :
« Car Dieu nous a donné la raison, afin qu’elle bannisse l’ignorance de nos esprits, qu’elle nous fasse juger équitablement des choses, qu’elle soit comme la lumière qui conduit tous nos pas et comme un bouclier qui nous couvre de tous côtés contre ce qui pourrait nous attrister et nous nuire. Cependant nous foulons aux pieds ce don de Dieu, et nous le livrons pour des choses vaines et superflues» .
Dans cette homélie, la raison joue le rôle de médecin rendu malade par l’or et la richesse, enfermé après dans un coffre plein d’or et tout cela au détriment de l’âme. Dans la même homélie 20, d’une façon imagée, il dit « l’esprit est à l’âme ce que l’œil est au coprs »  et il conclut le passage en disant « soyons donc conséquents, et si nous prenons tant de soin pour conserver l’oeil qui dirige notre corps, n’en ayons pas moins pour entretenir saine et sauve la raison qui éclaire notre âme. »

Les penchants de l’homme

L’homme est  doté de la volonté libre, il est doué de raison mais il a aussi des penchants. Il existe dans l’homme un penchant vers le mal, et quand il s’expose au mal (ici il s’agit d’aller au théatre et de voir et d’entendre des vulgarités), il a toutes les chances d’y tomber. 
« Ne savez-vous pas quelle pente nous avons au mal ? Lors donc qu’à cette inclination naturelle nous ajoutons encore l’art et l’étude, comment ne tomberons-nous pas dans l’enfer, puisque nous nous hâtons de nous y jeter? »
Mais il faut nuancer cette affirmation avec une autre pour avoir un regard juste sur la conception de SJC sur ce point . Le mal n’est pas naturel à l’homme.
« Si le mal était naturel à l’homme, il lui serait inévitable, quoi qu’il put faire, et ainsi cet avis de Jésus-Christ serait inutile. Mais, comme il est impossible que les instructions d’un Dieu soient inutiles et hors de propos, nous devons conclure que le mal vient de notre volonté, et non de la nécessité de la nature » .
Il s’agit  ici du conseil du Christ de retrancher ce qui nous scandalise et le fait que le Christ donne ce conseil veut dire qu’il est en notre pouvoir de le faire.
L’homme a aussi un penchant de l’autre côté, cette fois-ci, le bon côté.  L’homme a aussi une pente naturelle  qui le porte à la miséricorde :
« Car nous avons tous une pente naturelle qui nous porte à la miséricorde. Et c’est ce secret instinct de la nature qui fait que nous ressentons de l’indignation lorsque l’on fait injustice aux autres et que nous pleurons lorsque nous en voyons d’autres qui pleurent. Comme Dieu veut que nous ressentions cette compassion pour tous les hommes, il l’a lui-même imprimée et comme gravée dans la nature. Il semble lui avoir voulu commander de contribuer de sa part à produire en nous ces sentiments, afin que nous reconnaissions dans cet instinct naturel combien la miséricorde lui est agréable, et combien il désire de nous que nous l’exercions envers tout le monde » .
Un autre paragraphe très intéressant est celui où SJC commente Mt 7, 12: « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les prophètes ». De ce verset SJC tire la conclusion :
« On voit clairement par ces paroles que la vertu est conforme à la nature même: que nous avons au dedans de nous un maître qui nous apprend ce que nous devons faire; et qu’ainsi nous ne pouvons nous excuser sur notre ignorance » .
 

L’anthropologie chrysostomienne en miroir avec l’anthropologie de saint Grégoire de Nysse
Brève présentation de St Grégoire de Nysse et de son traité La création de l’homme

Premièrement, La Création de l’homme « est le premier  traité consacré par un penseur chrétien au problème anthropologique.»  Deuxièmement, nous avons la chance d’avoir en la personne de l’évêque de Nysse un homme de son temps, un des plus grands. « Homme de son temps, Grégoire récapitule en lui toute la culture de l’Antiquité  : il  a passé de longues années à acquérir une formation philosophique  dont les piliers sont les œuvres des grands penseurs grecs ». Nous apprenons par la suite que l’évêque de Nysse était ouvert à la science de son temps, les mathématiques euclidiennes, l’astronomie et surtout la médecine, les domaines qui le préoccupaient.

L’analyse du traité La création de l’homme en miroir avec l’anthropologie chrysostomienne

Maintenant je vous propose de confronter l’anthropologie chrysostomienne au traité  La création de l’homme  de Grégoire de Nysse. La meilleure manière de réaliser cette analyse m’a paru être celle d’une présentation du traité chapitre par chapitre, en mettant en évidence à chaque étape les parallèles avec l’anthropologie chrysostomienne.

   
L’homme créé avec un double fondement : terrestre et divin
Ainsi, après un premier chapitre dans lequel Père Grégoire présente la création comme la demeure  merveilleuse préparée par Dieu pour l’homme, le deuxième explique que cela a été fait ainsi pour accueillir l’homme en roi, maître et souverain. Il y a dans ce deuxième chapitre une remarque qui nous intéresse particulièrement  :  « De la même façon, celui qui, dans son immense richesse, est l’hôte de notre nature, décore d’abord la demeure de beautés de tout genre et prépare ce grand festin aux mets variés ; alors il introduit l’homme pour lui confier non l’acquisition des biens qu’il n’aurait pas encore, mais la jouissance de ce qui s’offre à lui. C’est pourquoi, en le créant, il jette un double fondement par le mélange du divin au terrestre, afin que par l’un et l’autre caractère, l’homme ait naturellement la double jouissance  de Dieu par sa divine nature, des biens terrestres par la sensation qui est du même ordre que ces biens » .
C’est ce double aspect de la jouissance céleste et terrestre qui rapproche Père Grégoire du prêtre Jean. Chez SJC, comme nous l’avons vu, la jouissance terrestre et céleste vont de pair, mais il y a un ordre pour que cette harmonie se réalise. Cette jouissance est le reflet de son anthropologie : l’âme est supérieure au corps et c’est le soin de l’âme qui importe à l’homme sans toutefois qu’il doive négliger le corps. Celui qui prendra soin de son âme évitera à son corps les mauvais traitements qu’il subit de la part d’une âme malade. L’exemple le plus net est la gourmandise qui entraîne beaucoup de maladies et rend le corps mou et sans vigueur. De même, l’homme qui recherche avant tout la jouissance céleste pourra aussi goûter la jouissance terrestre. Désirer la jouissance terrestre sans se soucier de la dimension céleste témoigne d’une âme malade, d’un désordre.

   
L’homme marqué par le sceau de la beauté divine et les traits caractéristiques de la divinité

Les chapitres III, IV et V traitent d’une manière exquise de cette beauté divine dont le Créateur a marqué comme d’un sceau, éternellement, le sommet de la création du visible  :  l’homme, image de la royauté de Dieu.

L’argument qu’avance Père Grégoire pour nous faire saisir la grandeur de la nature humaine est la circonspection avec laquelle s’avance l’auteur de l’univers quand il crée l’homme; même le soleil et le ciel ne sont pas dignes d’un tel traitement de la part du Créateur, eux que rien n’égale dans toute la création . Pour la création de l’homme tout est une préparation, tout correspond à la fin pour laquelle il est fait.
Le chapitre IV  insiste sur la royauté absolue dont la nature humaine est investie, et surtout  sur le fait qu’elle est préparée à exercer cette royauté.
« Ce caractère royal, en effet, qui l’élève bien au-dessus des conditions privées, l’âme spontanément le manifeste, par son autonomie et son indépendance et par ce fait que, dans sa conduite, elle est maîtresse  de son propre  vouloir. De quoi ceci est-il propre, sinon d’un roi ? »
Chez Chrysostome on trouve la même perspective. La noblesse de l’âme est liée à sa liberté. Si la liberté fait défaut suite  à la soumission volontaire de l’homme aux passions, l’homme perd sa noblesse et sa nature humaine se trouve dénaturée, abaissée. L’homme se trouve dans un état où dans l’on reconnaît plus les traits de sa nature humaine, mais les traits de la nature animale. La liberté est donc marque de noblesse aussi bien chez Chrysostome que chez Grégoire de Nysse.
Le Ve chapitre porte  sur l’homme qui est image de la royauté de Dieu. Nous y trouvons une affirmation qui nous renvoie directement à ce que nous venons d’exposer dans la lettre précédente sur l’anthropologie chez SJC. Ainsi Grégoire de Nysse dit  :  « Dieu est amour et source d’amour. Jean le Sublime dit que “L’amour vient de Dieu” et “Dieu est amour”. Le modeleur de notre nature a mis aussi en nous ce caractère. “En ceci, dit-il, en effet, tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres”. Donc, si l’amour est absent, tous les traits de l’image en nous seront déformés. »
Chez SJC on trouve exactement la même affirmation. Ce qui rend un homme  homme, c’est la charité. Quand elle est absente, l’homme n’est plus un homme, mais il vit en dessous de sa nature. On trouve la même idée que c’est le Créateur qui a mis la charité dans notre caractère, son exercice étant le signe le plus évident  de la parenté divine de l’homme.
      
L’homme fait de matière et d’esprit– interdépendance et ordre

Le chapitre VI qui traite de la parenté de l’esprit avec la nature donne une affirmation très intéressante pour notre recherche. En parlant de l’Esprit comme l’unique faculté qui se répand à travers les sens, Saint Grégoire de Nysse dit : « c’est  (l’Esprit) qui aime ce qui le charme et écarte ce qui lui déplaît » . Or, dans la théorie économique, un des traits caractéristiques de l’homo oeconomicus, c’est justement celui-ci  :  chercher ce qui fait plaisir et éviter ce qui fait mal. Les anthropologues ont justement remarqué que ce trait n’est pas caractéristique de l’homo oeconomicus, mais de l’homme tout court. Et on voit chez Grégoire de Nysse que ce comportement est inscrit dans la nature humaine et est conforme à la nature humaine. Chercher le plaisir et éviter la douleur ne serait donc pas un comportement aberrant ou pervers.  Non, l’homme, comme on l’a vu dans le deuxième chapitre du traité, a été fait pour la jouissance. Une nuance à mettre en évidence ici : la jouissance est naturelle à l’homme – corps et âme – en unité, en harmonie. Le discours sur la recherche de la jouissance  chez Grégoire de Nysse et chez Jean Chrysostome aussi, reflète l’anthropologie eschatologique sous-jacente à leurs œuvres et à leur vie. La jouissance s’entend dans cette harmonie du corps et de l’âme. On ne saurait nommer plaisir quelque chose qui touche seulement le corps.


Au chapitre VII nous trouvons un développement parmi les plus intéressants sur le travail. L’homme, dit Grégoire de Nysse , vient au monde dépouillé des protections naturelles, « il mérite plus de pitié que d’envie » . Les animaux le dépassent largement de ce point de vue. Mais c’est justement son état de nudité et de faiblesse qui oblige l’homme à commander aux animaux, ce qui est en fin de compte un signe de sa grandeur. Toute l’activité que l’homme déploie afin de s’assurer le nécessaire pour vivre prouve son intelligence et sa supériorité par rapport au monde créé. Son ingéniosité lui permet de soumettre la nature et les animaux à ses besoins. Nous pouvons en tirer la conclusion que le travail, c’est-à-dire l’activité que l’homme déploie pour sa survie, est une marque de sa royauté. Dans le processus du travail, l’homme exerce sa supériorité par rapport à toute la création. C’est ainsi que le travail devient une marque de la royauté de la nature humaine. Marx dira quinze siècles plus tard que c’est le travail qui ennoblit l’homme.  L’usage progressif des instruments de travail a permis à l’homme de développer ses capacités de maîtrise du monde extérieur. Il y aurait ici une nuance intéressante à creuser.
Dans le chapitre, Saint Grégoire présente l’ordre dans la création des êtres qui va de l’inférieur au plus parfait. Sa présentation de cette évolution de la nature a une ressemblance frappante avec l’évolutionnisme. . Saint Grégoire donne cette  division des êtres : il y a une nature corporelle et une nature intellectuelle . Il laisse de côté la nature corporelle pour s’occuper des âmes qui animent la matière inanimée. Il existe ainsi une forme vitale naturelle qui correspond à la vie des plantes ; ensuite il place les êtres qui ont la sensation, qui connaissent le sensible (les animaux) mais qui ne possèdent pas la nature spirituelle qui, elle,  est l’apanage de l’homme.
« Cet animal rationnel qu’est l’homme est en effet formé de tous les genres d’âmes  :  sa nourriture, il la prend par la  partie naturelle  de son âme ; à cette puissance d’accroissement, il unit la puissance des sens, qui tient naturellement le milieu entre la substance intellectuelle et la matérielle, mais plus elle participe de la lourdeur de la matière, moins elle participe de l’intelligence. Ensuite se fait l’intime fusion entre la substance spirituelle et ce qu’il y a de plus mince et de plus lumineux dans la nature sensible, en sorte que l’homme se trouve composé de ces trois substances. »
« Cependant on ne doit pas en conclure que le composé humain soit formé d’un mélange de trois âmes que l’on pourrait considérer dans leurs délimitations propres et qui donnerait à penser que notre nature est un composé de plusieurs âmes. En réalité l’âme, dans sa vérité et sa perfection, est une  par nature, étant à la fois spirituelle et sans matière et, par les sens, se trouvant mêlée à la nature matérielle. »
Quelle conclusion pourrons-nous tirer de ces passages ? Comme il est facile de se perdre dans ces affirmations, j’ai lu aussi les homélies pascales de Saint Grégoire de Nysse, l’homélie étant un genre plus simple adapté à un public divers quant à sa capacité de compréhension, un genre qui vise justement à clarifier les ambiguïtés. Ainsi, dans la première homélie, nous trouvons la position nette de Saint Grégoire sur la nature humaine. L’homme est fait d’un corps et d’une âme, tous les deux ayant part à la résurrection. Les trois parties dont parle Grégoire de Nysse visent, en effet, les facultés de l’âme. La conception dualiste de l’homme ¬– matière et esprit – se dégage aussi de tous les autres développements du traité sur la création de l’homme. Nous pourrons encore mieux voir cela quand Grégoire de Nysse parle lui aussi d’un ordre qui existe dans la nature humaine. Nous avons vu à quel point SJC insiste sur la supériorité de l’âme pas rapport au corps, qui lui, doit servir l’âme. La situation contraire engendre des désordres qui font que finalement on ne retrouve plus dans un homme les traits de sa propre nature humaine. Voici que nous trouvons chez Grégoire de Nysse presque les même affirmations que chez SJC.
Chez  tous les deux, c’est la beauté de l’homme qui est en jeu. Car l’esprit de l’homme est créé beau comme image de la beauté du prototype, il est comme un miroir qui reflète cette beauté. La nature, administrée par l’esprit, reçoit sa beauté de l’esprit, comme un miroir du miroir. La nature gouverne et soutient la partie matérielle de l’être existant. Ainsi, chacune de ces parties reçoit sa beauté tant que l’ordre de dépendance est respecté.
Cette interdépendance entre la matière et l’esprit est mise fortement en évidence par les deux Pères. Ainsi, chez saint Grégoire de Nysse nous trouvons au chapitre XII  : 
« Pour ma part, je reconnais sans peine que la prépondérance des affections physiques trouble souvent l’intelligence et que les dispositions du corps émoussent l’activité naturelle de la raison ». 
Chez Chrysostome on trouve cette même idée quand il s’adresse à ceux qui vivent dans le confort et le luxe en rendant ainsi leur âme molle et lâche.
Les deux remarques que nous avons faites sur l’anthropologie chrysostomienne sont valables pour celle de Grégoire de Nysse. Il s’agit d’une part de l’homme composé de matière et d’esprit, ces deux parties étant en lien et s’influençant réciproquement et, d’autre part, du fait qu’il y a un ordre, l’âme étant supérieure au corps, et que garder cet ordre est équivalent pour l’homme à garder sa nature humaine.
« …Nous disons que la nature, administrée par l’esprit, s’attache à lui et de cette beauté placée près d’elle, reçoit elle-même son ornement, comme si elle était miroir de miroir, à son tour, elle gouverne et soutient la partie matérielle de l’être existant à qui elle appartient. Tant que cette dépendance est gardée entre les éléments, tous sont unis, chacun à son degré, à la beauté en soi, car l’élément supérieur transmet sa beauté à celui qui est placé sous lui. Mais lorsque dans cette harmonie naturelle, il se produit une rupture ou que, à l’inverse de l’ordre, le supérieur se met à la remorque de l’inférieur, alors la matière, mise à part de la nature, met à jour sa difformité (car d’elle-même elle n’a ni forme ni constitution) ; puis sa difformité corrompt la beauté de la nature, qui reçoit sa beauté de l’esprit. »  « En effet, de toute nécessité, la matière qui mendie sa propre forme impose sa difformité et sa laideur à celui qui veut lui ressembler »  .
Même image d’harmonie et d’ordre chez SJC quand l’esprit conduit en maître et que la matière obéit en servante. Nous trouvons chez les deux l’idée qu’il y a difformité quand l’ordre n’est pas respecté : «…dans le composé humain, l’esprit est gouverné par Dieu, et notre vie matérielle par l’esprit, lorsqu’elle garde l’ordre de la nature. Mais se détourne-t-elle de cet ordre, elle devient étrangère à l’influence de l’esprit » .
C’est  exactement le raisonnement de SJC qui dit que celui qui est dominé par les passions (l’avarice, etc,) est sourd aux paroles du Christ. Dans le même chapitre, Saint Grégoire dit expressément que c’est suite à quelque passion ( gr. pathos) que les parties de notre être se détournent de leur constitution naturelle. Nous sommes là devant la même conception de l’être humain.
Et quand est-ce que cet ordre naturel n’est plus respecté ?
« Il y a des cas où c’est l’esprit qui suit comme un serviteur les inclinations de la nature. Souvent, en effet, la nature du corps prend le commandement, à la suite du chagrin qui est en nous ou du désir de ce qui nous charme  :  alors elle a l’initiative, excitant en nous l’appétit ou nous faisant chercher notre plaisir. Pendant ce temps, se soumettant à ces penchants (SJC parle lui aussi des penchants), l’esprit s’unit au corps pour lui fournir les moyens qui sont en lui de satisfaire à ces besoins. » .
Nous retrouvons les mêmes idées exprimées par Grégoire de Nysse  au chapitre XVIII (p.169) où il parle de la vie humaine dans les pathé – passions.
Mais qu’en est-il de la liberté de l’homme ? Pourquoi est-ce que cet être créé beau et harmonieux arrive à se trouver sous l’emprise des passions ?    Le chapitre XVI  montre le fondement de la liberté  de l’homme. Créée à l’image de Dieu, la nature humaine est rendue participante de toutes sortes de biens  :  vertus, sagesse, liberté, etc.
"Un de ces biens consiste à être libre de tout déterminisme, à n’être soumis à aucun pouvoir physique, mais à avoir, en effet, une volonté indépendante. La vertu, en effet, est sans maître et spontanée ; tout ce qui se fait par contrainte ou violence n’en est pas. »
Si la nature humaine est rendue participante aux attributs  mêmes de la divinité, il y a quelque chose qui la différencie fondamentalement. La nature humaine est créée et par conséquent soumise au changement, tandis que la divinité est immuable et toujours identique à elle-même.
     
Conclusions sur le parallèle entre l’anthropologie de Grégoire de Nysse et l’anthropologie chrysostomienne

Père Grégoire de Nysse écrit un traité sur le thème de « à l’image et la ressemblance » ; SJC, lui, à partir de l’image, prêche la ressemblance tout au long de ses homélies. Dans les œuvres du premier, on a exalté le caractère mystique de la théologie ; au deuxième, on a souvent refusé le titre de « théologie » en exacerbant le côté moral de ses œuvres. Leur conception de l’être humain est parfaitement identique dans les moindres détails. Le premier utilise un langage philosophique, se réfère volontiers aux thèmes propres à la philosophie  et  s’en inspire, tandis que le deuxième  est connu plutôt pour avoir adressé des paroles dures à l’égard des philosophes et de la philosophie en général. Comment expliquer  alors cette rencontre ?
Je tenterai une réponse. Tous les deux sont, en fait, de grands maîtres spirituels. Tous les deux sont des moines ayant eux-mêmes parcouru ce chemin qui part de l’image et s’oriente vers la ressemblance. C’est une anthropologie d’origine monastique qui a pour but la déification de l’homme, qui correspond au plan de Dieu pour l’homme. Que chacun d’entre eux  ait exprimé la réalité d’une telle vie en fonction de sa propre personnalité et de sa situation, cela n’a pas  changé l’essentiel de leur discours sur l’homme. Bien au contraire, cela prouve que mystique et morale vont de pair, et seulement quand elles vont de pair elles sont toutes les deux authentiques . La morale dans ce cas n’est nullement un ensemble de règles extérieures à l’homme qui s’impose à lui ; la morale est la spiritualité faite chair et elle prend sa source au plus profond de l’être humain, là où l’image de Dieu a marqué comme d’un sceau indélébile la nature humaine, sommet de la création.
Nous voyons qu’il s’agit d’une anthropologie plus qu’optimiste. Chez les deux maîtres, le mal n’est pas pour toujours, la victoire est sûre.
Le livre  L’homme, icône de Dieu  présente cela dans un éventail qui remonte aux sources bibliques et traverse les siècles jusqu’à Léon le Grand, et passe d’Alexandrie en Cappadoce pour s’arrêter à Rome. Sur le même thème, le livre Le Vivant divinisé   dans la première partie fait aussi une présentation de certains éléments fondamentaux de l’anthropologie patristique  dans toute leur richesse et dans leur cohérence.

Nicoleta Acatrinei, Faculté de Théologie de Neuchâtel
Fribourg, 11 septembre 2005

   
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14 septembre 2007 5 14 /09 /septembre /2007 06:09
A la différence des Français et des Britanniques, l’Islam a été pour les Allemands jusque dans les années 70 du 20e siècle une question exotique. Elle n’apparaissait ni dans la vie quotidienne ni dans l’enseignement scolaire. Qui désirait s’informer sans se satisfaire des romans d’aventure de Karl May, devait aller consulter des bibliothèques scientifiques de haut niveau ou se rendre en voyage au Proche-Orient. Lorsqu’à la suite de la fin du miracle économique des années 50 s’instaura une immigration intensive de travailleurs et que vinrent en Allemagne de nombreux Musulmans, surtout en provenance de la Turquie, la situation a alors peu changé. L’Islam était la religion des travailleurs immigrés (die Gastarbeiter) dont on prit alors connaissance, dans le meilleur des cas, de façon seulement marginale ; on considérait le séjour de ces travailleurs immigrés invités – comme c’est l’habitude chez des hôtes - comme provisoire. Le changement s’effectua avec la fin de l’embauche en 1973 des travailleurs immigrés. Ceux qui se trouvaient déjà en Allemagne voulurent rester et aller chercher leur famille. A partir de cet Islam des travailleurs, dont la présence n’était pas publique, peu à peu l’Islam en Allemagne consista en des associations de mosquées, de centres culturels et des magasins d’alimentation turcs. En 2007 vivent en Allemagne environ 3, 5 millions de Musulmans dont 2, 4 millions issus de la Turquie dont entre temps environ 20 % ont acquis la nationalité allemande. Par là même, après les catholiques avec leurs 25, 9 millions et les protestants avec leurs 25, 6 millions (2005), l’Islam est la troisième plus grande confession religieuse, manifestant aussi sa présence publique avec ses quelque 2600 lieux de prières et de réunion, dont 150 mosquées classiques.

Mais même après 1973, la juste perception de l’Islam était faible. Cela se modifia seulement avec le 11 septembre 2001. Les attentats d’Al Qaida de New York et de Washington firent entrevoir du jour au lendemain et avec une brutalité inimaginable jusque là l’éventualité d’un choc des civilisations (Clash of civilizations). Et quand il s’est avéré que le réseau des assassins atteignait aussi l’Allemagne, se dissipa l’illusion de pouvoir vivre en Allemagne sur une île de tolérance, garantissant une zone exempte de conflits.

Les deux Églises d’Allemagne n’ont pas attendu le 11 septembre pour découvrir l’Islam. Bien avant – à partir du début des années 80 – elles se sont exprimées sur la cohabitation avec les Musulmans. Finalement la Conférence épiscopale allemande (DBK) a publié en septembre 2003 une « Fiche de travail » sur le sujet « Chrétiens et Musulmans en Allemagne  » et, pour sa part, l’Église protestante d’Allemagne (EKD) a publié en novembre 2006 une étude sur le même sujet sous le titre « Clarté et bon Voisinage. Chrétiens et Musulmans en Allemagne  ». Ces deux documents sont une réaction à l’intérêt croissant de l’Islam. Et le document de l’EKD se réfère au 11 septembre 2001. Ces deux textes ne se limitent pas à fournir une information sur l’Islam, mais leur but est de planifier des voies aptes à faciliter le bon voisinage. Le texte de la Conférence épiscopale allemande franchit un pas de plus. Elle ne se contente pas de rechercher un bon voisinage, mais elle s’interroge en outre sur les possibilités d’un témoignage commun à rendre envers Dieu en tant que créateur et juge d’un monde « marquée par une marginalisation progressive de la religion ». C’est une nécessité de « se mettre ensemble à la recherche d’une vérité toujours plus grande ». Chrétiens et Musulmans sont « des partenaires du bonheur de la famille humaine » (Z. 267).

Le document de la Conférence épiscopale allemande décrit sur un ton apaisant l’histoire détaillée, les divisions et les diverses écoles de droit de l’Islam, les particularités et les organisations nationales en Allemagne, les contenus de la foi ainsi que les aspects de la religion et de la culture des Musulmans qui rendent difficiles l’intégration dans une société occidentale et dans un état laïc ou qui même en provoquent le blocage. Mais ici le ton conciliant tombe dans le piège. En commentant les éléments de l’Islam qui rendent difficile sa compatibilité avec un État laïc – que ce soit le rapport de la Charia et de la Loi Fondamentale, la liberté religieuse, la position de la femme ou le Djihad, le texte de la Conférence épiscopale allemande craint de prendre une position propre. Le document évoque des opinions et laisse ouverte la question de savoir s’il la juge correcte ou erronée. Très manifestement, il ne veut pas mettre en danger le bon voisinage en portant des jugements critiques.

Sur ces points, le document de l’Eglise protestante d'Allemagne (EKD) est plus clair. Elle ne redoute pas la confrontation. Elle ne cherche pas le bon voisinage au dépens de la clarté. Elle ne passe pas sous silence les « défis communs » auxquels sont exposés les Chrétiens et les Musulmans d’Allemagne vis-à-vis du scepticisme relatif à toutes les religions. Mais elle met davantage l’accent sur la cohabitation que sur le caractère commun du témoignage de la foi. L’Église protestante saluerait avec joie le souci de l’Islam d’agir … en tant que force humanisante agissant au cœur de la société … C’est une tâche commune aux Chrétiens comme aux Musulmans de manifester leur foi réciproque de manière telle qu’un jour soient promues leur humanité et leur responsabilité devant Dieu (p. 23). Assurément, évoque les défis communs, mais il n’est pas question d’une foi commune et l’espérance d’une force humanisante de l’Islam reste exprimée sur mode du souhaitable. Le conseil de coordination des Musulmans, un regroupement de quatre associations musulmanes de tutelle d’Allemagne, a pris prétexte de ce document pour critiquer vivement l’Eglise protestante d'Allemagne (EKD) et pour refuser une rencontre avec le Conseil de l’église protestante d'Allemagne prévue pour février 2007. A l’occasion d’une rencontre qui aura bien lieu ensuite le 30 mai 2007, au cours de laquelle les divergences n’ont pu être écartées, le conseil muselman de coordination publia une prise de position propre sur le texte protestant dont il fit le reproche à ses auteurs d’avoir ébranlé la confiance  .

1.    Charia et Loi fondamentale

La pierre de touche centrale de la vie commune paisible des Chrétiens et des Musulmans, non seulement en Allemagne, mais dans toute société, est la reconnaissance de l’ordre juridique et constitutionnel laïque, donc la séparation de la religion et de la politique. Mais une telle séparation n’existe pas dans l’Islam. La Charia, le droit islamique, connaît seulement l’unité de l’ordre de la croyance et de du droit. Elle réglemente les relations des individus à Dieu, au milieu, à la famille, à la société et à l’État (Z. 154). Elle réside dans les réglementations contenues dans le Coran, les dits du prophète et dans la tradition, relatives à la vie religieuse et civile. Dieu est considéré comme l’unique législateur. Il n’existe aucune place pour un législateur terrestre souverain. Le « Conseil des gardiens de la foi » est au-dessus du Parlement comme en Iran.

Tandis que le document de l’église protestante d'Allemagne (EKD) aborde clairement la possibilité de conflit de la Charia dans le droit pénal, conjugal et familial et souligne l’incompatibilité des jugements de la Charia avec l’État libéral de la Loi fondamentale (p. 35), le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) demeure dans une ambiguïté non pertinente. Certes, il constate d’une part que l’idéal de l’État islamique traditionnel n’est pas compatible avec les principes démocratiques (Z. 181). Mais il affirme d’autre part que les Musulmans, qui « en se référant à la liberté religieuse contestent par des voies juridiques l’application des exigences fondées sur le droit de la Charia …contribuent à l’intégration de l’Islam à un ordre juridique jusque là étranger » (Z.316). Une telle affirmation n’est pas défendable. Si la Charia est incompatible avec la Loi fondamentale, le combat pour sa reconnaissance est un combat qui se situe à l’encontre de la Loi fondamentale. Le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) renvoie certes au fait que beaucoup de « non Musulmans » redoutent qu’une reconnaissance de la Loi fondamentale, fondée sur la Charia finisse par aboutir non seulement à la modification de la Loi fondamentale, mais il laisse ouvert la question de savoir s’il tient pour  justifiée la crainte des « non Musulmans ».

Dans les deux documents, la « charte islamique » que le conseil central des Musulmans d’Allemagne a publié le 20 février 2002 fait l’objet aussi d’une évaluation contrastée. Les Musulmans y reconnaissent la Loi fondamentale comme une réglementation locale dont le respect est obligatoire pour les Musulmans de la Diaspora qui respectent le droit islamique . Tandis que le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) considère cela comme un « un progrès important » dans le sens d’une reconnaissance de l’État de droit laïque, celui de l’église protestante d'Allemagne (l’EKD) est beaucoup plus réservé : « Cette charte contient certes une reconnaissance positive de principe de la démocratie de la Loi fondamentale, mais elle comporte une série de limitations et d’imprécisions à un point tel que la question fondamentale du rapport des conceptions de l’ordre islamique et laïque ne reçoivent pas de réponses satisfaisantes, ni du point de vue théologique ni du point de vue politique (p. 103 ; cf. aussi p. 23). Cette réserve portant sur la relativisation de la Loi fondamentale comme un ordre de droit « local » des « Musulmans de la Diaspora » auquel le droit islamique, donc la Charia, demande de se tenir, est davantage justifiée que l’éloge du document de la DBK.


2.    Situation juridique de l’Islam en Allemagne


Les Églises et de nombreuses communautés religieuses en Allemagne ont le statut juridique d’une personne morale de droit public. C’est une particularité allemande qui traduit le fait que les Églises n’ont pas à la différence de la France le statut de droit privé, mais celui d’une institution de droit public. Un tel statut d’une personne morale rend les Églises habilitées à régler leurs propres affaires de façon autonome et à être en même temps partenaires de l’État de droit. A l’égard de leurs membres, elles exercent des fonctions quasi souveraines, elle peuvent lever des impôts, organiser leur propre administration, leurs fonctions et leurs modalités de formation de façon indépendante, assurant aussi la présence de la religion dans le domaine éducatif, dans les services sociaux et les organismes publics. Cette attribution du statut de la personne morale est liée à plusieurs préalables : la présence d’une structure avec des représentants autorisés et des membres patentés, la reconnaissance de la constitution, le respect général du droit ainsi qu’un engagement actif en faveur du bien commun. Les communautés d’Églises et de religion, possédant le statut d’une personne morale de droit public, bénéficient, d’après le texte de l’eglise protestante d'Allemagne (EKD), non pas de privilèges, mais de modalités d’action indépendant «dont l’exercice profite autant à elles-mêmes qu’à toute la société» (p. 80).

Plusieurs associations islamiques cherchent à obtenir ce statut juridique et se plaignent de ne pas l’avoir obtenu jusqu’ici. Les documents des deux Églises mentionnent cette quête des associations islamiques de façon détaillée et aboutissent à la même conclusion de l’absence des préalables nécessaires à l’attribution de ce statut d’une personne morale. Même si, comme le constate l’eglise protestante d'Allemagne (EKD), ce n’est pas dans l’intérêt de l’Église que ce statut soit refusé aux Musulmans et à d’autres communautés religieuses » (p. 79), les deux Églises ne voient pourtant aucune possibilité pour les associations islamiques d’entrer dans un rapport de coopération avec l’État en tant que détenteur du statut avec les droits et les devoirs réciproques (Z. 518/S. 80). En outre, le document de l’EKD met en garde clairement contre des modifications de préalables retenus pour l’attribution du statut – dans le sens d’une personne morale de droit public – afin de l’adapter à ces associations islamiques. On ne devrait entrevoir «aucune exemption de nature religieuse des exigences requises» et les organisations qui n’ont aucun engagement en faveur du bien commun à faire valoir, mais qui laissent plutôt supposer qu’elles développent des activités préjudiciables à l’intégration et à la démocratie ne devraient pas recevoir ce statut» (p. 80 s.).


3.    Droits de l’homme

La reconnaissance de la dignité naturelle et des mêmes droits imprescriptibles de tous les membres de la communauté humaine constitue, d’après le Préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies du 10 décembre 1948, « le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Dans son article 1, la Loi fondamentale du 23 mai 1949 a repris cette déclaration presque mot pour mot. Dès lors, il existe aussi une série de déclarations des droits de l’homme islamiques, la Déclaration générale des Droits de l’homme en Islam du 19 septembre 1981, la Déclaration des Droits de l’homme en Islam du Caire votée le 5 août 1990, par l’Organisation de la Conférence islamique des Etats membres et la charte des Droits de l’homme du 15 septembre 1994 votée par la Ligue des Etats arabes . Pourtant toutes ces déclarations sont relativisées par la prééminence de la Charia, non seulement dans les droits de l’homme individuels comme le droit à la vie, le droit de pensée, de conscience et de parole, le droit de la liberté religieuse, le droit de fonder une famille et le droit de la liberté de séjour, mais encore par des clauses générales comme on la trouve dans la Déclaration du Caire sur les Droits de l’homme en Islam dans les articles 24 et 25 : « Tous les droits et toutes les libertés énumérées dans cette déclaration sont soumises à la Charia de l’Islam » (art. 24) et « la Charia de l’Islam est l’unique point de référence à la Déclaration et à chacun des articles de cette Déclaration » (art. 25). Comme la Charia ignore tout droit de liberté de religion et d’opinion, tout droit d’égalité indépendant du sexe et tout droit d’intégrité physique et qu’elle envisage la peine capitale pour l’apostasie de l’Islam, de telles réserves rendent les déclarations islamiques des Droits de l’homme sans valeur.

La réaction des documents des deux Églises à ces Déclarations des Droits de l’Homme est très différente. Tandis que le Conseil de l’église protestante d'Allemagne (EKD) renvoie sans ambiguïté à ces réserves, les auteurs du document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) en viennent à se réjouir de ce que le concept des Droits de l’homme «commence peu à peu à prendre une position clé également chez les Musulmans» (Z. 309). Certes, ce document comporte aussi des réserves. Les Déclarations des Droits de l’homme islamiques attribueraient « à des concepts majeurs  un sens », « non compatible » avec celui de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies (Z. 309) et leurs références constantes à la Charia constituent un obstacle (Z. 310). Mais ces réserves restent bien discrètes et font aussitôt l’objet d’une nouvelle relativisation. En effet, il faut, selon les auteurs, reconnaître « que dans ces Déclarations, il s’agit de valeurs essentielles » (Z. 310). Une telle valorisation des Déclarations islamiques des Droits de l’homme est tellement inadéquate qu’elle équivaut, non seulement à une négation des Droits de l’homme des Nations Unies, mais encore à la Déclaration conciliaire sur la Liberté religieuse et à la Doctrine sociale de l’Église dont les affirmations sur les Droits de l’homme obligent à constater que l’Islam refuse en fait de reconnaître la valeur universelle des Droits de l’Homme. A cet égard, le document de l’EKD ne craint pas de souligner que « la prééminence de la loi religieuse », c’est-à-dire de la Charia, implique « qu’elle ne concède pas de valeur aux Droits de l’homme indépendants de la Révélation de l’Islam – justifiés de façon laïque – ou même en contradiction avec elle » (p. 36).

a)    Négation de la liberté religieuse

Que l’Islam ignore le droit de la liberté religieuse n’a rien à voir avec une affirmation de critiques malveillants, mais c’est un fait largement établi en théorie comme dans la pratique. La sourate, souvent citée, (2, 256) : « il n’y a aucune contrainte dans la religion » que généralement on oppose au critique, se rapporte aux droits des non Musulmans, plus précisément aux Juifs et aux Chrétiens vivant en terre d’Islam. L’exercice de leur religion est toléré – bien que seulement dans le cadre privé, c’est-à-dire à l’intérieur des églises et avec une reconnaissance de droits limités de citoyens. Le prosélytisme auprès des Musulmans et l’abjuration de l’Islam sont punis de la peine capitale. L’abandon volontaire de l’Islam est, selon la Charia, non un « changement religieux privé , mais un acte politique de trahison contre l’État ou  de haute trahison », selon les termes de l’EKD ajoutant que le Coran lui-même se contente de parler « de façon très générale » de l’abandon de l’Islam, mais que la tradition formule de façon bien plus radicale, une tradition qui s’appuie sur des « hadīths », donc des paroles de Mohammed, déclarant : ‘ « Qui change de religion, doit être exécuté ! » (p. 37).
En ce qui regarde la liberté religieuse, les documents des Églises catholique et protestante sont d’accord sur trois points : la Charia méconnaît ce droit ; dans aucun pays islamique, les Chrétiens et les non Musulmans ne jouissent d’une liberté religieuse pleine et entière et les Musulmans d’Allemagne ne peuvent revendiquer ce droit de liberté religieuse pour propager des convictions « qui en recourant à des arguments religieux nient la légitimité de l’État laïque ou qui ne la défendent que de façon restreinte » (Z. 531, cf. aussi Z. 218 ; document de l’EKD : p. 28). Sur deux points, les documents se différencient pourtant : sur l’importance de la mission et la relativisation de la critique relative au manque de liberté dans l’Islam. Le document de l’Église protestante est le seul à souligner que l’obligation missionnaire est partie constitutive de la foi chrétienne. C’est, selon lui, la mission de l’Église « d’annoncer la Nouvelle de la Justification du monde entier ». En effet, la mission est «davantage qu’une simple rencontre respectueuse. Elle implique le témoignage du Dieu trinitaire qui affranchit l’homme par Jésus pour le conduire à sa véritable humanité. Il est exclu pour l’Église protestante de taire ce témoignage ou d’en priver les adeptes des autres religions » (p.15). C’est de façon inadaptée que le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) relativise sa critique du manque de liberté religieuse dans l’Islam, en faisant la constatation autocritique que cette reconnaissance de la liberté religieuse « a dû, même dans la chrétienté, être une réalité historique encore toute récente et qu’il a fallu parfois la conquérir contre la résistance des grandes Églises » (Z. 520). Cette relativisation néglige de voir que dans la question de la liberté religieuse, il s’agit d’abord de la nature même de la religion et non de la défaillance des membres de cette religion. Mais de la part du Christ, la tradition ne lui attribue aucune affirmation selon laquelle il faille tuer ceux qui se séparent de lui ou qui même refusent de le suivre. Cette relativisation des affirmations critiques de l’Islam expliquée par l’attitude selon laquelle «  Nous non plus, nous ne sommes pas meilleurs » ou « Nous sommes complices » du devenir actuel de l’Islam que nous constatons sur quelques autres points, ne promeut ni le bon voisinage ni le dialogue entre les Chrétiens et les Musulmans.

b)    Discrimination de la femme

Le fait que le droit de l’homme à l’égalité juridique, indépendamment du sexe n’a aucune valeur pour l’Islam n’est pas non plus l’affirmation de critiques malveillants, mais c’est un fait avéré en théorie comme en pratique. La femme est l’objet de multiples discriminations dans la tolérance de la polygamie, dans le droit islamique du mariage, de la famille, du divorce et de garde, dans le droit succesoral et de procédure. La plupart de ces discriminations sont déjà ancrés dans le Coran, la polygamie est mentionnée dans la sourate 4, 3 ; le désavantage dans le droit succesoral dans la sourate 4, 11 ; le droit de procédure dans la sourate 2, 282 et dans le droit conjugal dans la sourate 4, 34 qui ne se contente pas de désigner l’homme supérieur à la femme, mais lui concède aussi un droit de correction envers la femme :
« Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquels Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci. Et parce que les hommes emploient leurs biens pour doter les femmes. Les femmes vertueuses sont obéissantes et soumises ; elles conservent soigneusement pendant l’absence de leurs maris ce que Dieu a ordonné de conserver intact. Vous réprimanderez celles dont vous aurez à craindre l’inobéissance ; vous les reléguerez dans des lits à part ; vous les battrez ; mais aussitôt qu’elles vous obéissent, ne leur cherchez point querelle » [Traduction de Kasimrsky, Flammarion, 1970].
Ces deux documents sur la discrimination de la femme dans l’Islam ne laissent aucun doute (Z. 246-252 ; Document de l’EKD, p. 39-41 ; 53 s.). Ils signalent aussi les sourates spécifiques justifiant cette discrimination et à cet égard, mais le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) cite en faisant référence à la sourate de 4, 34 seulement la moitié du texte et tait le droit de correction du mari (Z. 248). Dans un des paragraphes suivants sur « le mariage entre Catholiques et Musulmans » où il cite encore la sourate en son entier, il s’empresse d’ajouter : « Si des débordements se produisent ou non, cela ne s’explique pas de façon évidente dans la réalité par le droit de correction qu’à la suite du Coran, la Charia concède traditionnellement à l’homme, mais par le degré d’éducation et d’équilibre qu’ont atteint les partenaires » (Z. 380). Il semble que les auteurs du document ont de la peine à se référer aux passages irritants du Coran ou de la Charia pour en discuter le contenu sans fioriture. Et l’on n’est pas non plus surpris qu’ils constatent soudainement, après l’énumération de toute une série de discriminations subies par la femme qu’elles n’auraient rien à voir avec le Coran, mais qu’elles seraient dues plutôt « à des coutumes d’origine plus ancienne,  répandues tout autour de la Méditerranée» (Z. 168) et qu’elles seraient plus particulièrement la conséquence des « mœurs de nature patriarcale dont l’existence est établie bien avant, ce que d’ailleurs l’on trouve aussi dans la culture et la théologie des peuples marqués par le christianisme, en particulier dans les Lettres de saint Paul aux Ephésiens et aux Corinthiens. ». « En portant un jugement aussi ouvert, on n’aboutira pas à l’affirmation selon laquelle que ce que nous considérons comme des discriminations qui affectent la femme ait été causé par le Coran et la Sunna dans les pays d’expansion islamique. Pourtant elles connaissent une civilisation patriarcale existant déjà là-bas, liée à la relégation de la femme, avec la prétendu volonté de Dieu et, ainsi sans doute, depuis longtemps assimilée » (Z. 253). Cette relativisation de la critique ne rend pas compte correctement de la Charia, pas davantage que la précision selon laquelle « ce ne serait pas mieux chez les Chrétiens ». A l’opposé, le document de l’EKD est bien plus fidèle à la réalité quand il constate d’une part « que les causes de tous les désavantages des femmes des pays à majorité musulmane ne sont pas à attribuer à l’Islam », mais d’autre part, il constate en même temps que « la législation de la Charia sur le droit du mariage et de la famille provoque dans les faits un écart du droit, qui manifestement favorise l’homme et discrimine la femme. »


4.    Le Djihad


Le 11 septembre 2001 et les attentats qui ont suivi dans de nombreux pays d’Europe, d’Afrique et d’Asie ont fait de l’Islam et de la violence un brûlot permanent. Les documents de la Conférence épiscopale allemande et de l’église protestante d'Allemagne s’y sont consacrés en détail. Même si le document de la DBK déclare à juste titre que le Djihad n’est pas la sixième colonne de l’Islam (Z. 142) et que la « grande Djihad » est d’abord « le combat de tout croyant contre les basses pulsions de l’âme individuelle » (Z. 146), alors que le document de l’église protestante d'Allemagne fait remarquer que le Coran « parle souvent de la bonté et de la miséricorde de Dieu » (p. 19) et qu’il comporte une série de sourates limitant la violence » (p. 43), les deux documents ne laissent aucun doute sur le fait que le Coran – dans les sourates 9, 5 et 9, 29 – appelle à combattre activement ceux qui ne croient pas en Dieu et, dans le cas où ils ne se rendent pas et ne deviennent pas Musulmans, à les tuer (Z. 142) et que les déclarations légitimant la violence (comme les sourates 2, 190-194 ; 4, 76 ; 4, 89 ; 9, 5 ; 9, 14-15) reviennent très fréquemment.

Mais le document de la DBK relativise l’obligation de la Djihad contre les incroyants – celle que l’on appelle la petite Djihad – comme un élément d’une « compréhension de l’État islamique prémoderne » (Z. 143) dont les Musulmans d’aujourd’hui se seraient « largement détachés » (Z. 150). En outre, ce ne serait pas une « obligation individuelle pour chaque Musulman. Il suffit, quand la Direction de l’État en porte le souci, que cela continue » (Z. 143). La plupart des auteurs Musulmans d’aujourd’hui « auraient en outre déclaré légitime le caractère seulement défensif de la Djihad » (Z. 148). La question critique sur ce sujet est pour le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) proprement audacieuse : « il resterait le problème de savoir   de quelle manière ce cas de la défense serait défini de façon rigoureuse ». Il se trouve qu’il existe de très larges conceptions sur les occasions légitimes de la défense militaire » (Z. 148). Egalement l’invitation faite aux Musulmans qui affirment que l’Islam est une religion pacifique, de justifier « pourquoi ils pensent ainsi, alors que bien des versets du Coran parlent un autre langage (Z. 150), accuse tout simplement une distance considérable.

Les auteurs musulmans d’attentats suicides sont à juste titre mis en lien avec le Coran dans les deux documents ; il promet dans la sourate 3, 169, 2, 14 et 22, 58 à ceux qui sont tombés dans la Djihad,  « des martyrs d’après la terminologie islamique », l’accès immédiat au paradis (Z. 142 ; document de l’EKD, p. 44). Ni le document de l’EKD ni celui de la DBK ne renvoie à la sourate 4, 95 qui comporte la motivation la plus intense des auteurs des attentats suicides, parce qu’à ceux qui meurent dans la lutte pour Allah, elle concède non seulement l’accès immédiat au paradis, mais là aussi la préférence sur ceux qui sans combattre restent à la maison. Finalement le document de l’EKD refuse l’idée des auteurs d’attentats suicides pour un motif eschatologique : ils voulaient « esquiver le jugement par une mort de martyr dans l’espoir … que leur action leur ouvre directement les portes du paradis » (p. 20). Cela est en contradiction avec l’idée d’un Dieu juge, face à qui tout croyant doit être responsable – également d’après l’Islam. Même au sujet des auteurs d’attentats suicides, le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) ne peut s’empêcher de céder à la tendance à relativiser cette interpellation critique. Leur haine renvoie « au moins autant à des raisons politiques et sociales que religieuses ». Les dysfonctionnements sociaux, la répression et la corruption seraient tout aussi responsables de la mentalité sectaire de ces groupes que les conséquences de la colonisation européenne, qui demeurent encore tangibles de nos jours» et un ordre économique international favorisant les nations industrielles occidentales » (Z. 152).


5.    Chrétiens et Musulmans

La critique de l’Islam, contenue dans le document de l’église protestante d'Allemagne, n’a pas facilité le dialogue entre Chrétiens et Musulmans. Pourtant cette critique était nécessaire. La clarté dans l’exposé des problèmes est un préalable de la solution de ces problèmes. La clarté de vue est une condition de l’action juste ainsi que d’un dialogue dont le but est un bon voisinage. Dans la description des problèmes que pose la Charia, le document de l’EKD est d’une plus grande utilité que celui de la DBK qui tend à relativiser sans cesse les nombreux problèmes dès qu’elle s’est contentée de les indiquer. La distinction entre l’erreur et ceux qui la commettent qui, au début des années 60, a été à la base du dialogue de Jean XXIII avec les représentants des pays communistes auraient pu offrir aux auteurs du document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) un fil directeur  qui aurait pu les préserver de ces relativisations inadéquates. Il est certain que la description des problèmes ne peut être que le début et jamais la fin du dialogue. Celui-ci est une nécessité. Il comporte divers niveaux, à commencer par le niveau de la vie quotidienne, c’est-à-dire la vie sociale commune, dans l’entreprise, dans les écoles et les hôpitaux, ensuite le niveau politique et globale de la responsabilité commune de la paix et du bien commun et finalement le niveau des experts théologiques et celui de l’échange d’expériences spirituelles . Sur tous ces plans, on facilite le dialogue quand on suit un conseil exprimé dans le document de la Conférence épiscopale allemande, invitant Chrétiens et Musulmans à prendre conscience qu’ « il existe un troisième élément essentiel qui détermine et marque la rencontre, à côté des deux convictions de la foi : à savoir toujours l’État de droit d’une neutralité religieuse, disons, la société avec ses structures laïques » et ce n’est « pas l’appartenance religieuse, mais c’est l’ordre juridique fondée sur des bases laïques qui … (définit) l’État juridique de l’homme » (Z. 312). Suivre un tel conseil est assurément une exigence plus grande de la part des Musulmans que de la part des Chrétiens qui depuis deux siècles sont passés par la dure école de la sécularisation. Cet ordre juridique laïque est « le fondement tant d’une liberté religieuse propre que de la vie commune à égalité de droits des diverses religions » (Z. 318). Telle est la condition d’un bon voisinage.

Prof. Dr Manfred Spieker (traduction Jacques Chauvin)
mspieker@uos.de
Coventry - septembre 2007
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14 septembre 2007 5 14 /09 /septembre /2007 06:05
“The scope of this visit is dialogue, brotherhood, a commitment for understanding between cultures, between religions, for reconciliation,"   (Pope Benedict XVI at the beginning of his visit to Turkey)

The confrontation between the different traditions of thought and forms of society that are represented by the Christian tradition and the Islamic world is one of the two most important issues of our age. It has the potential for endless conflict, vast loss of life, immeasurable cruelty, and even nuclear war. More than that, in the secularised North, all religious conflict is seen as justifying attacks on religion, including Christianity.


In addition, there is a growing tendency in political thought to see confrontation with Islam as inevitable, not as facing a religious system, but as facing a perceived mediaeval religious ideology. The Church can too easily be drawn into this, as a sort of partner, unwilling or even critical, but not providing an alternative to the tendency to say: “The great questions of the day will not be settled by resolutions or the votes of majorities in assemblies... but by Blood & Iron.”  The costs  of that error and sin are borne afresh every day by another soldier’s family in this country.

The formative influence in this pattern of thought in the last 20 years, and especially since 2001, has been Samuel Huntington’s Clash of Civilisations  in which he argues that wars between civilisation groups rather than nation states are inevitable. This approach, which is followed by many other political scientists, has been taken up especially with regard to Islam, based on the long history of conflict between Christendom and Islam, going back to the 7th century.

Many Christian groups have almost welcomed this analysis, and seen in it the justification required to excuse many of the actions of “Christian” countries towards the world of Islam. Other have welcomed it as explaining the perceived and experienced threat. Within Protestant circles, revisionist theology has called for a syncretistic approach, in which the common values of the faiths are emphasised to the point where no distinctions can be recognised. This is also true amongst Anglo Saxon secular thinking, where it is not overtly atheist.

And yet, as I want to suggest, the Church has both the understanding and the means to face this great issue with tools and opportunities that can offer a genuine solution.

The understanding comes first. Christians understand the importance of the spiritual life, and thus should be able to relate to Islam in a way that the secular may find more difficult. In Nigeria I was challenged as to my own belief in the incarnation and deity of Christ, by a Muslim. His disappointment in my answer that I held to those beliefs was as nothing to what he feared I would say; that I believed that we all though the same. There was the capacity for dialogue based on mutual respect.

In addition, we know that as it is impossible to talk about “Christians” as a monolithic group, and thus should understand that it is impossible to talk about Islam or Muslims, who, like Christians, are profoundly influenced by culture, history and circumstances. Social hermeneutics matters. A brief comparison of middle eastern and west African Islam is adequate evidence of this. Islam has different approaches, and part of the effort of reconciliation is finding commonalities that develop confidence; the social teaching of the Church is, I suggest, the supreme example.

Finally, Christians have the tools of theology. For example, Islamic theology is based above all on the oneness of God (tawhid). Oneness presupposes the unity of all aspects of life (hence no secular and sacred divide), of society (hence questions about democracy for many Muslims) and above all the unity of the  ummah, the community of God. These are ideas that we may not entirely agree with, but in our own theology have the tools to analyse and appreciate.

What do we mean by reconciliation? A Nigerian police general once remarked to me, after some very violent riots in which more than 5,000 people died, “our army needs to learn that there are intermediate steps between being in barracks and opening fire”. In the same way, reconciliation is not one extreme, at the other end of which is open conflict and between which there is nothing, but rather it is the means by which we are able to manage conflict into being non violent, without compromising on the truth which has been revealed.

The nature of reconciliation is revealed above all in the New Testament, in Matthew 5:8, and the teaching of St Paul, above all in 2 Corinthians 5. Jesus speaks of the blessing for peacemakers, and St Paul calls on Christians to be ambassadors of reconciliation with God, in Christ. But the visible evidence of reconciliation with God is only secondarily the individual’s experience of God. Primarily, the true evidence of reconciliation is the church assembled for the Eucharist, the people of God in the presence of God, “although we are many, we are one body, because we all share in one bread” . Moreover, the nature of the church is not identity but unity, in diversity . The divine gift of reconciliation, received in grace, far surpasses our capacity to consume it ourselves, but overflows to the broken and bitter world in which we live. A reconciled people will be a reconciling people.

This is why at Coventry we define reconciliation between people NOT as agreement, but rather as “the transformation of violent conflict into non-violent co-operation or competition”. Reconciliation becomes, between people, a tool for the management of conflict.

Let us return for to the confrontation with Islam. First, history is disputed. Let me tell you the history of the last 200 years through Islamic eyes, remembering that in Islam there is no divide between the secular and the sacred. The actions of nations with a Christian culture are the actions of Christians. First, almost every Islamic nation in the world was colonised by Christian invasion, with the one exception of what is now Saudi Arabia. Secondly, Christian methods of trade, especially usury, were imposed through the Christian global financial system. Thirdly, the vocabulary of world politics is Christian, in dating, in the universal declaration of human rights, and in agendas of feminism and secularism. Finally, Christians have imposed the state of Israel on the middle east, and since 2000 twice invaded Muslim countries, both of which they now occupy. And we Muslims are seen as a threat?!

As Christians we may reply with conviction; but without the capacity to persuade. History will not give us the means to effect a dialogue that is transforming of violent conflict.

But the social teaching of the church will. Forgive me being critical, and Paul Dembinski has heard me say this before, but the corpus of social teaching, especially that of John Paul II, is the best kept secret of the Church.  In the social teaching there are the bridges to the vast majority of Muslims, that have a common root in the dignity of the human person, and which bring a sympathetic response. In the common destination of goods there are echoes of the idea of zakah ; in the idea of solidarity links to the doctrine of the ummah; time does not permit me to expand sufficiently. In the concept of mustad’afun fi’l ard  there is the recognition of the call to justice and peace.

In addition there are clear examples of such practical reconciliation. In South Africa Muslims and Christians struggled together against apartheid.  The breaking of barriers was through the common struggle for human dignity, in which social teaching is foundational as the expression of faith.
“The Pope said Christians and Muslims both valued the sacred and ‘the dignity of the person’. This is the basis of our mutual respect and esteem, he said. ‘We are called to work together via authentic dialogue.’ ”
Reconciliation in Christian theology is based on truth. Therefore although Catholic social teaching provides the path for reconciliation, a truthful approach requires recognition of difference. In Kenya, challenged by national Christian leaders on what to do about the “Islamic agenda to Islamise Africa” a Christian Nigerian replied “have an agenda to Christianise Africa, peacefully by your example”. Syncretism demeans all faith; an acknowledgement of difference, allied with co-operation in all possible areas, with those who will accept the basic concept of the dignity of all human beings, provides a path and the means for reconciliation.

More than that, it is politically sensible. The development of common programmes of action based on the Church’s social teaching will always be necessarily with those who are willing for partnership, and will strengthen them at the expense of the more extreme groups.

Last of all; we have no choice. Called to be those who love our enemies, to be ambassadors of reconciliation, we are not permitted to take the path of secularised violence, or cult like aggression.
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14 septembre 2007 5 14 /09 /septembre /2007 05:56
Le dialogue interreligieux institutionnalisé est un phénomène nouveau et l’Église catholique est actuellement la seule à posséder une doctrine élaborée à travers un ensemble de documents qui permettent de le présenter de manière assez précise en évitant le « choc des civilisations » au nom de la religion, sans pour autant renoncer à la mission d’évangélisation. C’est ce thème qui sera développé maintenant.
Le dialogue et la mission ont des rapports variés qui selon les interprétations peuvent être complémentaires ou contraires, voire contradictoires. Vatican II a insisté sur la nécessité du dialogue sans diminuer l’importance de la proclamation de la foi, il a même considéré le dialogue comme une des voies privilégiées de l’annonce évangélique.
En entrant dans le troisième millénaire, Jean-Paul II annonçait que cette nouvelle période de l’histoire de l’Église serait caractérisée par l’évangélisation de l’Asie des grandes civilisations ce qui impliquait des approches spécifiques pour tenir compte non seulement des nouvelles mentalités liées à la modernité, mais aussi de la richesse de ces cultures où la religion occupe une place décisive.
Après avoir rappelé les principes, nous nous attacherons brièvement au dialogue avec le Judaïsme, puis avec l’Islam et enfin avec l’Asie des grandes cultures .

− Les principes

Dans sa première encyclique Paul VI déclara : L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation. Aussitôt il nota le risque encouru par l’Église dans ce dialogue : Comment doit-elle se prémunir contre le danger d’un relativisme qui entamerait sa fidélité au dogme et à la morale ? (...) L’art de l’apôtre est plein de risques. La préoccupation d’approcher nos frères ne doit pas se traduire par une atténuation, par une diminution de la vérité. Notre dialogue ne peut être une faiblesse vis-à-vis des engagements de notre foi. L’apostolat ne peut transiger et se transformer en compromis ambigu au sujet des principes de pensée et d’action qui doivent distinguer notre profession chrétienne. L’irénisme et le syncrétisme sont, au fond, des formes de scepticisme envers la force et le contenu de la Parole de Dieu que nous voulons prêcher. Il distinguait des cercles concentriques : d’abord tous les hommes, ensuite ceux qui croient en Dieu, puis les chrétiens et enfin les fidèles au sein de l’Église catholique elle-même. À tous, il proposait le respect, l’amitié et la charité dans l’exercice du dialogue.
Jean-Paul II, dans sa première encyclique intitulée Redemptor hominis (1979), commença par affirmer la priorité absolue du Christ dans l’annonce du mystère : Jésus Christ est le principe stable et le centre permanent de la mission que Dieu lui-même a confiée à l’homme et si cette mission semble rencontrer à notre époque des oppositions plus grandes qu’en n’importe quel autre temps, cela montre qu’elle est actuellement et – malgré les oppositions – plus attendue que jamais. Puis, avec l’encyclique Redemptoris Missio (1990), il indiqua les rapports entre le dialogue interreligieux et l’annonce missionnaire : Le dialogue interreligieux fait partie de la mission évangélisatrice de l’Église. Entendu comme méthode et comme moyen en vue d’une connaissance et d’un enrichissement réciproques, il ne s’oppose pas à la mission ad gentes, au contraire, il lui est spécialement lié et il en est une expression (…) Le Concile et les enseignements ultérieurs du magistère ont amplement souligné tout cela, maintenant toujours avec fermeté que le salut vient du Christ et que le dialogue ne dispense pas de l’évangélisation (…) il faut que ces deux éléments demeurent intimement liés et en même temps distincts, et c’est pourquoi on ne doit ni les confondre, ni les exploiter, ni les tenir pour équivalents comme s’ils étaient interchangeables (…) Le dialogue doit être conduit et mis en œuvre dans la conviction que l’Église est la voie ordinaire du salut et qu’elle seule possède la plénitude des moyens du salut (n.55).
Les formes de ce dialogue peuvent avoir des expressions multiples : depuis les échanges entre experts de traditions religieuses ou entre représentants officiels de celles-ci jusqu’à la collaboration pour le développement intégral et la sauvegarde des valeurs religieuses ; de la communication des expériences spirituelles respectives à ce qu’il est convenu d’appeler « le dialogue de vie », à travers lequel les croyants de diverses confessions témoignent les uns pour les autres, dans l’existence quotidienne, de leurs valeurs humaines et spirituelles et s’entraident à en vivre pour édifier une société plus juste et plus fraternelle.
Enfin dans Tertio Millenio adveniente préparant le jubilé de l’an 2000, Jean-Paul II écrit : Jésus Christ est le nouveau commencement de tout : en lui tout se retrouve, tout est accueilli et est rendu au Créateur de qui il a pris son origine. De cette façon, le Christ est la réalisation de l’aspiration de toutes les religions du monde et, par cela même, il en est l’aboutissement unique et définitif.
Ces affirmations du magistère ne laissent aucun doute sur la pensée de l’Église catholique à propos du dialogue et de sa compatibilité avec la mission.

− Positions théologiques

On verra maintenant comment se pose concrètement la rencontre du catholicisme avec les autres religions. Trois positions typiques sont possibles dans le dialogue interreligieux : l’exclusivisme, l’inclusivisme et le pluralisme. Dans le premier cas on exclut du salut ceux qui n’appartiennent pas à l’Église visible. Dans le second cas on admet que certaines voies non chrétiennes peuvent être invisiblement incluses dans le Christ et son Église dont le corps mystique s’étend bien au-delà de sa visibilité. Dans le troisième cas, le pluralisme, il y aurait des voies non chrétiennes, non ecclésiales, qui parallèlement à l’Église tiendraient lieu de médiations vers le Royaume.
L’exclusivisme qui fut longtemps cru et enseigné, n’est pas admissible aujourd’hui et cette prise de conscience théologique a connu au Concile Vatican II son expression classique.
L’inclusivisme est défendu par des théologiens comme Jean Daniélou, Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar, Charles Journet et, on le verra plus loin, par Joseph Ratzinger – alors président de la Congrégation pour la défense de la foi –, qui tous s’opposent au pluralisme.
En 1953, Jean Daniélou  faisait remarquer que la différence du Christianisme et des religions non chrétiennes est celle du héros et du saint. Le héros prend son destin en main, le saint s’appuie sur la force de Dieu. À la même époque le P. de Lubac écrivait de son côté : Les religions et les sagesses humaines ne sont pas comme autant de sentiers gravissant, par des versants divers, les pentes d’une montagne unique. On les comparerait plutôt, dans leurs idéaux respectifs, à autant de sommets distincts, séparés par des abîmes, et le pèlerin qui s’est égaré, hors de la seule direction, sur le plus haut sommet, risque de se trouver, de tous, le plus éloigné du but .
Urs von Balthasar va dans le même sens : Il ne faut donc absolument pas songer à une convergence et une harmonisation de l’histoire du monde et de l’histoire du royaume de Dieu. Il en va plutôt comme le dit la parabole : le bon grain et la mauvaise herbe croissent en même temps, parce que la responsabilité grandissante de l’homme historique et civilisé à l’égard de lui-même aussi bien que la responsabilité grandissante du croyant qui administre l’héritage du Christ, à l’égard de Dieu, conduisent à des décisions toujours plus radicales .
Enfin, Charles Journet dans L’Église du Verbe incarné  identifie Église et Royaume en ne voyant qu’une distinction conceptuelle entre, d’une part, l’Église et d’autre part, le corps du Christ ou le Royaume de Dieu . Cette Église connaît une loi progressive d’incarnation en vertu de laquelle elle apparaît d’autant plus visible, et par conséquent d’autant plus différenciée des formations temporelles ethniques et politiques, qu’elle est plus spirituelle . Et à propos du salut des non-chrétiens, il écrit : Là donc où les grâces du salut ne peuvent les rejoindre plénièrement par la prédication de l’évangile et la dispensation des sacrements, elles les atteindront néanmoins secrètement, utilisant pour les éclairer et les secourir les traditions valables, les données doctrinales et sociales authentiques des milieux où ils vivent contraignant finalement chacun d’eux dans l’intimité de son cœur à répondre ou par oui ou par non aux prévenances d’une lumière qui, sans qu’ils le sachent toujours, leur vient du Christ ; en sorte que ceux d’entre eux qui se font dociles à ces prévenances, sans cesser d’appartenir visiblement (corpore), à leurs propres formations religieuses, appartiennent déjà réellement et spirituellement (corde), – peut-être à leur insu – à l’Église même du Christ, d’une manière déjà salutaire bien qu’encore non plénière, non pleinement épanouie .
L’Église dans son mystère, est considérée ici comme indispensable, mais en distinguant l’Église en acte achevé et plénier et l’Église en acte encore inachevé et imparfait .
Les théologiens qui défendent le pluralisme religieux, comme Karl Rahner, Yves Congar, Edward Schillebeeckx, Hans Kung, Raimud Panikkar et Jacques Dupuis, opposent, plus ou moins radicalement, le christocentrisme à l’ecclésiocentrisme et procèdent par séparations : entre l’Église et le Royaume, entre le Logos et Jésus-Christ, entre l’Esprit Saint et l’Église, et reconnaissent aux religions non-chrétiennes un statut de médiatrices possibles vers le Royaume en parallèle avec l’Église.
Karl Rahner prit position dans un article célèbre sur le Christianisme et les religions non-chrétiennes (1961), il proposait la notion de « chrétien anonyme » en ces termes : Probablement, le fait que le chrétien considère comme fruit de son Christ et comme Christianisme anonyme, le salut et tout ce qui a été guéri et sanctifié dans tout homme et qu’il regarde le non-chrétien comme chrétien non encore venu, en réponse à lui-même, paraît présomptueux aux non-chrétiens. Or le chrétien ne peut renoncer à cette « présomption » .
Le « chrétien anonyme » accèderait au Royaume sans passer par l’Église. Plus récemment, Jacques Dupuis  a publié successivement trois ouvrages dont le second intitulé : Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux (1997) a fait l’objet d’une Notification de la Congrégation pour la doctrine de la foi, présidée alors par le cardinal Ratzinger qui avait publié entre temps la déclaration Dominus Jesus, sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus Christ et de l’Église (2000).
Dans son troisième ouvrage Jacques Dupuis propose une interprétation qu’il appelle pluralisme inclusif visant à montrer comment la foi et la doctrine chrétienne peuvent associer l’affirmation de foi en l’unicité de Jésus Christ comme Sauveur universel et la conception théologique d’un rôle et d’une signification positifs  des autres traditions religieuses selon le plan divin pour l’humanité .
Dans un long chapitre intitulé Le règne de Dieu, l’Église et les religions , l’auteur reconnaît que la constitution Lumen Gentium identifie le Royaume de Dieu et l’Église, mais il interprète l’encyclique de Jean-Paul II Redemptoris missio (No 15) comme le premier document officiel qui ferait une distinction entre le Règne et l’Église et il conclut : L’Église ne détient pas le monopole du Règne de Dieu (…) les membres des autres traditions religieuses participent réellement au Règne de Dieu présent dans l’histoire, et ces mêmes traditions peuvent contribuer à l’édification du Règne de Dieu non seulement parmi ses membres, mais dans le monde. Si l’Église est le « sacrement universel » du Règne de Dieu dans le monde, les autres traditions religieuses exercent, elles aussi, une certaine médiation sacramentelle, sans doute différente, mais non moins réelle, de ce Règne .
Rappelons que Lumen Gentium ne va pas dans ce sens et que Jean-Paul II dans Redemptoris missio déclare : On finit par marginaliser ou sous-estimer l’Église, par réaction à un « ecclésiocentrisme » supposé du passé (…) Or il ne s’agit pas là du Royaume de Dieu tel que nous le connaissons par la Révélation et que l’on ne peut séparer ni du Christ ni de l’Église (RM 17 et 18). Plus loin il ajoute : On ne peut disjoindre le Royaume et l’Église. Certes, l’Église n’est pas à elle-même sa propre fin, car elle est ordonnée au Royaume de Dieu dont elle est germe, signe et instrument. Mais alors qu’elle est distincte du Christ et du Royaume, l’Église est unie indissolublement à l’un et à l’autre (RM 18). Jacques Dupuis a pris ses distances, il est vrai, avec le pluralisme religieux au sens strict en se réclamant d’un pluralisme inclusiviste, mais cet inclusivisme qui sépare Église et Royaume fait justement problème.
Le cardinal Journet  a proposé dans son ecclésiologie une réponse que l’on pourrait qualifier de mystique ou de « mystérique » aux questions si actuelles que le grand expert jésuite aborde du point de vue de la praxis  dans le dialogue interreligieux. Cette priorité de la praxis le conduit à séparer l’Église et le Royaume malgré ce qu’en dit le Concile, dans Lumen Gentium, et Jean-Paul II dans Redemptoris missio.
Le cardinal Ratzinger  expliquait pourquoi il n’était pas d’accord avec la position de Rahner selon laquelle face à la question du salut, la différence des différentes religions paraît sans importance . Et sa critique du pluralisme de Jacques Dupuis se lit dans la Notification et dans la déclaration Dominus Jesus. L’inclusivisme, qui est critiqué parfois comme un impérialisme du Christianisme, peut au contraire être défendu au nom de l’unité de la nature humaine : L’inclusivisme, écrivait J. Ratzinger, appartient à l’essence de l’histoire des cultures et des religions du genre humain, qui n’est pas construit dans la forme d’un pluralisme strict. En revanche, le pluralisme, dans sa forme radicale, nie en définitive l’unité du genre humain et nie la dynamique de l’histoire qui est un processus d’union . L’approche inclusiviste, encore purement phénoménologique est transformée par l’avènement de la foi : La foi entre en scène avec l’affirmation selon laquelle, dans ce processus d’union, c’est la révélation faite dans le Christ qui est le point de référence véritable de l’unité de tout le genre humain, en effet elle ne vient pas d’une culture particulière, mais d’une intervention d’en haut .

Don Patrick de Laubier
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