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4 octobre 2007 4 04 /10 /octobre /2007 14:47
I.  PRESENTATION DE LA THESE

1. La question
L’homme est-il perfectible ? Aujourd’hui, nombre d’experts et de scientifiques croient à sa perfectibilité sur base des progrès dans les sciences et techniques médicales et la pharmacologie, l’imagerie du corps et du cerveau, l’information et la computation, les nanotechnologies. C’est dans les domaines de la biologie, de la biogénétique et de la reproduction que les avancées apparaissent les plus connues. Mais en réalité, la médicalisation, la psychiatrisation et l’accompagnement psychologique s ‘étendent à toutes les étapes du cycle de vie, en parallèle avec la pathologisation de multiples problèmes individuels et collectifs. Ce double mouvement s’explique par l’accélération et la complexification des changements sociétaux, par les menaces multiples pesant sur l’avenir de l’homme et de l’environnement, ainsi que par la désorientation des personnes face à elles.

2. Bienfaits et limites de la médicalisation

Personne ne se plaint des progrès et de l’efficacité de la médecine dans la lutte contre la souffrance, la maladie, les blessures, les malformations ou les handicaps; dans le traitement de la dépression ou dans la prise en charge psychologique des maux et du mal-être de l’homme. Corps et esprit ne font qu’un. Ils agissent et réagissent ensemble. La médecine ne doit pas séparer l’un de l’autre. Il est bon de reconnaître le caractère psychosomatique des maux, comme est bonne la mise en œuvre de thérapies globales et d’une médecine holistique.
Tout le monde louera la médecine lorsqu’elle atténue la souffrance, lorsqu’elle  permet d’échapper à un cancer, de recouvrer la vue après une cataracte, de corriger une surdité ou de sortir d’une dépression ; ou lorsqu’elle porte remède aux conséquences d’un accident ou freine l’évolution de maladies handicapantes, telles le Parkinson ou l’Alzheimer ?
Mais la médicalisation est-elle toujours un bien? Doit-elle être au service de la qualité de la vie et du bien-être de l’homme ? Doit-elle développer les capacités de l’humain? Lorsqu’on passe de la remédiation des maux, à la compensation des faiblesses de l’humain, à l’intervention sur le profil génétique de l’homme, à l’amélioration de la qualité de vie, à la recherche de son confort ou de son équilibre psychologique à l’accroissement des performances, ne transgresse-t-on pas les limites du désirable? Faut-il chercher une solution médicale aux problèmes sociaux et sociétaux?
En d’autres mots, faut-il, par delà une médecine de la souffrance et du soin, se lancer dans le culte du corps, dans la transformation de l’apparence corporelle, dans la transcendance des qualités de l’homme, dans une lutte pied à pied la contre le vieillissement? L’objectif est-il de former un transhumain, de fabriquer un surhomme ? Autrefois, par un eugénisme négatif; aujourd’hui, par le canal de la biologie génétique et de la médecine reproductive ? L’homme à l’image de Dieu et fils de Dieu ne serait-il plus le couronnement de la création ?
Tel pourrait être l’objectif des sociétés « boostées » par la recherche médicale, pharmaceutique et chimique, biogénétique, computationnelle et informationnelle. Tel pourrait être le projet des entreprises et réseaux mondiaux d’entreprises actives en ces domaines.
Tel serait le désir de l’humain plongé dans une société libertaire, qui lui accorde le droit à l’autonomie et à la responsabilité personnelle mais qui, par ce biais, lui donne un droit absolu sur son corps, la maîtrise sur son développement, de sa destinée et de sa vie; le droit à la fertilité et à la reproduction ; à la différence et à la différenciation.
Dans cette perspective, la médicalisation peut envahir la totalité du cycle de vie

3. La crise anthropologique : une des sources de la médicalisation
Les sociétés occidentales, coupées d’une dimension transcendantale et donc de l’espoir de survie et d’éternité, connaissent une profonde crise anthropologique. Montée de la violence et des inégalités dans le  monde, violations des droits de l’homme, atteintes à la vie et dégâts à l’environnement sont autant d’indices de cette crise.
La première source s’en trouve dans l’individualisme des sociétés contemporaines. L'utilitarisme, l’hédonisme et l’égoïsme y règnent en maîtres et s’inscrivent dans le sillage de l’économisme, du consumérisme et du matérialisme.  Le bonheur, le plaisir, la satisfaction immédiate des désirs, la jouissance sont les objectifs primordiaux de l’humain. En économie, le progrès est fonction du profit, sans égard aux conséquences écologiques. Il procède du relèvement continu des contraintes de productivité et des performances attendues du travailleur. Dans une civilisation où tout se joue sur la performance, les humains sont instrumentalisés, réifiés, utilisés comme des « choses » ; la femme devient un objet pour l'homme et l’homme pour la femme ; les enfants, une gêne pour les parents ; la famille, une institution encombrante pour la liberté de ses membres. Les exigences du bien commun passent au second plan.
Parallèlement, ces sociétés avancées cultivent le positivisme et le scientisme. Le matérialisme méthodologique est la base de la démarche scientifique. Ce réductionnisme conduit à n’accepter que les vérités scientifiques. La transcendance de l’humain par le divin est niée. Le relativisme et l’agnosticisme en découlent. Les interrogations sur le sens de la vie et de la mort sont balayées.
    Cette crise anthropologique est accentuée par l’essor des sciences et les techniques de la vie, de la santé,  de l’équilibre et du confort de l’homme sur le plan corporel et mental. La crise découle du fait que les sciences et techniques médicales, paramédicales, chimiques et pharmaceutiques et les secteurs logistiques, ne visent pas seulement à corriger des faiblesses, malaises et les maladies humaines, mais se sont mises à le recherche d’une transformation des gènes, à l’amélioration de l’apparence corporelle de l’homme, à l’accroissement de ses performances, à la modification de sa psychologie, de son esprit, de sa conscience.
    Ci-après, nous tenterons de percevoir comment la médicalisation « boostée » par la convergence de ces sciences et techniques, constitue à la fois une cause et une conséquence de la crise anthropologique. Partant de ce projet de re-création de l’homme, il est devenu urgent d’analyser l’éthique d’une telle démarche. La mission de l’éthique est de définir les principes réglant les activités humaines en regard de la protection de la vie, du respect des personnes et de la conservation de la nature.

4. La médicalisation totale du cycle de la vie et ses implications éthiques
La nature humaine implique le respect de la vie et donc de la personne dès sa conception, le respect de son corps et de son esprit durant l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte, la vieillesse et donc jusqu’à la mort.
Au cours des dernières décennies, la révolution dans la biologie et l’ingénierie génétique a centré les discussions éthiques sur les questions relatives aux interventions humaines et médicales dans les processus à l’origine de la vie, autour des problèmes de fertilité, de procréation et de reproduction assistée. En outre, les avancées scientifiques et techniques posent les problèmes du clonage ou de l’utilisation des cellules souches pluripotentes prélevées dans cordon ombilical ou l’embryon.
De même, d’énormes progrès ont été réalisés dans la lutte contre la souffrance, dans la prise en charge des maladies chroniques, physiques et mentales, survenant avec l’âge et dans l’accompagnement de la fin de vie. Les discussions s’enflamment autour des  soins palliatifs versus de l’euthanasie et le droit à mourir dans la dignité.
A ce jour, les débats éthiques stratégiques concernent avant tout les périodes aux marges de la vie. Mais elles ne peuvent détourner l’attention des actions et interventions médicales, chirurgicales, neurologiques, chimiques et pharmaceutiques développées en réponse aux problèmes de santé et de bien-être rencontrés dans le cours de la vie. Cette moindre attention portée à ces problèmes s’explique par les séquences thérapeutiques différentes intervenant en début et fin de vie et celles accompagnant le déroulement du cycle de vie. A la réflexion, durant la vie, nombre d’interventions concernant les performances du corps ou de l’esprit peuvent constituer une instrumentalisation de l’homme, voire une violation de la nature et des droits humains. En outre, toutes ces techniques médicales et médicamentations nouvelles servent d’abord les riches des pays économiquement les plus avancés, parfois au détriment du développement de la santé dans le reste du monde.

5. Les deux types de séquences thérapeutiques
Pour comprendre l’enjeu du débat à mener sur les problèmes surgissant durant les phases qui s’écoulent entre les deux périodes extrêmes de la vie : la conception, la naissance et la mort, il est nécessaire de distinguer deux types de thérapies : d’un côté,  les thérapies biogénétiques et géniques et, de l’autre, les thérapies somatiques. Cette distinction trace une ligne de partage dans les discussions éthiques en matière de santé.
Les évolutions dans les thérapies génétiques sont une conséquence du décryptage et de la transcription du génome humain : une découverte géniale qui confirme que nous sommes tous frères quelle que soit notre couleur de peau, même si on ne voit pas encore tout ce qu’n pourra tirer de ces avancées.  Ces thérapies interviennent dans les processus de fertilité et de reproduction par des manipulations visant à la correction, voire la modification du patrimoine génétique. L’objectif est de combattre l’infertilité, de repérer les anomalies du génome susceptibles de reproduire de génération en génération des maladies difficilement curables ou des dysfonctionnements que, plus tard, on ne pourra pas corriger. Par ailleurs, à travers diverses recherches sur les cellules pluripotentes, les thérapies géniques tentent de reproduire et de régénérer des tissus particuliers.
 Pour les chrétiens, nombre d’interventions sur le génome visent à une transformation de la nature humaine et vont à l’encontre du plan divin sur l’homme. Mais la discussion éthique ne s’arrête pas là. Elle s’élargit à l’utilisation des cellules « pluri » ou « totipotentes » acceptables lorsqu’elles sont prélevées dans le placenta, le cordon ombilical ou l’adulte mais le sont aussi sur les embryons surnuméraires issus de le reproduction in vitro.
Avec le Père dominicain Auguste Di Noia, alors sous-secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine et la Foi et proche du Cardinal Ratzinger, on peut ppenser que ces diverses recherches et technologies concernant la fertilité et la reproduction conduisent à de nouvelles formes d’eugénisme. Le danger est d’autant plus réel que dans une économie mondiale de marché et de concurrence, toutes les nations n’ont pas nécessairement les mêmes réticences, ni les mêmes valeurs. Certains pays, notamment asiatiques, vont de l’avant, comme d’ailleurs nombre de laboratoires et d’entreprises transnationales ou d’universités, malgré les moratoires décrétés par la communauté internationale.  Ce qui favorise l’exode de chercheurs décidés à aller de l’avant. Ce qui ne peut constituer un argument à l’encontre des moratoires.
Face aux thérapies génétiques et géniques qui, à la limite, veulent remodeler l’homme en intervenant sur son patrimoine génétique, les thérapies somatiques, plus anciennes, n’ont pas pour but de créer un homme nouveau. Elles visent avant tout à assurer la santé corporelle et l’équilibre mental des êtres humains, à lutter contre la maladie et les conséquences fâcheuses d’un accident, à accompagner les personnes en phase terminale. Elles peuvent aussi tenter de compenser des déficiences humaines qu’elles soient mentales, physiques ou sensorielles et quelles qu’en soient les origines ou causes.
Aujourd’hui, ces thérapies somatiques sont à leur tour mises au service d’objectifs plus larges dans le cadre d’une médecine de confort, du bien-être et de la qualité de la vie des plus et moins âgés, alors même que les besoins de santé des moins bien lotis ne sont pas rencontrés, comme le dit Mgr. E. Sgrecia, Président de l’Académie Pontificale pour la Vie.
Par delà cette médecine de confort, nombre de recherches, de médicaments, d’interventions et de technologies visent au perfectionnement des capacités humaines : celles du corps et de l’esprit. Tout se passe comme si l’on considérait que l’homme tel qu’il est n’était pas l’aboutissement de l’évolution et ne serait donc pas le couronnement d’une l’évolution toujours en cours.
Ce sont ces développements thérapeutiques de confort ou de commodité, mais surtout de performance et de perfectionnement que nous allons analyser afin de voir dans quelle mesure les enjeux éthiques d’une médecine visant l’amélioration des performances sont vraiment différents des thérapies géniques.
L’utilisation des connaissances, techniques et outils nouveaux permet d’améliorer le sportif, de vivre plus longtemps en meilleure condition. Mais les acquis de la science ne sonnent-ils pas le glas des solutions éthiques conçues par la médecine de la santé ?

6. Les explications de la surmédicalisation de la vie
Au sens restreint, la médicalisation résulte de la croissance  de la compétence et de l’offre médicales. Selon Pierre Aïach, l’extension du domaine médical découle du développement des institutions de santé, (hôpitaux, cliniques, centres médicaux, centres de recherche médicale), du nombre des médecins, des infirmiers, pharmaciens, kinésithérapeutes et personnels paramédicaux actifs dans les secteurs de la prévention, l’examen et le diagnostic, le traitement clinique ou technologique du pathologique et du psychologique.
Mais la médecine s’attèle aussi au traitement des problèmes et des maux sociaux accompagnant la mutation des sociétés et la complexité croissante de la vie. Ainsi, médecins, psychiatres et psychologues sont appelés à traiter l’alcoolisme et les formes d’addiction, à contenir la violence, à éviter les sévices en famille, à lutter contre l’obésité, contre l’anorexie, le stress, le manque de sommeil ou, encore, contre les traumatismes psychologiques consécutifs à un accident. Nombre de professionnels sont  appelés à régler les problèmes scolaires des enfants en échec ou en difficulté relationnelle; à résoudre les questions de santé physique et mentale liées au boulot ou à la compétition, à dénouer les conflits familiaux ou les problèmes relatifs à la sexualité … Dans la résolution de ces problèmes, la médecine s’adjoint une panoplie de spécialistes chargés de soulager celui qui se sent mal dans sa peau, celui qui cherche les voies d’un mieux-être et d’un mieux-vivre.
Offre et demande médicales apparaissent comme le moyen de porter remède à des maux de toutes origines et toutes natures. Mais la montée de la médicalisation s’explique aussi par les changements dans les comportements, par la multiplication des angoisses et des peurs  résultant pour partie de l’action des médias, la télévision et les magazines qui, selon Pierre Aïach, fournissent de l’information médicale, discutent de l’hygiène et de la santé et diffusent les préceptes de « l’évangile hygiéniste ».

7. Par delà les problèmes individuels, la prise en charge des problèmes collectifs
De nos jours, la médicalisation s’étend bien au delà des exigences de la santé des personnes. Aujourd’hui, la médecine traite d’un ensemble de conséquences moins heureuses résultant des transformations de la sociétés sur les plan politique, économique, technologique, organisationnel, environnemental, culturel et social.
La médicalisation s’explique par les exigences croissantes des entreprises qui renforcent de manière continue l’émulation entre les personnes et qui attendent toujours plus de productivité et de performances des travailleurs. Elle découle aussi des problèmes liés aux dysfonctionnements des économies de marchés ouvertes sur l’extérieur. Ce qui accroît la concurrence entre entreprises et entre nations. Il en résulte une insécurité de l’emploi, une précarisation des statuts, une croissance du chômage, une montée des inégalités et de la pauvreté. Les cheminements professionnels, autrefois linéaires, évoluent en dents de scie. A tout moment, les travailleurs doivent être prêts à à passer par des séquences de reconversion, à s’adapter à l'alternance entre temps de travail et de formation, à démontrer leur adaptabilité et leur flexibilité dans des tâches et face à des horaires atypiques.
Cette instabilité dans le travail a des conséquences sur la cohésion et les trajectoires des familles et leurs projets de vie. Les exigences posées à chacun conduisent à une individualisation des projets. D’autant que les sociétés productivistes sont aussi consuméristes et hédonistes. Dans cette optique, elles aiguisent les aspirations et les désirs des personnes, jeunes et moins jeunes. Elles travaillent à la séduction et à la distinction en jouant sur les qualités, les modes, les styles de vie.
Dans de telles sociétés, les personnes et les familles se sentent facilement en situation de risque. Elles savent qu’elles peuvent rapidement être précarisées, marginalisées, en voie d’exclusion et de paupérisation. En réponse, les parents multiplient leurs attentes par rapport aux enfants qui, à leur tour, se trouvent sous obligation de réussir à l’école et dans la vie. 
     Les défis à relever par les familles, les enfants, petits et grands, les parents,  voire les grands parents sont innombrables.
Malmenées par la vie, il n'est pas rare que des personnes, jeunes et moins jeunes, se lancent dans des activités parallèles et déviantes, dans des formes de dissidence et s’adonnentt à la violence corporelle, psychique ou sexuelle ; se noient dans l’alcool ou s’évadent dans la drogue. Ce qui, à son tour, se traduit en demandes médicales de la part des personnes mais aussi des sociétés. De fait, dans les sociétés avancées, la médicalisation s’explique aussi par la volonté de surveillance et de contrôle des personnes, par la recherche de la normalisation et de la conformation des comportements, par l’instrumentalisation des personnes en fonction des objectifs qu’on leur assigne, par l’instauration de séquences de revalidation et de réhabilitation de manière à sauvegarder la sécurité et la productivité au sein de société dans lesquelles la performance est la règle.
Aujourd’hui, nombre de sciences et de techniques, d’actions et d’interventions médicales, neurologiques, chirurgicales, mécaniques, chimiques et pharmaceutiques ne sont plus uniquement utilisées en vue de résoudre des problèmes de santé définie comme un état d’équilibre obtenu ou à atteindre, ou encore comme un état dans lequel les faiblesses, les souffrances et les handicaps sont compensés en tout ou partie. De nos jours, nombre d’interventions visent, par delà le soin aux malades et l’accompagnement des personnes, la régulation des comportement en société, voire le développement d’un contrôle social.

8. Sciences et techniques à la recherche de la perfectibilité de l’humain
Un pas plus loin, des pratiques médicales et paramédicales, cherchent à accroître les performances de l’être humain en divers domaines dans et hors du travail et pas uniquement dans le cadre sportif. Dès ce jour, , un arsenal de médications, d’adjuvants des prothèses et des implants ne pallient seulement des handicaps mais aiguisent ou démultiplient les capacités humaines, portant le corps et l’intelligence à ses limites.
Par delà la santé et l’équilibre mental, nombre de sciences et de techniques médicales,  paramédicales et logistiques visent à l’amélioration des performances humaines dans le cours de la vie. Diverses sciences et techniques y contribuent : telles les nanosciences et les nanotechnologies (N), les sciences et techniques biologiques, la biogénétique, les biotechnologies,  la bionique qui combine homme  et machine  (B), les sciences et les techniques de l’information, de l’imagerie médicale et de la computation (I), ainsi que les neurosciences, les neurotechnologies et les sciences cognitives (C). NBIC constitue l’acronyme fétiche de la mutation en cours. Les sciences et techniques regroupées sous ce sigle manifestent la volonté des promoteurs d’organiser la coordination et la convergence au niveau des recherches et des interventions au service  de la qualité de la vie, du confort physique et mental mais aussi de l’amélioration des performances.
Cette poursuite du perfectionnement de l’humain nécessite une discussion éthique, d’autant plus nécessaire que l’on progresse dans les neurosciences, les neuro-technologies et les sciences cognitives : celles du cerveau, du mental et de l’esprit. Toutes celles-ci posent des problèmes en raison d’une possible manipulation ou transformation des états de conscience mais aussi sur le plan de l’expérimentation sur le cerveau d’un humain.
En ces divers domaines, la croyance en l’omnipotence de la science et de la technique est croissante même si, peu à peu, on en découvre des conséquences négatives, des effets pervers, des cercles vicieux par delà leur performance immédiate. 

9. L’émergence d’une médecine du confort, de l’apparence et de la performance 
 Les thérapies somatiques séparées des thérapies génétiques peuvent à leur tour être divisées avec, d’un côté, les interventions préventives et curatives sur le corps ou l’esprit  et, de l’autre côté, celles qui visent au confort et à la performance des personnes : à l’« enhancement », selon l’expression chère aux anglo-saxons.
A la suite de William Gasparini, on peut dire qu’à côté de la médecine du soin, se développe une médecine du confort et de la performance que ce soit sur le plan  physique, affectif, sensible et mental ; mais aussi une médecine de l’apparence et de l’esthétique corporelles en correspondance avec le développement de sociétés dans lesquelles le paraître devient plus important que l’être.
Aujourd’hui, une nouvelle médecine cherche à fournir une issue et des remèdes au stress, à l’angoisse et à la peur manifestes au cœur des sociétés les plus avancées. Ces sociétés complexes, concurrentielles et sélectives, sont en changement rapide. Elles sont à hauts risques en raison des conflits qui les traversent ou des problèmes économiques et sociaux qui les tétanisent, mais aussi suite aux conséquences des atteintes à l’environnement.
A notre avis, la généralisation de ces nouvelles thérapies du confort et de la performance soulève des problèmes éthiques comparables à ceux rencontrés dans les thérapies géniques : celles-ci ne visent pas seulement à contrecarrer une maladie héréditaire ou inscrite dans les gènes, mais à développer un nouveau projet eugénique ne retenant que des embryons sélectionnés ou les manipulant en vue de performances supérieures de l’être humain. A la réflexion, les objectifs et les conséquences du passage d’une médecine curative à une médecine du confort, de la performance, du cerveau et de la conscience par delà la médecine du corps, ne sont pas très différents des objectifs et conséquences découlant  du développement des thérapies génétiques.


II.  LA MULTIPLICATION DES CHAMPS D’INTERVENTION

1. L’ampleur des domaines d’intervention
Pour saisir les conséquences du passage d’une médecine du soin à une médecine du confort, de l’apparence et de la performance, il faut raisonner en termes d’offre et de demande et donc de marchés ; s’il le faut en les distinguant par catégories de personnes. En effet, on constate que les jeunes y sont les plus exposés. Ce sont des utilisateurs potentiels nombreux dans un monde privé de sens. Ils constituent une proie facile. Mais toutes les catégories sont visées : les aînés sont aussi des consommateurs réels ou potentiels des médicaments contre le vieillissement (antiaging drugs).

2. Le souci de l’apparence et le modelage du corps
Dans un monde où le narcissisme et l’individualisme se renforcent, dans une société où la publicité exalte l’apparence, la beauté ou la force corporelles, où les médias glorifient la performance physique et aiguisent la volupté des sens, on constate la multiplication des professionnels, des cliniques, des centres de recherche, des entreprises et des réseaux attelés à donner réponse aux demandes visant à corriger ou améliorer l’apparence physique et sexuelle.
Jusqu’il y a peu, le marquage, le tatouage, le piercing, la peinture du corps, la scarification, les mutilations corporelles étaient stigmatisés. De nos jours, malgré le danger de certaines interventions, l’importance accordée à l’apparence, à la stylisation et à l’eshétisation du corps est croissante en correspondance avec un projet de vie ou en réponse à une appartenances particulière.
Les causes de cet engouement sont multiples. Dans nombre de métiers et de professions en contact direct avec le public, il est tenu compte, dès l’embauche, de critères esthétiques, de beauté et de stature corporelle ; d’indices de comportement et de capacités de représentation. La starification trouve sa signification.
D’où l’essor des centres de soins de beauté, des médicaments cosmétiques, le développement de la chirurgie esthétique et plastique ou encore la demande de prothèses, d’implants de silicone ou de liposuccions. D’où une utilisation accrue de stéroïdes et d’anabolisants pour augmenter ou mieux utiliser la masse musculaire. De même façon, les pratiques et les activités d’entretien du corps sont favorisées par l’effloraison des centres de fitness, de massage ou de sport.  Enfin, des régimes alimentaires peu  caloriques, une panoplie de produits biologiques et diététiques, tels les oligo-éléments, nutriments et alicaments permettent le contrôle du poids et de la ligne. 

3. A la recherche de performances humaines supérieures
Aujourd’hui, des armée de spécialistes, appuyées par des centres de recherches, des entreprises transnationales et des réseaux commerciaux planétaires, sont attelés à l’amélioration de diverses performance et de l’endurance.  Dans un monde soumis à l’émulation et à la concurrence, il faut pouvoir transcender ses faiblesses, passer diverses épreuves, se soumettre à des tests, affronter le regard d’autrui. Beaucoup se mettent alors à la recherche d’un accroissement artificiel de la performance du corps, de l’intelligence ou de la mémoire. Cela vaut dès le niveau scolaire où l’on lutte contre l’hyperactivité, l’hyperkinétisme de certains enfants; où l’on veut favoriser l’attention, la concentration, le travail intellectuel par la ritaline ; où l’on avive l’intelligence par le glutamate. Ailleurs l’anxiété et la dépression seront combattues par des anxiolytiques. Pour maintenir l’équilibre vital de l’homme, on contrôlera son humeur. A l’inverse, en cas de surstimulation, on va le calmer, le dé-stresser par des « camisoles » ou de composants chimiques. Pour favoriser son sommeil, on utilisera des « endormisseurs » et des somnifères.  Pour autant, tous les hommes et  toutes les femmes ne sont  pas sous médicaments mais tous peuvent être tentés.
De longue date, l’homme a  recouru à des stimulants, tels la caféine, la théine, l’alcool, le chocolat. Aujourd’hui un éventail de stimulants sont conçus au service d’une multiplicité d’activités et de secteurs. Des drogues et stimulants sont développés en continu à destination  des sportifs mais aussi des personnes actives dans une diversité de secteurs requérant soit de l’endurance, soit de l’inventivité, de la créativité scientifique, technique, littéraire, picturale, symbolique ou psychique.

4. La quête du bonheur : ses ingrédients chimiques 
De nos jours, des professionnels, des centres, des entreprises et des réseaux se soucient du bien-et du mieux-être de ceux qui cherchent à faire face ou à échapper aux réalités du monde. Des coachs, des conseillers, des gourous, des psychologues et des psychiatres aident leurs clients ou patients dans la quête du mieux-faire, -vivre ou -être. Dans cette quête, ils sont
confortés par la mise au point et la production de psychotropes, d’euphorisants ou d’hallucinogènes. En quête de plaisir, d’une sensibilité, d’une sensualité ou d’une sexualité accrues, les gens disposent de drogues récréatives et festives, telles l’ecstasy ou le viagra.
Les lieux de réception de l’humain étant connus par la biologie chimique, des messagers, des marqueurs, des transmetteurs et des nanotransmetteurs permettent d’atteindre leur cible.

5. Les perspectives ouvertes par les neurosciences et les sciences cognitives
Corps et esprit ne forment qu’un, même si les progrès en médecine, chirurgie ou pharmacologie ont surtout concerné le corps. Aujourd’hui, les études sur le cerveau, l’intelligence, la sensibilité, le langage, la mémoire et donc l’esprit et la conscience, sont en plein essor. Les neurosciences et neurotechnologies, la neurochimie  et les sciences cognitives vont permettre de soigner les maladies et accidents du cerveau en expansion suite à l’allongement de la vie et du vieillissement de la population ; mais aussi de perfectionner le fonctionnement du cerveau et d’aiguiser les aptitudes intellectuelles. Déjà, on imagine le cerveau assisté électroniquement, voire jumelé à de puissants ordinateurs.
La révolution biogénétique a caractérisé la fin du 20ième siècle. Le 21ième siècle sera celui des sciences et techniques du cerveau et du système nerveux ; celui des neuro-sciences, -chimie, -chirurgie et –technologies, ainsi que des sciences cognitives .
En biogénétique dans le cadre du « genome project », on est parvenu à une cartographie complète des gènes des vivants et de l’homme; dans le cadre des neurosciences, le « cognome project» et le « brainome project » sont à l’ordre du jour. L’objectif est d’établir une description et une cartographie séquentielle de l’ensemble des connexions du cerveau exposé à divers stimuli. Tel serait la voie ouverte à la révolution neuro-scientifique, -technologique et –chirurgicale.
    Suite à la révolution biologique et biogénétique, les Etats ont cherché à baliser et à contrôler les recherches et les applications par des lois, voire des conventions internationales. Des comités d’éthique ont été créés. Sans doute parce que ces sciences et techniques paraissaient capables de transformer la nature humaine et, à terme, de fabriquer « a genrich category », des transhumains à gènes enrichis… Tous les Etats ne sont cependant pas sur la même longueur d’onde. Dans le monde asiatique, par exemple, on n’a pas les mêmes convictions, ni les mêmes valeurs quant à la vie, la nature humaine et l’au-delà.
Mais dès le début de ce siècle, ce seront sans doute les professionnels de la neurobiologie et des sciences cognitives qui, avec l’appui des spécialistes de la neuro-pharmacie, de la neuro-chimie, des neuro-technologies, des nano-sciences et des systèmes d’information et de computation, se lanceront dans le perfectionnement de l’homme. Ils le font déjà en corrigeant les sens, tels la vue, l’ouie ou l’odorat. Mais leur objectif final est d’influencer et de  parfaire les fonctions du cerveau et de découvrir les corrélats neuronaux de la conscience.
Grâce à l’imagerie cérébrale, les experts médicaux peuvent scanner le cerveau et l’observer au cours de diverses activités. Le scanner, la tomographie, la résonance magnétique fournissent aux scientifiques et aux médecins des capacités de diagnostic et d’intervention « in situ », des possibilités d’implanter des cellules rénovatrices, des puces électroniques ou des électrodes dans les systèmes neuraux et neuronaux. Ils disposent, en outre, d’une large pharmacopée pour atténuer la douleur, porter remède à diverses maladies mental, pour assurer le contrôle des émotions, améliorer l’humeur ou la mémoire, susciter l’imagination et accroître les performances intellectuelles. Aujourd’hui, les moyens de diagnostic et d’intervention permettent d’améliorer les capacités des bien-portants : d’accroître les capacités d’attention, l’acuité de perception, la rapidité des réflexes ; de contrôler l’humeur (par les « mood controllers ») ou de l’exalter (par les « mood brigtheners ») ; de modifier des traits de  personnalité et, par exemple, de contrôler l’agressivité et la violence des personnes, et ainsi de lutter contre les comportements compulsifs dangereux. Ces moyens permettent de combattre la dépression, de procéder au lavage du cerveau (brainwashing), voire de contrôler le cerveau (mind control). Grâce à des implants cérébraux, on peut contrôler des prisonniers dangereux et des criminels. Tout ceci n’est pas sans importantes implications éthiques. Pourtant, ces révolutions dans les neurosciences n’ont pas reçu la même attention, ni suscité autant de discussions, ni autant de surveillance et de contrôle que la révolution biogénétique. On se trouve pourtant au seuil de la manipulation de la conscience.
    Par ailleurs, si en biologie génétique, on travaille sur des embryons, des ovules ou du sperme prélevés sur animaux, les neurosciences ne peuvent progresser qu’à travers des expérimentations sur l’humain, car les animaux ne subissent pas toutes les maladies neuro-dégénératives de l’homme. De plus, s’ils en ont, elles n’apparaissent que tard dans la vie de l’animal : cela ralentit l’expérimentation. Dans les neurosciences et sciences du cerveau, on  travaille avec des personnes volontaires. De telles expérimentations supposent une information correcte et le consentement écrit et signé du patient, voire une surveillance et un contrôle par des experts ou des comités indépendants. La protection des cobayes doit être garantie : ni la sécurité, ni la dignité des personnes peuvent être mises en péril. Les catégories les plus faibles et donc les plus exposées à des abus doivent être protégées, tels les enfants, les prisonniers, les toxicomanes, les infirmes mentaux, les handicapés. Ces groupes défavorisés sont aisément manipulables et donc peu ou pas capables d’imposer le respect de leur personnalité et de leurs droits. In en est de même des populations dites captive : tels  les prisonniers ou encore les militaires qui sont susceptibles d’expérimentations, parfois à leur insu.
   
6. La bionique au service des fonctions et des performances humaines
De longue date, l’homme cherche à marier sa puissance à celle de la machine et d’accroître ses performances par des prothèses. La bionique marie l’homme et la machine.
Au départ, elle se développe au service des armées et des entreprises. Des capteurs sont utilisés dans la surveillance de certains travaux ou encore pour éviter des accidents de travail. La robotisation permet de se mouvoir et d’agir dans des milieux où l’homme ne peut intervenir directement ; dans des conditions extrêmes et des manœuvres dangereuses : là où il y a risque d’accident et où les conditions d’hygiène et de santé sont mauvaises. La robotisation permet d’accroître la productivité tout en préservant l’intégrité corporelle.
Mais la bionique a bien d’autres applications. L’homme peut être assisté par des ordinateurs et des implants dans un large éventail de fonctions et d’actions. Grâce à des prothèses intelligentes, les paralysés peuvent se lever et marcher. Grâce à des appareils et des implants cochléaires, les sourds peuvent entendre ; de sons aigus ou bas deviennent audibles. Des caméras spéciales et des transmetteurs miniaturisés, rendent une forme de vue à l’aveugle. La vision de voyants peut être affinée en vue de percevoir les rayons ultraviolets ou infrarouges : une capacité appréciée des armées. De même, des appareils permettent d’affiner l’odorat et d’aiguiser la reconnaissance des odeurs et parfums.
 Grâce aux connexions entre un cerveau humain et un ordinateur, des puces électroniques, des stimulateurs attachés ou incorporés et des prothèses intelligentes, il est possible de corriger toutes sortes d’incapacités motrices, de contourner les effets de maladies paralysantes ou incapacitantes, l’invalidité d’une hanche, d’un genou ou d’une cheville … 
A l’appui des performances accrues de l’homme, il y a la fabrication de puces intelligentes et de composants miniaturisés disposant de capacités d’enregistrement et de mémorisation ; il y a également la réduction des appareils, des capteurs, des stimulateurs ou des régulateurs, tels les pacemakers, et les transmetteurs. Cela permet de les implanter dans le corps, voire dans le cerveau et d’en accroître les performance.
Dans un proche avenir, les possibilités de rehaussement des performances humaines résulteront de la mise en oeuvre des nanotechnologies, des nano-marqueurs, des nano-bio-processeurs, transmetteurs ou activateurs, ainsi que de nano-médicaments : constitués de cellules ou de molécules qui circulent, simulent ou stimulent, réparent ou remplacent des systèmes intervenant dans le maintien et le déroulement de la vie mais qui vont aussi aider à développer des fonctions et des capacités humaines nouvelles et, notamment, les fonctions cognitives, intellectuelles et logiques du cerveau..


III. ESSAI DE CONCLUSION

1. Les implications éthiques des nouvelles fonctions médicales
Les sociétés modernes fondées sur la concurrence et le progrès, la créativité et la performance, croient en une transformation possible de la nature et de l’homme. Sciences et techniques sont attelées au perfectionnement de l’homme, par le choix de l’enfant à naître, par le travail sur les performances de l’adultes, par le contrôle des humeurs et des états de conscience, par un allongement de la vie. 
Aujourd’hui, les limites et les dangers d’un tel projet apparaissent nettement qu’il s’agisse de la transformation de la nature ou de l’homme. En cherchant à transcender ses limites et à  améliorer ses performances, on l’instrumentalise. Cela pose de nouvelles questions éthiques  aux périodes extrêmes de la vie, dès la conception et à la fin de la vie, mais aussi durant tout le cycle de vie. Ces questions découlent également de la médicalisation des problèmes sociaux et sociétaux, ainsi que de l’encadrement et du contrôle psycho-médical et mental de certaines populations. La réification, voire une domestication de l’humain ne sont pas un leurre.
L’importance des questions soulevées par le contrôle mental et social n’a pas échappé à la Commission européenne. En mai 2005, elle a signé un contrat par lequel elle s’engage à soutenir le projet de consultation publique européenne sur les sciences du cerveau. Celle-ci a débuté par une convention des citoyens européens qui a eu lieu du 3 au 5 juin 2005.

2. Les dangers de l’individualisme et de la dérive libertaire
Selon les uns, les évolutions des sciences et des  techniques identifiées sous l’acronyme NBIC ( Nano,  Bio, Info et Cogno-sciences) interfèrent dans le plan de Dieu sur sa créature. Par delà l’instrumentation de l’homme et la médicalisation de la vie, elles conduisent à sa réification, son instrumentalisation, sa domestication , voire sa bestialisation.
Selon d’autres, l’homme est par essence perfectible. Son perfectionnement est inscrit dans l’évolution. L’homme et l’humanité sont dans un processus permanent d’évolution créatrice. Un homme nouveau est possible. En ce domaine, si les conclusions de la science  contredisent ce que dit la religion depuis deux mille ans, celle-ci doit s’adapter… Pour les croyants adeptes de ce second courant, la poursuite du perfectionnement de l’homme, de la fructification de la nature et du contrôle de l’environnement s’inscrivent dans la co-création. De tout temps, l’homme a voulu transcender sa nature, développer ses compétences et ses capacités jusqu’à la limite de son corps ou de son esprit. La culture, de même que les processus de socialisation, d’inculcation et d’éducation visent à ce dépassement de performances humaines et à la levée des obstacles de la nature. Telle est pour partie la destinée de l’homme.
Mais est-il sûr que ce que  les sciences et techniques peuvent, Dieu le veut ? Science et technique ne doivent-elles pas être tenues dans les limites d’une philosophie de la nature, d’une conception métaphysique de la nature humaine et d’une théologie morale ? Faut-il risquer d’entrer dans l’irréversible ?  peut-on se lancer dans l’imprévisible à court et à long terme ? Face aux évolutions en cours et au réductionnisme scientiste, ces questions apparaissent lancinantes. Même si nous n’en avons pas encore les capacités, jusqu’où pouvons nous aller dans la transformation de l’homme ? Jusqu’où reculer les limites tracées par la nature et l’environnement ?
A ce jour et de manière générale, les Eglises se montrent plus intéressées par les problèmes éthiques aux marges extrêmes de la vie qu’aux phases du cycle de vie. La plupart sont contre toute intervention sur les gènes et les embryons, même si tous les chercheurs ne se sentent pas concernés par les interdits ou les moratoires, notamment dans le continent asiatique.
Par contre, au sujet de la transformation de l’homme dans le cours de la vie, les positions sont moins claires. Le moment est venu de se demander jusqu’où la médecine, la pharmacologie, la psychopharmacologie, la chirurgie esthétique ou la bionique peuvent aller dans la recherche du perfectionnement de l’homme.
Parallèlement, il importe de déterminer jusqu’où s’étend l’autonomie et donc le droit de chacun sur son corps, son cerveau, son esprit ou sa vie. La vision libertaire qui traverse les sociétés avancées paraît donner à chaque personne un droit absolu sur la gestion et l’utilisation de son corps ou de son esprit.
Enfin, sur le plan collectif, il faut décider jusqu’où les Etats et pouvoirs publics peuvent laisser faire libre cours à une instrumentalisation de l’homme.

3. Par delà la prudence, l’importance du principe de précaution
En ces domaines concernant la transformation de l’homme, le principe de précaution s’impose par delà le principe de prudence, même si l’on écarte toute éthique ayant une référence transcendantale
 La prudence tient compte des risques prévisibles accompagnant un traitement ou une intervention sur l’être humain et donc des effets collatéraux non désirés ou non-voulus à court ou à long terme. Agir avec prudence implique qu’une intervention  engrange plus de bien que de mal  à court ou, au moins, à long terme. Cette prudence s’applique à toute action de l’homme sur l’homme, sur la vie, la nature ou l’environnement. C’est ce que fait la médecine.
Mais les conséquences d’une action peuvent être imprévisibles parce qu ‘elles n’apparaissent qu’à long terme, comme dans le cancer du fumeur ou du travailleur exposé à l’amiante. Un devoir de précaution s’ajoute alors au devoir de prudence. Dans l’exposition aux effets d’un champs magnétique d’une certaine intensité découlant de l’utilisation des téléphones portables la précaution s’impose parce que les conséquences perverses ne pourront être reconnues qu’à long terme. Elle ne sont pas enregistrées au cours des expérimentations.
Ainsi donc, le principe de précaution impose de ne pas faire une intervention dont les effets à court ou long terme ne sont pas connus, ni prévisibles mais vraisemblables. Ce principe est très discuté parce que paralysant, d’autant mieux que les conséquences imprévues peuvent résulter d’une combinaison de causes ou d’actions.
Dans la réalité, les personnes, institutions et sociétés humaines sont en permanence confrontées à ces problèmes de prudence et de précaution dès lors qu’elles prennent des décisions. Ces principes sont applicables dans les thérapies génétiques ou somatiques.
La recours à une solution médicale dans un nombre croissant de problèmes de la vie de l’homme en société découle du rejet d’une éthique de la précaution par delà  la prudence.
Il en est ainsi dans les interventions relatives aux problèmes de fertilité et de reproduction humaines, ou encore dans la réponse aux problèmes en phase terminale de la vie. En ces deux domaines, les enjeux éthiques apparaissent clairement et les chrétiens estiment généralement qu’il n’y a pas à interférer dans le plan divin sur l’homme. Au cours des autres moments du cycle de vie, la limite entre le recommandable, le permis et l’interdit est moins bien tracée, peut-être parce que l’interférence avec le plan divin apparaît moins nettement.

4. La nécessité de fixer des limites
Les évolutions dans les sciences médicales et paramédicales provoquent un glissement vers une médecine de l’apparence, du confort, de la qualité de vie et de la performance . N’est-il pas urgent d’examiner les nouvelles pratiques et leurs conséquences possibles lorsqu’elles visent au remodelage du corps et de son apparence, au rehaussement de ses performances, y compris intellectuelles ; à l’accroissement de la qualité de vie ou du bonheur, à la mise sous contrôle des émotions et des angoisses et, par delà, à la manipulation des consciences?  Ces questions devraient interpeller les citoyens, les professionnels et les institutions, de même que les comités d’éthique mis en place durant les dernières décades.
Logiquement, les problèmes relatifs aux divers moments du cycle de la vie humaine devraient être soumis aux mêmes impératifs éthiques que ceux qui se posent aux marges de la vie, à savoir : le respect absolu de la vie et de la dignité humaines. Ces impératifs s’imposent particulièrement dans les interventions sur le système neuronal et le cerveau qui peuvent modifier les  émotions, la cognition, la mémoire et la raison et qui touchent donc directement la conscience humaine, voire la vie spirituelle. Ces prudences et précautions s’imposent d’autant mieux qu’une tendance à la privatisation parcourt aujourd’hui les secteurs qui, de loin ou de près, touchent à la vie, à la santé, au travail sur le corps et l’esprit.
La médicalisation et la privatisation sont également renforcées par l’internationalisation des groupes d’entreprises en charge de la recherche, de la production, de la commercialisation en ces domaines vitaux pour la vie et la santé de l’homme.
Il s’impose de tracer des limites parce que les évolutions en cours servent indubitablement à la promotion de la sécurité et de l’équilibre des personnes, à la pacification des relations entre elles mais aussi à la manipulation de l’homme, à l’atténuation ou à l’exacerbation de ses états de conscience.
Le vrai respect de la dignité de l’homme tout au long de la vie impose de lui assurer des conditions décentes sur le plan sanitaire et médical, comme sur les plans économique, social et culturel. Durant sa vie, l’homme doit pouvoir obtenir la reconnaissance de ses droits, à la fois en tant qu’être humain et comme fils de Dieu, particulièrement lorsqu’il souffre dans son corps en raison d’une malformation, d’un handicap, d’un accident, d’une blessure ou d’une mutilation, d’une douleur ou d’une maladie, mais aussi lorsque son esprit est mis à mal quelle qu’en soit la cause. Le Christ s’est montré sensible à toutes les souffrances de l’homme que ce soit dans son corps ou son esprit. Dieu souffre avec sa créature souffrante. Mais sous quelles conditions peut-on aller plus loin ? Tout dépend où l’on trace la limite entre le pathologique et le normal et donc entre ce qui sera permis ou interdit.

5. Entre le normal et le pathologique : une frontière  difficile à tracer
C’est par construction ou par convention sociale que l’on fixe la frontière entre le normal et le pathologique. Il est donc normal que son tracé évolue en fonction de l’expérience, des offres et demandes de soin, à travers un dialogue entre  humains et selon une logique procédurale.
Mais de nos jours, on médicalise des situations non forcément pathologiques. Les exigences de travail, de qualification, de consommation et de vie déplacent en permanence la ligne de partage entre les aptes et les inaptes, entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent. Cela fait glisser la frontière, comme d’ailleurs les progrès des sciences et des techniques médicales et paramédicales. Ce qui est normal aujourd’hui peut être appelé pathologique demain. Par ailleurs, des traitements utilisés pour lutter contre le mal ou la souffrance peuvent servir à l’amélioration d’une fonction d’un bien portant. Pourquoi y renoncer ?
Pour autant, faut-il continûment chercher à transcender nos limites ? Faut-il, parce que science et  technique le peuvent, chercher à rendre l’homme plus attirant, brillant, rapide ou intelligent ? Faut-il par delà le traitement des troubles psychologiques et neurologiques, tenter d’améliorer les fonctions cognitives ou l’humeur de personnes qui ne sont pas malades ? Spontanément, on penserait que non.
Toutefois, comme le souligne le rapport de la Fondation Roi Baudouin, si demain grâce à l’imagerie médicale, on peut détecter des traits de caractère ou des tendances comportementales, éventuellement susceptibles d’être traités, d’aucuns pourraient être tentés d’opérer une discrimination à l’encontre de ceux qui en sont porteurs. En effet, suite au développement des sciences et des techniques neurologiques et cognitives, on débouche sur de nouvelles méthodes d’évaluation des capacités humaines. De nos jours, il est possible d’établir des « neuro-profils » utilisables dans le choix du personnel, des managers, ou du partenaire au mariage… et, en justice, dans la détection du mensonge ou du coupable… En ce monde, ce qui est utilisable et rentable a des chances d’être mis en pratique par des entreprises, des écoles ou des institutions à caractère sélectif.
Il est donc urgent de redéfinir, par delà le normal et le pathologique, ce qui est acceptable et inacceptable, car avec l’expansion des neurosciences, le substrat de l’esprit et de l’âme, sont considérés comme un enchevêtrement de neurones et de synapses et l’on est tenté d’expliquer l’homme séparément de sa conscience, de son libre-arbitre, de son âme ou de sa spiritualité.

6. Les dangers de l’impérialisme médical
La médicalisation découlant du progrès des sciences et des techniques médicales et pharmaceutiques peut servir de multiples fins, comme le contrôle politique et militaire de tout ou partie de la population d’une nation.
 Incontrôlées, les sciences et techniques de la vie, du cerveau et de l’esprit risquent de déboucher sur des expérimentations, particulièrement sur les catégories les plus faibles et notamment sur les populations les plus défavorisées de la planète. L’expérimentation sur l’homme exige donc une information correcte et un consentement éclairé. En ce qui concerne les populations ou minorités, il est impératif organiser leur protection.
Si la liberté de recherche doit être assurée, il faut, dans le même temps, être certain que les recherches et les traitements respectent les droits de l’homme, sa liberté et sa dignité. Ce respect s’impose particulièrement dans les neurosciences et des sciences cognitives, parce qu’elles entrent en interférence avec ce qui fait la noblesse de l’homme : sa capacité à raisonner, à juger et à créer, à éprouver des émotions, à agir en conscience.
S’il est difficile d’accepter des expérimentations et des médications altérant la conscience humaine, cela ne signifie pas qu’on ne puisse chercher à connaître quelles parties du cerveau sont ordonnées au contrôle des états mentaux et émotionnels de manière à corriger les symptômes des maladies mentales ou du cerveau.

7. Un danger : le renforcement des inégalités de condition et d’accès aux soins
La médicalisation se développe en réponse à des problèmes ou des projets personnels, à des problèmes sociaux et sociétaux, ainsi qu’en réponse aux demandes de sécurité des personnes et des biens, ou encore de contrôle des formes de déviance, de délinquance ou de dissidence. Cela pose la question de l’accès libre ou obligé des personnes aux diverses offres médicales, psychologiques et paramédicales, car il faut parfois forcer les êtres à se soigner.
Parallèlement, se pose la question de la disponibilité et de l’accessibilité des soins. Médecine et pharmacopée, professions et institutions de santé, sciences et techniques ont pour devoir d’aider l’humain à assumer ses périodes de faiblesse temporaires ou durables. 
Mais aujourd’hui, l’accès aux soins ne dépend pas seulement de leur coût mais aussi de l’accès à des brevets. Cette question est devenue centrale. L’accaparement et de la monopolisation des innovations et des brevets au service et au profit de la propriété privée, matérielle et immatérielle sont devenus des enjeux stratégiques,  alors que les acquis des sciences et techniques médicales, pharmaceutiques et de leurs secteurs logistiques pourraient soulager une infinité de souffrances.

 8. Une évidence : la mise en danger des systèmes d’assurance sociale de la santé
Dans les sociétés les plus médicalisées, une médecine du confort et de la performance se développe par delà le soin aux malades. Ce qui creuse les inégalités dans l’accès aux services médicaux et pharmaceutiques, car la capacité financière des personnes et des familles diffèrent, comme le niveau de richesse et de développement des pays. Or l’accès différencié aux
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