Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
14 septembre 2007 5 14 /09 /septembre /2007 06:09
A la différence des Français et des Britanniques, l’Islam a été pour les Allemands jusque dans les années 70 du 20e siècle une question exotique. Elle n’apparaissait ni dans la vie quotidienne ni dans l’enseignement scolaire. Qui désirait s’informer sans se satisfaire des romans d’aventure de Karl May, devait aller consulter des bibliothèques scientifiques de haut niveau ou se rendre en voyage au Proche-Orient. Lorsqu’à la suite de la fin du miracle économique des années 50 s’instaura une immigration intensive de travailleurs et que vinrent en Allemagne de nombreux Musulmans, surtout en provenance de la Turquie, la situation a alors peu changé. L’Islam était la religion des travailleurs immigrés (die Gastarbeiter) dont on prit alors connaissance, dans le meilleur des cas, de façon seulement marginale ; on considérait le séjour de ces travailleurs immigrés invités – comme c’est l’habitude chez des hôtes - comme provisoire. Le changement s’effectua avec la fin de l’embauche en 1973 des travailleurs immigrés. Ceux qui se trouvaient déjà en Allemagne voulurent rester et aller chercher leur famille. A partir de cet Islam des travailleurs, dont la présence n’était pas publique, peu à peu l’Islam en Allemagne consista en des associations de mosquées, de centres culturels et des magasins d’alimentation turcs. En 2007 vivent en Allemagne environ 3, 5 millions de Musulmans dont 2, 4 millions issus de la Turquie dont entre temps environ 20 % ont acquis la nationalité allemande. Par là même, après les catholiques avec leurs 25, 9 millions et les protestants avec leurs 25, 6 millions (2005), l’Islam est la troisième plus grande confession religieuse, manifestant aussi sa présence publique avec ses quelque 2600 lieux de prières et de réunion, dont 150 mosquées classiques.

Mais même après 1973, la juste perception de l’Islam était faible. Cela se modifia seulement avec le 11 septembre 2001. Les attentats d’Al Qaida de New York et de Washington firent entrevoir du jour au lendemain et avec une brutalité inimaginable jusque là l’éventualité d’un choc des civilisations (Clash of civilizations). Et quand il s’est avéré que le réseau des assassins atteignait aussi l’Allemagne, se dissipa l’illusion de pouvoir vivre en Allemagne sur une île de tolérance, garantissant une zone exempte de conflits.

Les deux Églises d’Allemagne n’ont pas attendu le 11 septembre pour découvrir l’Islam. Bien avant – à partir du début des années 80 – elles se sont exprimées sur la cohabitation avec les Musulmans. Finalement la Conférence épiscopale allemande (DBK) a publié en septembre 2003 une « Fiche de travail » sur le sujet « Chrétiens et Musulmans en Allemagne  » et, pour sa part, l’Église protestante d’Allemagne (EKD) a publié en novembre 2006 une étude sur le même sujet sous le titre « Clarté et bon Voisinage. Chrétiens et Musulmans en Allemagne  ». Ces deux documents sont une réaction à l’intérêt croissant de l’Islam. Et le document de l’EKD se réfère au 11 septembre 2001. Ces deux textes ne se limitent pas à fournir une information sur l’Islam, mais leur but est de planifier des voies aptes à faciliter le bon voisinage. Le texte de la Conférence épiscopale allemande franchit un pas de plus. Elle ne se contente pas de rechercher un bon voisinage, mais elle s’interroge en outre sur les possibilités d’un témoignage commun à rendre envers Dieu en tant que créateur et juge d’un monde « marquée par une marginalisation progressive de la religion ». C’est une nécessité de « se mettre ensemble à la recherche d’une vérité toujours plus grande ». Chrétiens et Musulmans sont « des partenaires du bonheur de la famille humaine » (Z. 267).

Le document de la Conférence épiscopale allemande décrit sur un ton apaisant l’histoire détaillée, les divisions et les diverses écoles de droit de l’Islam, les particularités et les organisations nationales en Allemagne, les contenus de la foi ainsi que les aspects de la religion et de la culture des Musulmans qui rendent difficiles l’intégration dans une société occidentale et dans un état laïc ou qui même en provoquent le blocage. Mais ici le ton conciliant tombe dans le piège. En commentant les éléments de l’Islam qui rendent difficile sa compatibilité avec un État laïc – que ce soit le rapport de la Charia et de la Loi Fondamentale, la liberté religieuse, la position de la femme ou le Djihad, le texte de la Conférence épiscopale allemande craint de prendre une position propre. Le document évoque des opinions et laisse ouverte la question de savoir s’il la juge correcte ou erronée. Très manifestement, il ne veut pas mettre en danger le bon voisinage en portant des jugements critiques.

Sur ces points, le document de l’Eglise protestante d'Allemagne (EKD) est plus clair. Elle ne redoute pas la confrontation. Elle ne cherche pas le bon voisinage au dépens de la clarté. Elle ne passe pas sous silence les « défis communs » auxquels sont exposés les Chrétiens et les Musulmans d’Allemagne vis-à-vis du scepticisme relatif à toutes les religions. Mais elle met davantage l’accent sur la cohabitation que sur le caractère commun du témoignage de la foi. L’Église protestante saluerait avec joie le souci de l’Islam d’agir … en tant que force humanisante agissant au cœur de la société … C’est une tâche commune aux Chrétiens comme aux Musulmans de manifester leur foi réciproque de manière telle qu’un jour soient promues leur humanité et leur responsabilité devant Dieu (p. 23). Assurément, évoque les défis communs, mais il n’est pas question d’une foi commune et l’espérance d’une force humanisante de l’Islam reste exprimée sur mode du souhaitable. Le conseil de coordination des Musulmans, un regroupement de quatre associations musulmanes de tutelle d’Allemagne, a pris prétexte de ce document pour critiquer vivement l’Eglise protestante d'Allemagne (EKD) et pour refuser une rencontre avec le Conseil de l’église protestante d'Allemagne prévue pour février 2007. A l’occasion d’une rencontre qui aura bien lieu ensuite le 30 mai 2007, au cours de laquelle les divergences n’ont pu être écartées, le conseil muselman de coordination publia une prise de position propre sur le texte protestant dont il fit le reproche à ses auteurs d’avoir ébranlé la confiance  .

1.    Charia et Loi fondamentale

La pierre de touche centrale de la vie commune paisible des Chrétiens et des Musulmans, non seulement en Allemagne, mais dans toute société, est la reconnaissance de l’ordre juridique et constitutionnel laïque, donc la séparation de la religion et de la politique. Mais une telle séparation n’existe pas dans l’Islam. La Charia, le droit islamique, connaît seulement l’unité de l’ordre de la croyance et de du droit. Elle réglemente les relations des individus à Dieu, au milieu, à la famille, à la société et à l’État (Z. 154). Elle réside dans les réglementations contenues dans le Coran, les dits du prophète et dans la tradition, relatives à la vie religieuse et civile. Dieu est considéré comme l’unique législateur. Il n’existe aucune place pour un législateur terrestre souverain. Le « Conseil des gardiens de la foi » est au-dessus du Parlement comme en Iran.

Tandis que le document de l’église protestante d'Allemagne (EKD) aborde clairement la possibilité de conflit de la Charia dans le droit pénal, conjugal et familial et souligne l’incompatibilité des jugements de la Charia avec l’État libéral de la Loi fondamentale (p. 35), le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) demeure dans une ambiguïté non pertinente. Certes, il constate d’une part que l’idéal de l’État islamique traditionnel n’est pas compatible avec les principes démocratiques (Z. 181). Mais il affirme d’autre part que les Musulmans, qui « en se référant à la liberté religieuse contestent par des voies juridiques l’application des exigences fondées sur le droit de la Charia …contribuent à l’intégration de l’Islam à un ordre juridique jusque là étranger » (Z.316). Une telle affirmation n’est pas défendable. Si la Charia est incompatible avec la Loi fondamentale, le combat pour sa reconnaissance est un combat qui se situe à l’encontre de la Loi fondamentale. Le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) renvoie certes au fait que beaucoup de « non Musulmans » redoutent qu’une reconnaissance de la Loi fondamentale, fondée sur la Charia finisse par aboutir non seulement à la modification de la Loi fondamentale, mais il laisse ouvert la question de savoir s’il tient pour  justifiée la crainte des « non Musulmans ».

Dans les deux documents, la « charte islamique » que le conseil central des Musulmans d’Allemagne a publié le 20 février 2002 fait l’objet aussi d’une évaluation contrastée. Les Musulmans y reconnaissent la Loi fondamentale comme une réglementation locale dont le respect est obligatoire pour les Musulmans de la Diaspora qui respectent le droit islamique . Tandis que le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) considère cela comme un « un progrès important » dans le sens d’une reconnaissance de l’État de droit laïque, celui de l’église protestante d'Allemagne (l’EKD) est beaucoup plus réservé : « Cette charte contient certes une reconnaissance positive de principe de la démocratie de la Loi fondamentale, mais elle comporte une série de limitations et d’imprécisions à un point tel que la question fondamentale du rapport des conceptions de l’ordre islamique et laïque ne reçoivent pas de réponses satisfaisantes, ni du point de vue théologique ni du point de vue politique (p. 103 ; cf. aussi p. 23). Cette réserve portant sur la relativisation de la Loi fondamentale comme un ordre de droit « local » des « Musulmans de la Diaspora » auquel le droit islamique, donc la Charia, demande de se tenir, est davantage justifiée que l’éloge du document de la DBK.


2.    Situation juridique de l’Islam en Allemagne


Les Églises et de nombreuses communautés religieuses en Allemagne ont le statut juridique d’une personne morale de droit public. C’est une particularité allemande qui traduit le fait que les Églises n’ont pas à la différence de la France le statut de droit privé, mais celui d’une institution de droit public. Un tel statut d’une personne morale rend les Églises habilitées à régler leurs propres affaires de façon autonome et à être en même temps partenaires de l’État de droit. A l’égard de leurs membres, elles exercent des fonctions quasi souveraines, elle peuvent lever des impôts, organiser leur propre administration, leurs fonctions et leurs modalités de formation de façon indépendante, assurant aussi la présence de la religion dans le domaine éducatif, dans les services sociaux et les organismes publics. Cette attribution du statut de la personne morale est liée à plusieurs préalables : la présence d’une structure avec des représentants autorisés et des membres patentés, la reconnaissance de la constitution, le respect général du droit ainsi qu’un engagement actif en faveur du bien commun. Les communautés d’Églises et de religion, possédant le statut d’une personne morale de droit public, bénéficient, d’après le texte de l’eglise protestante d'Allemagne (EKD), non pas de privilèges, mais de modalités d’action indépendant «dont l’exercice profite autant à elles-mêmes qu’à toute la société» (p. 80).

Plusieurs associations islamiques cherchent à obtenir ce statut juridique et se plaignent de ne pas l’avoir obtenu jusqu’ici. Les documents des deux Églises mentionnent cette quête des associations islamiques de façon détaillée et aboutissent à la même conclusion de l’absence des préalables nécessaires à l’attribution de ce statut d’une personne morale. Même si, comme le constate l’eglise protestante d'Allemagne (EKD), ce n’est pas dans l’intérêt de l’Église que ce statut soit refusé aux Musulmans et à d’autres communautés religieuses » (p. 79), les deux Églises ne voient pourtant aucune possibilité pour les associations islamiques d’entrer dans un rapport de coopération avec l’État en tant que détenteur du statut avec les droits et les devoirs réciproques (Z. 518/S. 80). En outre, le document de l’EKD met en garde clairement contre des modifications de préalables retenus pour l’attribution du statut – dans le sens d’une personne morale de droit public – afin de l’adapter à ces associations islamiques. On ne devrait entrevoir «aucune exemption de nature religieuse des exigences requises» et les organisations qui n’ont aucun engagement en faveur du bien commun à faire valoir, mais qui laissent plutôt supposer qu’elles développent des activités préjudiciables à l’intégration et à la démocratie ne devraient pas recevoir ce statut» (p. 80 s.).


3.    Droits de l’homme

La reconnaissance de la dignité naturelle et des mêmes droits imprescriptibles de tous les membres de la communauté humaine constitue, d’après le Préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies du 10 décembre 1948, « le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Dans son article 1, la Loi fondamentale du 23 mai 1949 a repris cette déclaration presque mot pour mot. Dès lors, il existe aussi une série de déclarations des droits de l’homme islamiques, la Déclaration générale des Droits de l’homme en Islam du 19 septembre 1981, la Déclaration des Droits de l’homme en Islam du Caire votée le 5 août 1990, par l’Organisation de la Conférence islamique des Etats membres et la charte des Droits de l’homme du 15 septembre 1994 votée par la Ligue des Etats arabes . Pourtant toutes ces déclarations sont relativisées par la prééminence de la Charia, non seulement dans les droits de l’homme individuels comme le droit à la vie, le droit de pensée, de conscience et de parole, le droit de la liberté religieuse, le droit de fonder une famille et le droit de la liberté de séjour, mais encore par des clauses générales comme on la trouve dans la Déclaration du Caire sur les Droits de l’homme en Islam dans les articles 24 et 25 : « Tous les droits et toutes les libertés énumérées dans cette déclaration sont soumises à la Charia de l’Islam » (art. 24) et « la Charia de l’Islam est l’unique point de référence à la Déclaration et à chacun des articles de cette Déclaration » (art. 25). Comme la Charia ignore tout droit de liberté de religion et d’opinion, tout droit d’égalité indépendant du sexe et tout droit d’intégrité physique et qu’elle envisage la peine capitale pour l’apostasie de l’Islam, de telles réserves rendent les déclarations islamiques des Droits de l’homme sans valeur.

La réaction des documents des deux Églises à ces Déclarations des Droits de l’Homme est très différente. Tandis que le Conseil de l’église protestante d'Allemagne (EKD) renvoie sans ambiguïté à ces réserves, les auteurs du document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) en viennent à se réjouir de ce que le concept des Droits de l’homme «commence peu à peu à prendre une position clé également chez les Musulmans» (Z. 309). Certes, ce document comporte aussi des réserves. Les Déclarations des Droits de l’homme islamiques attribueraient « à des concepts majeurs  un sens », « non compatible » avec celui de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies (Z. 309) et leurs références constantes à la Charia constituent un obstacle (Z. 310). Mais ces réserves restent bien discrètes et font aussitôt l’objet d’une nouvelle relativisation. En effet, il faut, selon les auteurs, reconnaître « que dans ces Déclarations, il s’agit de valeurs essentielles » (Z. 310). Une telle valorisation des Déclarations islamiques des Droits de l’homme est tellement inadéquate qu’elle équivaut, non seulement à une négation des Droits de l’homme des Nations Unies, mais encore à la Déclaration conciliaire sur la Liberté religieuse et à la Doctrine sociale de l’Église dont les affirmations sur les Droits de l’homme obligent à constater que l’Islam refuse en fait de reconnaître la valeur universelle des Droits de l’Homme. A cet égard, le document de l’EKD ne craint pas de souligner que « la prééminence de la loi religieuse », c’est-à-dire de la Charia, implique « qu’elle ne concède pas de valeur aux Droits de l’homme indépendants de la Révélation de l’Islam – justifiés de façon laïque – ou même en contradiction avec elle » (p. 36).

a)    Négation de la liberté religieuse

Que l’Islam ignore le droit de la liberté religieuse n’a rien à voir avec une affirmation de critiques malveillants, mais c’est un fait largement établi en théorie comme dans la pratique. La sourate, souvent citée, (2, 256) : « il n’y a aucune contrainte dans la religion » que généralement on oppose au critique, se rapporte aux droits des non Musulmans, plus précisément aux Juifs et aux Chrétiens vivant en terre d’Islam. L’exercice de leur religion est toléré – bien que seulement dans le cadre privé, c’est-à-dire à l’intérieur des églises et avec une reconnaissance de droits limités de citoyens. Le prosélytisme auprès des Musulmans et l’abjuration de l’Islam sont punis de la peine capitale. L’abandon volontaire de l’Islam est, selon la Charia, non un « changement religieux privé , mais un acte politique de trahison contre l’État ou  de haute trahison », selon les termes de l’EKD ajoutant que le Coran lui-même se contente de parler « de façon très générale » de l’abandon de l’Islam, mais que la tradition formule de façon bien plus radicale, une tradition qui s’appuie sur des « hadīths », donc des paroles de Mohammed, déclarant : ‘ « Qui change de religion, doit être exécuté ! » (p. 37).
En ce qui regarde la liberté religieuse, les documents des Églises catholique et protestante sont d’accord sur trois points : la Charia méconnaît ce droit ; dans aucun pays islamique, les Chrétiens et les non Musulmans ne jouissent d’une liberté religieuse pleine et entière et les Musulmans d’Allemagne ne peuvent revendiquer ce droit de liberté religieuse pour propager des convictions « qui en recourant à des arguments religieux nient la légitimité de l’État laïque ou qui ne la défendent que de façon restreinte » (Z. 531, cf. aussi Z. 218 ; document de l’EKD : p. 28). Sur deux points, les documents se différencient pourtant : sur l’importance de la mission et la relativisation de la critique relative au manque de liberté dans l’Islam. Le document de l’Église protestante est le seul à souligner que l’obligation missionnaire est partie constitutive de la foi chrétienne. C’est, selon lui, la mission de l’Église « d’annoncer la Nouvelle de la Justification du monde entier ». En effet, la mission est «davantage qu’une simple rencontre respectueuse. Elle implique le témoignage du Dieu trinitaire qui affranchit l’homme par Jésus pour le conduire à sa véritable humanité. Il est exclu pour l’Église protestante de taire ce témoignage ou d’en priver les adeptes des autres religions » (p.15). C’est de façon inadaptée que le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) relativise sa critique du manque de liberté religieuse dans l’Islam, en faisant la constatation autocritique que cette reconnaissance de la liberté religieuse « a dû, même dans la chrétienté, être une réalité historique encore toute récente et qu’il a fallu parfois la conquérir contre la résistance des grandes Églises » (Z. 520). Cette relativisation néglige de voir que dans la question de la liberté religieuse, il s’agit d’abord de la nature même de la religion et non de la défaillance des membres de cette religion. Mais de la part du Christ, la tradition ne lui attribue aucune affirmation selon laquelle il faille tuer ceux qui se séparent de lui ou qui même refusent de le suivre. Cette relativisation des affirmations critiques de l’Islam expliquée par l’attitude selon laquelle «  Nous non plus, nous ne sommes pas meilleurs » ou « Nous sommes complices » du devenir actuel de l’Islam que nous constatons sur quelques autres points, ne promeut ni le bon voisinage ni le dialogue entre les Chrétiens et les Musulmans.

b)    Discrimination de la femme

Le fait que le droit de l’homme à l’égalité juridique, indépendamment du sexe n’a aucune valeur pour l’Islam n’est pas non plus l’affirmation de critiques malveillants, mais c’est un fait avéré en théorie comme en pratique. La femme est l’objet de multiples discriminations dans la tolérance de la polygamie, dans le droit islamique du mariage, de la famille, du divorce et de garde, dans le droit succesoral et de procédure. La plupart de ces discriminations sont déjà ancrés dans le Coran, la polygamie est mentionnée dans la sourate 4, 3 ; le désavantage dans le droit succesoral dans la sourate 4, 11 ; le droit de procédure dans la sourate 2, 282 et dans le droit conjugal dans la sourate 4, 34 qui ne se contente pas de désigner l’homme supérieur à la femme, mais lui concède aussi un droit de correction envers la femme :
« Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquels Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci. Et parce que les hommes emploient leurs biens pour doter les femmes. Les femmes vertueuses sont obéissantes et soumises ; elles conservent soigneusement pendant l’absence de leurs maris ce que Dieu a ordonné de conserver intact. Vous réprimanderez celles dont vous aurez à craindre l’inobéissance ; vous les reléguerez dans des lits à part ; vous les battrez ; mais aussitôt qu’elles vous obéissent, ne leur cherchez point querelle » [Traduction de Kasimrsky, Flammarion, 1970].
Ces deux documents sur la discrimination de la femme dans l’Islam ne laissent aucun doute (Z. 246-252 ; Document de l’EKD, p. 39-41 ; 53 s.). Ils signalent aussi les sourates spécifiques justifiant cette discrimination et à cet égard, mais le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) cite en faisant référence à la sourate de 4, 34 seulement la moitié du texte et tait le droit de correction du mari (Z. 248). Dans un des paragraphes suivants sur « le mariage entre Catholiques et Musulmans » où il cite encore la sourate en son entier, il s’empresse d’ajouter : « Si des débordements se produisent ou non, cela ne s’explique pas de façon évidente dans la réalité par le droit de correction qu’à la suite du Coran, la Charia concède traditionnellement à l’homme, mais par le degré d’éducation et d’équilibre qu’ont atteint les partenaires » (Z. 380). Il semble que les auteurs du document ont de la peine à se référer aux passages irritants du Coran ou de la Charia pour en discuter le contenu sans fioriture. Et l’on n’est pas non plus surpris qu’ils constatent soudainement, après l’énumération de toute une série de discriminations subies par la femme qu’elles n’auraient rien à voir avec le Coran, mais qu’elles seraient dues plutôt « à des coutumes d’origine plus ancienne,  répandues tout autour de la Méditerranée» (Z. 168) et qu’elles seraient plus particulièrement la conséquence des « mœurs de nature patriarcale dont l’existence est établie bien avant, ce que d’ailleurs l’on trouve aussi dans la culture et la théologie des peuples marqués par le christianisme, en particulier dans les Lettres de saint Paul aux Ephésiens et aux Corinthiens. ». « En portant un jugement aussi ouvert, on n’aboutira pas à l’affirmation selon laquelle que ce que nous considérons comme des discriminations qui affectent la femme ait été causé par le Coran et la Sunna dans les pays d’expansion islamique. Pourtant elles connaissent une civilisation patriarcale existant déjà là-bas, liée à la relégation de la femme, avec la prétendu volonté de Dieu et, ainsi sans doute, depuis longtemps assimilée » (Z. 253). Cette relativisation de la critique ne rend pas compte correctement de la Charia, pas davantage que la précision selon laquelle « ce ne serait pas mieux chez les Chrétiens ». A l’opposé, le document de l’EKD est bien plus fidèle à la réalité quand il constate d’une part « que les causes de tous les désavantages des femmes des pays à majorité musulmane ne sont pas à attribuer à l’Islam », mais d’autre part, il constate en même temps que « la législation de la Charia sur le droit du mariage et de la famille provoque dans les faits un écart du droit, qui manifestement favorise l’homme et discrimine la femme. »


4.    Le Djihad


Le 11 septembre 2001 et les attentats qui ont suivi dans de nombreux pays d’Europe, d’Afrique et d’Asie ont fait de l’Islam et de la violence un brûlot permanent. Les documents de la Conférence épiscopale allemande et de l’église protestante d'Allemagne s’y sont consacrés en détail. Même si le document de la DBK déclare à juste titre que le Djihad n’est pas la sixième colonne de l’Islam (Z. 142) et que la « grande Djihad » est d’abord « le combat de tout croyant contre les basses pulsions de l’âme individuelle » (Z. 146), alors que le document de l’église protestante d'Allemagne fait remarquer que le Coran « parle souvent de la bonté et de la miséricorde de Dieu » (p. 19) et qu’il comporte une série de sourates limitant la violence » (p. 43), les deux documents ne laissent aucun doute sur le fait que le Coran – dans les sourates 9, 5 et 9, 29 – appelle à combattre activement ceux qui ne croient pas en Dieu et, dans le cas où ils ne se rendent pas et ne deviennent pas Musulmans, à les tuer (Z. 142) et que les déclarations légitimant la violence (comme les sourates 2, 190-194 ; 4, 76 ; 4, 89 ; 9, 5 ; 9, 14-15) reviennent très fréquemment.

Mais le document de la DBK relativise l’obligation de la Djihad contre les incroyants – celle que l’on appelle la petite Djihad – comme un élément d’une « compréhension de l’État islamique prémoderne » (Z. 143) dont les Musulmans d’aujourd’hui se seraient « largement détachés » (Z. 150). En outre, ce ne serait pas une « obligation individuelle pour chaque Musulman. Il suffit, quand la Direction de l’État en porte le souci, que cela continue » (Z. 143). La plupart des auteurs Musulmans d’aujourd’hui « auraient en outre déclaré légitime le caractère seulement défensif de la Djihad » (Z. 148). La question critique sur ce sujet est pour le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) proprement audacieuse : « il resterait le problème de savoir   de quelle manière ce cas de la défense serait défini de façon rigoureuse ». Il se trouve qu’il existe de très larges conceptions sur les occasions légitimes de la défense militaire » (Z. 148). Egalement l’invitation faite aux Musulmans qui affirment que l’Islam est une religion pacifique, de justifier « pourquoi ils pensent ainsi, alors que bien des versets du Coran parlent un autre langage (Z. 150), accuse tout simplement une distance considérable.

Les auteurs musulmans d’attentats suicides sont à juste titre mis en lien avec le Coran dans les deux documents ; il promet dans la sourate 3, 169, 2, 14 et 22, 58 à ceux qui sont tombés dans la Djihad,  « des martyrs d’après la terminologie islamique », l’accès immédiat au paradis (Z. 142 ; document de l’EKD, p. 44). Ni le document de l’EKD ni celui de la DBK ne renvoie à la sourate 4, 95 qui comporte la motivation la plus intense des auteurs des attentats suicides, parce qu’à ceux qui meurent dans la lutte pour Allah, elle concède non seulement l’accès immédiat au paradis, mais là aussi la préférence sur ceux qui sans combattre restent à la maison. Finalement le document de l’EKD refuse l’idée des auteurs d’attentats suicides pour un motif eschatologique : ils voulaient « esquiver le jugement par une mort de martyr dans l’espoir … que leur action leur ouvre directement les portes du paradis » (p. 20). Cela est en contradiction avec l’idée d’un Dieu juge, face à qui tout croyant doit être responsable – également d’après l’Islam. Même au sujet des auteurs d’attentats suicides, le document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) ne peut s’empêcher de céder à la tendance à relativiser cette interpellation critique. Leur haine renvoie « au moins autant à des raisons politiques et sociales que religieuses ». Les dysfonctionnements sociaux, la répression et la corruption seraient tout aussi responsables de la mentalité sectaire de ces groupes que les conséquences de la colonisation européenne, qui demeurent encore tangibles de nos jours» et un ordre économique international favorisant les nations industrielles occidentales » (Z. 152).


5.    Chrétiens et Musulmans

La critique de l’Islam, contenue dans le document de l’église protestante d'Allemagne, n’a pas facilité le dialogue entre Chrétiens et Musulmans. Pourtant cette critique était nécessaire. La clarté dans l’exposé des problèmes est un préalable de la solution de ces problèmes. La clarté de vue est une condition de l’action juste ainsi que d’un dialogue dont le but est un bon voisinage. Dans la description des problèmes que pose la Charia, le document de l’EKD est d’une plus grande utilité que celui de la DBK qui tend à relativiser sans cesse les nombreux problèmes dès qu’elle s’est contentée de les indiquer. La distinction entre l’erreur et ceux qui la commettent qui, au début des années 60, a été à la base du dialogue de Jean XXIII avec les représentants des pays communistes auraient pu offrir aux auteurs du document de la Conférence épiscopale allemande (DBK) un fil directeur  qui aurait pu les préserver de ces relativisations inadéquates. Il est certain que la description des problèmes ne peut être que le début et jamais la fin du dialogue. Celui-ci est une nécessité. Il comporte divers niveaux, à commencer par le niveau de la vie quotidienne, c’est-à-dire la vie sociale commune, dans l’entreprise, dans les écoles et les hôpitaux, ensuite le niveau politique et globale de la responsabilité commune de la paix et du bien commun et finalement le niveau des experts théologiques et celui de l’échange d’expériences spirituelles . Sur tous ces plans, on facilite le dialogue quand on suit un conseil exprimé dans le document de la Conférence épiscopale allemande, invitant Chrétiens et Musulmans à prendre conscience qu’ « il existe un troisième élément essentiel qui détermine et marque la rencontre, à côté des deux convictions de la foi : à savoir toujours l’État de droit d’une neutralité religieuse, disons, la société avec ses structures laïques » et ce n’est « pas l’appartenance religieuse, mais c’est l’ordre juridique fondée sur des bases laïques qui … (définit) l’État juridique de l’homme » (Z. 312). Suivre un tel conseil est assurément une exigence plus grande de la part des Musulmans que de la part des Chrétiens qui depuis deux siècles sont passés par la dure école de la sécularisation. Cet ordre juridique laïque est « le fondement tant d’une liberté religieuse propre que de la vie commune à égalité de droits des diverses religions » (Z. 318). Telle est la condition d’un bon voisinage.

Prof. Dr Manfred Spieker (traduction Jacques Chauvin)
mspieker@uos.de
Coventry - septembre 2007
Partager cet article
Repost0

commentaires