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9 octobre 2007 2 09 /10 /octobre /2007 05:59
1. PRESENTATION DE LA QUESTION

Au sein des sociétés avancées, la lutte contre la souffrance humaine est centrale. Aujourd’hui, une multiplicité de moyens permettent de  la contrôler, notamment en fin de vie. La hantise de la souffrance a favorisé la médicalisation de tous les maux et de tous les risques. Cette médicalisation s’étend aux problèmes  de la conception, de la sexualité, de la procréation, de la reproduction, en cas d’accident, d’handicaps ou de maladies, dans la gestion des multiples problèmes de vie courante et de la fin de vie.
Quel que soit l’objectif : lutter contre la souffrance, contre une d’incapacitation ou rechercher une meilleure qualité de la vie ou stimuler de la fonction reproductive, la solution dépend d’innovations dans les sciences et les techniques biologiques, biochimiques, biogénétiques, neurologiques et neurochimiques.
Sur les acquis des sciences et techniques, on peut porter un jugement négatif parce qu’ils ouvrent la porte à la contraception masculine ou féminine, à l’avortement, à la procréation médicalement assistée, à la sélection des embryons, au choix du sexe ou de la race. On peut regretter l’utilisation abusive de certaines techniques ou moyens de surveillance de la grossesse par les images ultrasoniques ou par l’amniocentèse mais, dans certains cas, ce peut être utile : des enfants ou des mères peuvent être sauvés.
Qu’on les juge bonnes ou mauvaises, les innovations continuent. Les nouvelles médecines procréative, reproductive, régénérative ou réjuvénisante sont boostées par les progrès obtenus par les sciences et techniques attelées à la recherche sur le vivant animé ou inanimé. 
Dès lors, le traitement de nombre de problèmes de santé et de vie, dépend des innovations dans les sciences et techniques de la vie, du cerveau et de la conscience. Elles s’appliquent à tous les âges de la vie, dans les maladies invalidantes ou dans le contournement des handicaps héréditaires. Elles retardent le vieillissement et les dégradations liées au grand âge et eduisent les souffrances qui les accompagnent.
Aujourd’hui , les thérapies géniques (cellulaires et moléculaires) sont en plein développement. En utilisant des cellules souches ou pluripotentes adultes, on va contribuer à la régénération d’organes ou de tissus lésés. La génomique ouvre la voie à des interventions sur les gênes, aux diagnostics préimplantatoires. Au départ, le projet est d’éviter la reproduction de maladies ou de traumatismes hautement handicapants, mais « in fine », on vise le perfectionnement de l’homme dès le stade embryonnaire, l’amélioration de ses performances. Ensuite dans le cours de la vie, on cherche à repousser les limites du corps ou de l’esprit.
Les recherches concernant la vie et l’homme sont développées par de puissantes entreprises multinationales à la pointe dans les domaines de la biogénétique, de la chimie, de la médecine, de la pharmacie et de la pharmaco-génétique. Que ce soit au sein de laboratoires privés, voire publics, ces firmes sont attelées aux  recherches  concernant la vie de l’homme, sa reproduction, ses maladies, ses handicaps, ses souffrances.
Les acquis des sciences et techniques concernent les conditions de procréation, de reproduction,  la poursuite de la qualité de vie, le relèvement des performances, de même que le contrôle des émotions et des états de conscience, comme encore tout ce qui permet de lutter contre le vieillissement et de reculer la mort.
Cette révolution biologique ou biogénétique, de même que la révolution neuro-biologique et neurochimique résultent de la convergence et de l’interdisciplinarité des recherches, de la coopération entre les chercheurs et de la symbiose entre les différentes techno-sciences relatives à  l’homme et à son évolution : les NBIC selon l’appellation des experts : l’acronyme fétiche construit à l’instar des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Elles intègrent : les Nanosciences et les nanotechnologies qui permettent de prospecter, de transmettre et d’intervenir à très petite échelle ; les sciences et techniques Biologiques, la biologie moléculaire, la biogénétique et les biotechnologies, ainsi que la bionique qui vise à l’intégration harmonieuse entre homme, puces et machines et la création de cyborgs ; les sciences et les techniques de l’Information, de l’imagerie médicale et de la computation et enfin, les neurosciences, les neurotechnologies et les sciences neuro-Cognitives. D’énormes moyens financiers sont engagés dans la promotion de NBIC par les instances publiques, même si elles sont désireuses d’instaurer des moratoires, mais surtout par les puissances privées qui dans le cadre de la globalisation choisissent les lieux et les pays où elles seront les moins contrôlées pour développer leurs recherches ou pratiques.
L’attention grandissante portée aux NBIC provient de ce qu’elles touchent directement à la vie, au cerveau, aux émotions, à la conscience, à l’intelligence et à l’esprit. Mais en outre, elles sacralisent la quête d’une vie meilleure dès ce monde que ce soit à travers la manipulation de l’homme, le remodelage de son corps, la transformation de son esprit, de son humeur, de sa conscience. Avec d’autant plus d’acharnement qu’en ces domaines les enjeux financiers et de pouvoir sont énormes. Ainsi, la médicalisation se trouve « instrumentalisée » et entraînée sur la voie de la « marchandisation » et de la commercialisation de l’humain.
Dans nombre domaines de la vie, la recherche de la vérité scientifique et le développement des pratiques en découle se traduisent en des actes transgressifs des « commandements » de Dieu qui imposent le respect de la vie et de la nature humaine.
Pour l’Eglise, les multiples moyens de contrôle de la conception, comme de l’infécondité et de l’infertilité sont une transgression des lois de la nature et de l’identité de la personne conçue à l’image de Dieu et à sa ressemblance. De son point de vue, le génome humain, l’ADN, les gamètes, ou les embryons sont intouchables, sans quoi l’enfant n’est plus le produit de l’amour mais de la science. La procréation assistée n’est plus le fruit de l’amour mais le résultat d’une technique, même si ce sont des personnes légitimement mariées qui en ont souhaité l’application. Il n’empêche que du point de vue  des couples, les démarches visant à la procréation d’un enfant sont avant-tout la manifestation et la concrétisation de leur amour. L’enfant qui naîtra sera considéré, à coup sur, comme le signe et le fruit de leur amour. Parallèlement l’Eglise encourage toutes les recherches et les application visant au développement des technologies favorisant la reproduction naturelle (le NaPro-Technologies)
De même, l’Eglise considère que les interventions sur le cerveau et sur les états de conscience peuvent entamer le libre-arbitre. Or la neurobiologie débouche aujourd’hui sur une possible transformation des niveaux de sensibilité et de conscience qui construisent et constituent l’identité d’une personne. Par la génomique et la neurobiologie, ce sont moins les rapports entre science et foi qui sont en jeu que les rapports à l’éthique : les problèmes éthiques soulevés par ces recherches et ces nouvelles pratiques sont légion.

2. EN REPONSE, DEUX ATTITUDES SONT POSSIBLES

Face à ces développements biologiques et neurobiologiques, deux courants s’affrontent.
Pour un premier courant, l’intervention sur l’embryon est une atteinte à une personne en devenir. Pour l’Eglise, l’embryon est un humain dès sa conception. On attente à la vie, lorsque qu’après un temps, on détruit les embryons surnuméraires ou  on les utilise à d’autres fins. Mais les scientifiques ne sont pas tous d’accord sur ce qui constitue le début de la vie humaine.
De la même façon, en manipulant les capacités ou la conscience de l’homme, on touche à la liberté, à l’autonomie, à l’identité de l’homme; on entame sa dignité ; on fait fi de l’égalité de nature.
Ceux qui s’opposent à ces manipulations, considèrent ques ces atteintes à la vie, à l’intégrité de la nature humaine et à la conscience de l’homme sont le fruit des laboratoires et des recherches financées par de grandes entreprises, en collaboration avec les pouvoirs publics et les universités. Dans les faits, ces initiatives qui visent à la transformation de l’homme, à la transcription du son génome en un code informatique ou alors au contrôle des humeurs, des passions, des idées, des états de conscience, sont guidées par l’appât du gain, par les immenses profits pouvant découler d’innovations intervenant dans la production de l’humain. Ces innovations servent à répondre aux demandes de ceux qui y voient une solution aux problèmes de leur apparence physique ou à leurs problèmes vitaux ou mentaux. Grâce aux progrès des sciences et des techniques géniques, neurologiques, médicales et pharmaceutiques, de véritables marchés se développent contribuant à la désacralisation de l’humain.
Pour les opposants, la plupart de ces innovations et interventions violent le droit à naître, à vivre et à mourir selon les lois de la nature. Elles violent le droit à une naissance, à une vie et à une mort naturelles. Mais qu’est-ce qu’une naissance, une vie ou une mort naturelles ? Peut-on les concevoir sans accompagnement, secours médicaux ou pharmacologiques ?
Pour les adeptes du second courant, l’intangibilité du génome humain ne se justifie pas. Parmi eux figurent des prix Nobel, tel le professeur Christian de Duve, mais aussi James Watson, par exemple, comme encore des bio-éthiciens. Ils estiment qu’à terme, des interventions géniques permettront d’éviter la survenance de diverses maladies lourdement handicapantes.
Les diagnostics préimplantatoires, comme les techniques qui permettent le contrôle de l’évolution du fœtus et de la grossesse, permettent aux parents d’éviter le risque de mettre au monde un enfant atteint d’un désordre génétique grave ou condamné à souffrir d’une maladie ou d’un handicap hautement dommageable et pénible.
Selon les adeptes de ce second courant, notre nature biologique ou notre corporéité est le résultat d’une succession de changements génétiques obtenus par la voie de sélection naturelle et par les changements dans les conditions d’environnement. On sait aussi que notre cerveau, cette pièce maîtresse de l’hominisation et donc du passage du singe à l’homme, s’est fortement développé au cours de l’évolution. Il en est ainsi même si l’on croit que l’humanisation ou l’acquisition de l’âme humaine résulte d’une intervention divine favorisant l’éclosion de la vie spirituelle, le développement de l’esprit et donc de la culture à travers les rapports et échanges verbaux entre humains.
Selon ce second courant, l’évolution biologique de l’homme n’est pas arrivée à son terme. Alors pourquoi ne pas manipuler la nature et orienter notre propre évolution en fonction de nos connaissance? Créé à l’image de Dieu, pourquoi Dieu l’aurait-il privé de cette intelligence et de cette possibilité ? Ce courant n’hésite pas à croire qu’il est possible d’optimiser certaines facultés de l’homme, y compris les plus nobles, même si, aujourd’hui, de telles manipulations suscitent nombre de résistances. Mais est-il imaginable qu’elles ne soient pas mises en œuvre même si elles balayent la conception séculaire de la nature et du respect d’une nature humaine définie immuable? Dans les faits, rien n’empêchera ces manipulations biologiques ou neuro-biologiques. D’autant mieux que, selon les adeptes de ce courant, ces manipulations sont le fruit de l’essence spirituelle de l’homme. Pourquoi, dans ces conditions, se priver de la connaissance du génome de chacun et de l’appropriation des interventions et des médications qu’un jour prochain, elle permettra d’améliorer ?
 
3. L’IMPACT SUR LES MODELES DE CONSTITUTION ET DE GESTION DES FAMILLES

Notre objectif n’est pas trancher le débat mais de repérer comment les projets de constitution et de gestion d’une famille se trouvent profondément transformés, voire modelé par les avancées des sciences et des techniques principalement dans les domaines médical et pharmaceutique, biogénétique et neurobiologique.
Aujourd’hui, les familles font face à une panoplie d’interventions et d’institutions médicales au service de la santé globale, comme de la santé reproductive de ses membres ? Comment réagissent-elles aux sollicitations en ces domaines? Compte tenu des situations de plus en plus complexes dans lesquelles elles se développent, comment opèrent-elles leurs choix ? Selon quels critères ou motivations éthiques? 
Il est incontestable que les innovations et révolutions dans les sciences et techniques de la vie et du cerveau exercent une fascination sur les familles. Pour elles, la vie est sacrée et se doit d’être vécue dignement. Dans la mesure où la performance au sein des sociétés avancées est un impératif, un devoir, elles savent que le meilleur à le plus de chances d’avoir une vie digne d’être vécue. Cela peut les conduire au contrôle des naissances ou encore au refus  de l’idée d’accueillir un enfant handicapé. D’autant mieux que, dans le même temps, les familles sont confrontées à des transformations profondes et à des difficultés accrues dans leurs conditions et contextes de vie : dans le  travail, les consommations et les loisirs.
Cette approche à partir de la cellule familiale doit permettre de recontextualiser les problèmes éthiques et, notamment, d’éviter de les traiter séparément les uns des autres. Les  familles d’aujourd’hui sont forcées à faire des choix dans un ensemble de situations et de conditions interdépendantes, dans des circonstances variées, de complexité croissante et en évolution constante à travers la vie. C'est en partant de ces interdépendances, de la variété et de la complexité des problèmes qu'il sera possible de les aider, de les accompagner et de les guider dans leurs choix et dans la poursuite de leur idéal et projet. Pour y arriver, il faut étudier comment la civilisation contemporaine transforme la famille, sa gestion, son fonctionnement, sa composition et sa durée.

4. LES FAMILLES FACE A LA MEDICALISATION


En ce début du vingt-et-unième siècle, la famille est à la fois favorisée et bousculée par des mutations multiples et permanentes sur les plans économique, écologique, politique, culturel, social. En outre, elle est interpellée par les progrès sur les plans médical, pharmaceutique, pharmaco-chimique et pharmaco-génique et génétique. Ces innovations diverses confrontent les familles à une infinité de problèmes nouveaux et leur imposent des choix éthiques auxquels elles n’ont pas été préparées.
Le développement des sciences et des techniques du vivant contribue à une médicalisation de la fonction reproductive et du cycle reproducteur. Il s’étend jusqu’au traitement hormonal et médical de la ménopause. Ces sciences et techniques du vivant cherchent à résoudre tous les problèmes de la fécondité et de la maternité, de même que les problèmes de santé émaillant le cycle complet de la vie, depuis l’enfance, l’adolescence et la post-adolescence, puis la maturité, la vieillesse et la mort.
Quelques exemples illustrent cette médicalisation. Dès le projet de mariage, certains recourent à la médecine pou des examens de santé, parfois pour un contrôle de la séropositivité; puis, dans le mariage, dès le désir d’enfant et de procréation, car une famille sur cinq va rencontrer des problèmes de fécondité féminine ou d’infertilité masculine. Par ailleurs, pour certains couples, compte tenu de l’antécédent des personnes, se pose la question de la qualité du patrimoine génétique hérité et transmissible. A toutes, il va s’imposer d’assurer l’accompagnement et la surveillance médicaux de la grossesse. Ainsi, la reproduction passe sous le contrôle d’instances médicales, souvent jouxtées d’instances de soutien et d’accompagnement social et psychologique. Par la suite, surviennent les événements heureux ou malheureux qui égrènent la vie, tels les maladies, les accidents et les handicaps physiques ou autres. Viennent enfin les problèmes liés au vieillissement, à l’accompagnement de la fin de vie et à la mort.
C’est donc à tout instant qu’en ce début de siècle, les familles se trouvent face à des problèmes et des choix éthiques, car la médicalisation de la procréation, comme de la vie, élargit les options possibles. Elle pousse à la recherche d’alternatives par rapport à la santé et à la vie. Elle tente de plus en plus souvent à contribuer au confort des personnes, à leur qualité de vie, à la transformation de leur apparence physique par la chirurgie plastique, voire cosmétique, à l’amélioration de leurs performances au service de sociétés toujours plus productives et concurrentielles ; de sociétés qui, dans le même temps, cultivent un esprit consumériste et hédoniste. De nos jours, les familles sont confrontées à une panoplie d’offres thérapeutiques (médicales et paramédicales), voire séduites par une série d’interventions purement cosmétiques auxquelles elles se soumettent d’autant plus aisément qu’elles sont plongées dans une civilisation de l’apparence et de la performance.
Ces formes de médicalisation favorisent la longévité mais celle-ci débouche sur les maladies chroniques, celles de la vieillesse et sur une médecine qui vise à la ré-instrumentalisation, la remusculation et la recomposition tissulaire. Ainsi se crée un marché de la médecine régénérative. Sur ce marché, les thérapies géniques (cellulaires et moléculaires) deviennent centrales : ce qui explique l’importance croissante accordée aux recherches sur les cellules souches pluripotentes adultes, voire embryonnaires, car tous les pays sont loin d’avoir les mêmes conceptions sur le caractère sacré de l’embryon.
La médicalisation implique des choix éthiques de la part des familles. Une fois faits, ces choix ont des conséquences voulues et non voulues, des effets directs et indirects, heureux ou malheureux en de multiples domaines. Ainsi, la médicalisation de la reproduction et de la vie n’est pas sans conséquences sur l’étendue et la composition des familles, sur la répartition des rôles en leur sein. En favorisant la survie des femmes et des bébés lors des accouchements, on accroît l’efficacité reproductive des couples. Au total, moins de naissances sont nécessaires par couple pour construire la famille désirée et assurer la stabilité de la population. En choisissant le nombre et l’espacement des naissances, les femmes disposent de périodes plus longues à consacrer  à d’autres tâches que reproductives ou éducatives. De même, en contrôlant mieux les maladies infectieuses ou chroniques, en corrigeant autant que possible les handicaps, la médicalisation n’accroît pas seulement la longévité des personnes, elle permet la survie et la coexistence de générations multiples.
Ces transformations confrontent les familles à une diversité de problèmes nouveaux.; affectent leurs projets, leurs choix de vie ; commandent leurs options éthiques, y compris en matière de fécondité et de santé.

5. AUTRES FACTEURS A LA BASE DE LA TRANSFORMATION DES FAMILLES

Entité de consommation après avoir été unité de production, la famille a conservé de nombreuses fonctions. Pour un bon nombre, elle reste un havre de paix, un lieu de refuge, de protection et de sécurité pour les personnes ; un endroit propice à l’expression des sentiments et des émotions; elle est un réservoir d’amour et de solidarité; un centre de socialisation et d’éducation, notamment sur le plan spirituel et religieux.
Mais si l’on veut connaître et comprendre ce qui transforme les familles, leurs modes de gestion, de fonctionnement, leur composition et leur durée ou ce qui affecte leurs choix éthiques, il importe de repérer les révolutions et pressions diverses auxquelles elles sont exposées et qui les incitent à une médicalisation accrue.
1. Dans les sociétés avancées, les travailleurs, hommes ou femmes, sont soumis à une productivité élevée. Des professionnels, on attend de hautes performances. Des chercheurs, on espère des innovations. De tous, on exige adaptabilité, flexibilité. Les récompenses sont  calculées, voire individualisées en fonction des résultats. Fatalement, compte tenu des mutations économiques permanentes, les carrières professionnelles sont parsemées de périodes imprévisibles et parfois longues de chômage et d’attente. Les changements d’orientation professionnelles sont de plus en plus fréquents, entraînant des déménagements parfois des expatriations.
En outre, pour vivre correctement, les familles ont souvent besoin de deux salaires : d’où l’entrée massive des femmes sur le marché du travail et parfois la nécessité de correspondre à des impératifs horaires ou géographiques différents avec les effets que l’on imagine sur la stabilité des familles et des couples.
2. Productivistes, les sociétés avancées sont également des sociétés de consommation. Autrefois basées sur la consommation, le loisir et la culture de masse, elles se muent aujourd’hui en économies de la séduction et de la distinction et jouent sur la diversité et la présentation des produits, sur la différenciation des qualités, sur la diversité des services en fonction des revenus et des âges. Les jeunes et les moins jeunes ne sont pas les moins exposés à la publicité et aux médias. Dans ces sociétés, les entreprises manipulent la subjectivité des consommateurs ou clients par la publicité, la théâtralisation des lieux de consommation, le développement de différents styles de vie. A travers la diversification des biens et des services, ainsi que  la transformation de la subjectivité des acteurs, les économies modernes promeuvent la quête du bonheur, favorisent l’hédonisme, poussent à l’autonomie et donc à l’individualisation des goûts et préférences des acteurs et consommateurs.
3. L’individualisation des parcours de vie des personnes découle de la recherche de l’épanouissement et de la réalisation de soi, de la construction de son  identité. Ce qui n’est pas sans conséquence sur les relations au sein des familles, sur le type et la qualité des rapports entre époux, tous deux contraints à travailler; ni sans effets sur la communication entre parents et enfants, ainsi que sur les liens entre les générations d’une famille.
Sur le plan de la consommation, les désirs et besoins de chacun se trouvent mis en concurrence avec ceux des autres membres  de la famille. D’autant mieux que la cellule familiale se démocratise et assure une plus grande égalité dans les rapports entre les personnes. L’ère de la gestion patriarcale est dépassée. Aujourd’hui, les familles s’organisent selon un mode de gestion plus démocratique mais aussi plus coûteux qu’autrefois dans la mesure où chacun veut pourvoir correspondre à ses désirs.
4. Productivistes et consuméristes, les sociétés les plus avancées impliquent que l’on investisse plus et mieux dans le développement et la formation de l’homme, depuis sa naissance, durant l’enfance et l’adolescence, puis la post-adolescence. Les jeunes sont donc de plus en plus longtemps à charge de leur géniteurs, parfois jusqu’au delà des études supérieures, notamment lorsqu’ils sont en quête d’un emploi ou d’un logement. En outre, contrairement à ce que l’on a connu dans le passé, lorsque les familles étaient des unités de production, les parents d’aujourd’hui bénéficient peu des investissements consentis au service des générations nouvelles.
De nos jours, l’investissement en capital humain se développe à travers toutes les initiatives visant à développer la formation au long de la vie mais constitue un coût élevé pour les familles.
Ainsi la famille doit de manière continue trouver comment concilier travail et famille, équilibrer dépenses et revenus,  satisfaire les besoins d’information, de formation et de consommation des uns et des autres et, dans le même temps, trouver le juste milieu entre les engagements et relations internes et  externes.
5. La famille est devenue un tremplin vers le monde extérieur. Aujourd’hui, la famille est inévitablement ouverte sur l’extérieur. L’évolution du contexte global fait que les relations de chacun se développent rapidement hors de la sphère naturelle de la famille.
Dans le même temps, à l’ère de l’information et de la communication, et au sein d’économies de la connaissance, la famille est exposée et pénétrée de toutes parts. A travers l’ensemble des appareillages de communication  (radio, télévision, internet, téléphones fixes et portatifs), elle se situe au centre d’un ensemble de réseaux. Elle devient un nœud de communication.
Le foyer n’est plus seulement le lieu physique des relations face-à-face, il est de plus en plus un site débouchant sur les réseaux d’amis, les groupes d’intérêt de chacun.  Relié aux réseaux planétaires de diffusion et de communication, le foyer est un lieu où l’on peut être physiquement présent tout en se trouvant émotionnellement et mentalement à distance. Dans nombre de familles, on ne prend même plus systématiquement les repas ensemble et l’on va grignoter devant la TV.
Dans la famille d’aujourd’hui, chacun à son domaine et cultive son « jardin » personnel. En son sein, chacun prend plus de liberté et s’affirme dans ses choix Ainsi, l’intimité et la sociabilité sont sensiblement transformées tant au niveau des liens conjugaux que parentaux. La capacité de surveillance et de contrôle sur les utilisations des divers médias de communication sont sensiblement réduits. Le risque est aussi de consacrer moins de temps aux autres à l’intérieur de la famille, comme entre les générations.

*   *   *
Tels sont les multiples facteurs qui mettent la famille sous tension, même lorsqu’elle est basée sur un lien conjugal et parental fort : celui découlant d’un mariage hétérosexuel, religieux ou civil.
Qu’on le veuille ou non, la famille se trouve engagée en première ligne dans la lutte contre la culture hédoniste et matérialiste, contre l’individualisme promu par le productivisme et le consumérisme, contre le relativisme ambiant. C’est dans ces conditions, qu’elle doit promouvoir une culture de la vie et une civilisation de l’amour fondée sur l’ouverture à Dieu et aux autres, proches ou lointains.
C’est aussi dans ce vaste contexte qu’il faut comprendre les transformations des fonctions de la famille, de sa dimension, de sa structure et de sa gestion. C’est dans ce contexte de mutation globale qu’il faut analyser les personnes et les familles, leurs parcours, leurs choix de vie, mais particulièrement leurs options en matière de santé et de reproduction que ce soit par rapport au corps, sa motilité, son apparence et son attirance; par rapport à l’équilibre psychologique et mental . En tous ces domaines les personnes et les familles lesquelles sont à l’affût de performances nouvelles du corps, de la mémoire, de l’intelligence et de l’esprit. Ces objectifs sont accessibles ou le seront bientôt suite aux progrès de la médecine, de la chimie et de la pharmacologie à la base de la médicalisation de la vie.
Ainsi, les innovations médicales, pharmaceutiques et chimiques permanentes ne sont pas sans conséquence sur les familles et leurs options de vie. En outre, on ne peut ignorer les séquelles de la révolution sexuelle ; les conséquences de la dissociation entre fonctions sexuelle et reproductive ; les impacts de la révolution procréative et reproductive, ni les effets de la révolution découlant du développement de la médecine régénérative, source de  longévité croissante.

6. L’IMPACT DES REVOLUTIONS SEXUELLE ET REPRODUCTIVE

1. Les effets de la révolution sexuelle
La révolution sexuelle dans laquelle la famille se trouve plongée découle, par delà le contrôle naturel des naissances, des possibilités de stérilisation mais, principalement, de la prolifération des moyens de contraception utilisables par l’homme ou par la femme qu’ils soient de type mécanique, biochimique ou chirurgical. La libéralisation de la vente et l’abaissement des prix des contraceptifs en ont facilité l’accès et favorisé utilisation. On les trouve dans les rayons des supermarchés et la télévision en fait la publicité.
Autrefois, les moyens masculins de contrôle masculin étaient les plus connus. Aujourd’hui, les contraceptifs sont plus utilisés par les femmes que par les hommes. Dès les années cinquante, le recours à la pilule contraceptive se développe parce qu’elle fournit à la femme une possibilité de contrôle de la fécondation équivalente à celle de l’homme. Puis vint « la pilule du lendemain ». Les féministes croient que la révolution sexuelle des années cinquante a assuré la « libération » des femmes, favorisé leur entrée au travail et développé leurs possibilités de carrière.
Quel que soit le jugement moral que l’on tient sur ces pratiques et donc sur la maîtrise féminine de la fécondité, leur généralisation a de multiples conséquences, parmi lesquelles les possibilités d’espacement des naissances et la fixation de leur nombre. Cette maîtrise, qu’elle soit le fait de l’homme ou de la femme, entraîne une dissociation catégorique entre la fonction sexuelle et la fonction reproductive dans comme hors de la famille. Elle explique la forte chute, sinon l’effondrement de la natalité particulièrement dans les familles des pays les plus développés d’Europe et des Etats-Unis. Cette maîtrise de la fécondité explique également pour partie le nombre croissant de familles désagrégées dans la mesure où les moyens contraceptifs facilitent les liaisons extra-conjugales et conduisent « in fine » à un grand nombre de séparations et de divorces. Mais ces liaisons expliquent aussi le nombre d’enfants nés hors mariage au point que certains n’hésitent pas à parler de la batardisation résultant de la révolution sexuelle.
Les moyens contraceptifs ne concernent pas que les adultes et les personnes mariées. Leur usage se développe dès que l’on atteint de la maturité sexuelle et explique l’éclosion des amours précoces et juvéniles, puisqu’il ne semble plus avoir de dangers ni de limites  aux relations prémaritales.
Même si certains n’hésitent pas à parler de la « libération » de la femme par la contraception, sa généralisation loin de réduire les appétences sexuelles masculines semble les renforcer dans la mesure où plus de femmes paraissent accessibles sans conséquences pour leur fécondité. Certaines études vont plus loin et n’hésitent pas à établir un lien entre le développement d’une sexualité « exploitative » en famille, entre le développement de la maltraitance et de la violence sexuelles intra-familiales et le développement de l’utilisation de moyens contraceptifs.
Mais la montée de la sexualité « exploitative » ne s’arrête pas là.  La généralisation des moyens contraceptifs conduit à l’instrumentalisation et à la commercialisation du sexe. Ainsi, par rapport au passé, les femmes et jeunes filles apparaissent moins protégées des abus sexuels dont le nombre est d’ailleurs croissant. Ce qui, à son tour, n’est pas sans rapport avec le développement de la pornographie et des sites qui lui sont dédiés sur l’ « internet », de même qu’avec la présentation abusive du corps dont la publicité fait usage.
La libération débridée de la sexualité paraît pourtant se calmer ne fut-ce qu’en raison de la prolifération du Sida et des diverses autres contaminations pour lesquelles les contraceptifs ne sont pas toujours et nécessairement une protection efficace.
Toutefois, notre objectif n’est pas d’étudier tous les effets de la révolution sexuelle. Il est plutôt de reconnaître l’ensemble des pressions et des contraintes  qui s’imposent aux familles et qui les conduisent à faire de nombreux choix : éthiques ou non.
De ce point de vue, que l’on se réjouisse ou que l’on déplore la vague contraceptive qui envahit les sociétés, il suffit de constater qu’en moins d’un demi-siècle, la révolution sexuelle a réduit la fécondité des familles à un niveau qui, dans bien des pays « avancés » , n’assure plus le renouvellement de la population.

2. La révolution reproductive
La révolution sexuelle a contribué à séparer la fonction sexuelle de la fonction reproductive. Quoiqu’il faille en penser moralement, elle a permis le contrôle de la conception et de fixer le nombre d’enfants désirés par les époux.
Mais une autre forme de disjonction entre la fonction sexuelle et reproductive a vu le jour suite à la maîtrise médicale des conditions de procréation et de reproduction. Le développement accéléré des sciences a favorisé les techniques biogénétiques et des méthodes artificielles de procréation ont favorisé la fécondation in vitro et le diagnostic préimplantatoire. Ces sciences et techniques offrent une solution aux couples souffrant d’infécondité ou d’infertilité. Ils peuvent concevoir des enfants tout en contrôlant la qualité, voire le sexe. Ces interventions sont coûteuses et ne sont pas sans dangers, ne fût-ce qu’en raison de l’hyperovulation qui est nécessaire à la réussite de la fécondation.
Au sein des sociétés avancées, la famille est largement informée de toutes les technologies reproductives : des possibilités de diagnostics avant conception, d’assistance médicale à la procréation, de fécondation in vitro, d’examen des embryons avant implantation, ainsi que des diverses techniques d’imagerie médicale durant la grossesse, comme des possibilités d’interruption ou encore des techniques de stérilisation.
La surveillance et l’accompagnement médicaux du cycle de reproduction de la conception à la naissance se sont accrus. Ils tendent à se généraliser. Le contrôle de la qualité du fœtus s’étend par delà les couples infertiles à ceux qui craignent des maladies incurables ou des malformations du bébé à naître. La médicalisation de la fécondation et de la grossesse permet la détection précoce des maladies ou des handicaps transmissibles à travers le patrimoine génétique des personnes. Ces examens sont courants dans les familles où l’on souffre de maladies ou de tares d’origine génétiques. De plus, de nos jours, l’imagerie médicale développée grâce aux ultrasons, l’amniocentèse et d’autres examens plus dangereux, permettent de repérer la conformation de l’enfant dès avant sa naissance. Les malformations ou les anomalies pouvant déboucher sur des maladies ou des situations lourdement handicapante pour l’enfant en gestation sont aujourd’hui repérables.
Ces pratiques se généralisent rapidement avec les conséquences que l’on imagine et ce, quels que soient les dangers qui résultent d’examens « invasifs » pratiqués avec le consentement des personnes  et grâce au financement publics d’ Etats préoccupés des coûts long terme de la santé…
Cette médicalisation de la procréation et de la reproduction joue sans doute un rôle positif dans la prévention d’accidents survenant dans le cours de la grossesse ou lors d’accouchement prématurés, mais elle est aussi la voie grande ouverte vers l’avortement ou l’interruption volontaire de grossesse.
En théorie, un diagnostic problématique n’induit pas une intervention de la part du médecin qui communique le résultat aux parents. Mais inévitablement, dans de tels cas, la  réflexion et la décision des parents sera ou non favorable à la poursuite de la grossesse.
Ainsi, la révolution reproductive, comme la révolution sexuelle, exposent les familles à une panoplie de problèmes vitaux et de choix éthiques alors même que les intelligences et consciences des personnes et des familles ne sont pas correctement éclairées et formées.
C’est récemment que les médecins et personnels médicaux se sont mis à réfléchir aux conséquences des décisions d’avortement prises par la mère ou les époux. En effet si l’avortement est sans danger physique pour la mère, il n’est pas sans répercussions morales et psychologiques. Il peut à terme créer un réel traumatisme pour la femme. D’autant mieux qu’il faut expliquer aux enfants déjà nés, pourquoi le petit frère ou la petite sœur n’apparaîtra pas à terme.
En fait, en cas de diagnostic problématique, les forces sociales jouent très souvent en faveur de l’interruption de la portée. En effet, il ne faut pas sous-estimer le regard réprobateur que la société porte fréquemment sur le couple qui, mis au courant des malformations, maladies ou anomalies du fœtus, décide d’aller jusqu’au bout et d’accepter l’enfant. A l’inverse, il y a ceux qui n’hésitent pas culpabiliser et à stigmatiser les parents qui, en connaissance de cause et après mûre réflexion, reconnaissant les implications prévisibles du handicap pour la vie de l’enfant à naître, comptabilisant les charges qui pèseront sur les frères et sœurs, se trouvent remplis d’angoisse, prient le « Père » d’éloigner d’eux cette coupe, et décident de ne pas garder l’enfant.
A la réflexion, sans en être conscients, la société avec l’appui du corps médical, des familles et de l’opinion publique est en train de fixer la limite entre ce qui sera ou non considéré comme une vie acceptable.
In fine, qu’on le veuille ou non, la double révolution sexuelle et reproductive change profondément la fécondité des couples, le moment auquel ils donnent une réponse à leur désir d’enfant. Cette maîtrise de la fécondité transforme profondément le déroulement et la longueur des diverses phases du cycle de vie précédant ou suivant la période de fécondité et d’éducation des enfants. Ces considérations à long terme ne sont pas sans répercussions sur les choix des familles.

3. Les impacts sur le déroulement de la vie personnelle et du cycle de la vie familiale
La médicalisation de la fonction reproductive sauve nombre de mères lors des accouchements. Elle assure la survie d’enfants nés prématurément et prévient la mort de nombre de bébés à la naissance. Elle favorise la fécondité d’un pourcentage important de femmes. Le relèvement des taux de survie des mères et des bébés à la naissance et la multiplication de femmes avec enfants permettent aux femmes de n’engendrer qu’un petit nombre d’enfants par rapport à leurs grands-mères tout en assurant la reproduction de la population. Ainsi, la période durant laquelle les femmes sont mobilisées par les maternités et l’éducation des enfants  est sensiblement réduite.
Les périodes de vie précédant ou suivant les temps de grossesse, de naissance et de soin aux jeunes enfants s’allongent. Ce qui permet la montée du nombre de femmes mariées au travail et de celles qui poursuivent une carrière professionnelle quasi-complète. Evidemment, bien d’autres explications du travail de femmes hors foyer sont possibles comme, par exemple, la nécessité de combiner deux salaires pour correspondre aux charges et coûts qu’impliquent l’éducation  et la formation des enfants et des jeunes jusqu’à la post-adolescence (18 à 25 ans), voire jusqu’au moment où les jeunes trouvent un emploi ou un logement.
Parallèlement à la médicalisation de la fonction reproductive, la médicalisation croissante de la vie a permis son allongement même si la longévité accrue des personnes et des générations a diverses causes. De multiples facteurs interviennent, comme par exemple, es progrès dans la qualité de l’alimentation, de meilleures conditions  d’hygiène, tant privée que publique.
Cette longévité couplée à l’encadrement médical des problèmes de la procréation et de la reproduction enclenche nombre d’effets majeurs dans la formulation des projets et dans la gestion du cycle de vie des familles. D’abord parce que cette longévité favorise la coexistence de quatre, voire cinq  générations. Même séparées et vivant à distance les unes des autres, l’entraide, les échanges de services et les aides financières sont possibles. Cette coexistence et cette interdépendance entre les générations de même souche vie se traduisent dans une autonomie plus grande vis-à-vis des cercles de la parenté plus larges : les oncles, tantes et cousins. Mais il ne faut pas rêver. On ne peut passer sous silence les problèmes intergénérationnels qui naissent des familles décomposées et recomposées.

7. MEDECINE REGENERATRICE ET PRISE EN CHARGE DE LA FIN DE VIE


Un des phénomènes les plus remarquables du 20ème et 21ème siècles se trouve dans l‘allongement de la vie. La longévité actuelle s’explique par la lutte victorieuse contre les infections, les bactéries, les microbes et les virus. Mais à terme, l’allongement de la vie débouche sur la multiplication des maladies chroniques. On n’échappe pas facilement aux misères qui accompagnent la vieillesse. A ce moment, le sens de l’entraide entre les générations est inversé : ce ne sont plus les jeunes enfants qu’il faut garder mais les vieux qu’il faut soigner.
Le développement de tout homme et de tout l’homme implique la protection et le respect de la vie tout au long de l’existence : dès le projet de procréation et de reproduction jusqu’à la mort.  Cette protection et ce respect de l’homme impliquent la prise en compte de ses problèmes, handicaps, maladies, souffrances et conditions de vie en société. Il ne suffit donc pas d’assurer la survie de l’homme, il faut veiller à améliorer sa vie et sa condition à travers son cycle vital. A quoi servirait d’allonger la durée de vie, s’il était impossible d’en assurer la qualité ?
Cette protection globale de la vie nécessite, en outre, la conservation et le développement d’un environnement sain et donc le développement d’une écologie physique, mais aussi d’une moralité et d’une solidarité globales. Ces impératifs s’imposent à toutes les générations présentes. Il faut, en outre, y intégrer l’intérêt du point de vue des générations futures. Cela suppose la préservation du patrimoine génétique humain, de la diversité naturelle, autant que de l’environnement. Les hommes et femmes d’aujourd’hui doivent vivre en considérant qu’il est de leur devoir de préserver l’espèce humaine et, dans le même temps, vivre comme s’ils empruntaient la terre aux générations de demain.
Quelques réflexions complémentaires s’imposent concernant cette autre révolution que constitue le développement de la médecine « régénérative » dont les bienfaits vont nous accompagner jusqu’à la mort. En moins d’un siècle, dans les pays les plus avancés, on a gagné près de 25 années de longévité.
Fin du 20ème et début de ce 21ème siècle, de nouvelles recherches ont permis la découverte et la multiplication des thérapies cellulaires, moléculaires et géniques. Leur essor est favorisé notamment par les nanotechnologies qui fournissent des véhicules ou transmetteurs. Ces thérapies et technologies permettent de lutter contre la sénescence, les dégénérescences, les maladies dégénératives caractéristiques du grand âge.
Ces thérapies vont devenir centrales dans l’accompagnement des populations vieillissantes et de plus en plus nombreuses. Ainsi, après avoir vaincu les maladies infectieuses, microbiennes et virales, la médecine se trouve attelée à la lutte contre la multiplication des maladies chroniques ou les accidents vasculaires et cardiaques lourdement handicapants.
Les maladies de la vieillesse affectent les aptitudes physiques, les fonctions biologiques mais aussi mentales. Le vieillissement peut être cérébral provoquant des troubles de mémoire et d’orientation. Ils peuvent être sensoriels dans les pertes de la vue ou de l’ouie. Le vieillissement peut aussi altérer le système digestif dans les cas d’obésité ou de diabète, par exemple. Il atteint le système musculaire et osseux dans les maladies ostéo-articulaires.
Le problème est donc d’assurer la longévité si possible sans développer d’incapacités. D’où l’idée d’une médecine préemptive. D’où la recherche de molécules humaines capables de revivifier certains tissus, comme les tissus cardiaques ou de régénérer des neurones. D’où la découverte de thérapies cellulaires, moléculaires et géniques. Mais ces thérapies supposent que l’on dispose de cellules pluri- ou totipotentes : les cellules souches : celles auxquelles la génétique et la biogénétique s’intéressent.
Il existe divers types de cellules souches : les cellules souches adultes, les cellules souches extraites du sang du cordon ombilical et les cellules souches embryonnaires. Seules les cellules souches adultes présentent l’avantage de pouvoir être cultivées puis réimplantées sans rejet. Il y a immuno-compatibilité. Une qualité que  les autres types n’assurent pas. De plus, la culture de cellules souches embryonnaires pose de graves problèmes éthiques même lorsqu’il s’agit d’embryons surnuméraires dont les parents ou géniteurs acceptent ont fait don.
Tels sont les enjeux de ce vingt-et-unième siècle. Tels sont les objectifs des recherches au cœur des sciences biologiques et biogénétiques. Telles sont les reconversions en préparation dans les centres et les entreprises médico-pharmaceutiques. Une nouvelle pharmacologie est en plein développement visant la fabrication des tissus, la multiplication de cellules et de molécules, la reproduction de gènes.
Mais la vie n’échappe pas à la mort : elle lui est consubstantielle.
Quoiqu’on fasse, on n’échappe pas aux maladies du grand âge. Malgré le développement des soins à domicile, on n’évite pas la multiplication des placements en homes pour personnes âgées et en institutions gériatriques. Dans les pays les plus avancés, plus de 70 % des personnes meurent à l’hôpital, pas seulement parce que les familles le veulent en raison de la surcharge de travail pesant sur les jeunes générations mais parce que les soins ou la gestion de la souffrance le nécessitent.
Il est donc urgent de développer les soins palliatifs, d’introduire l’hôpital à domicile, d’éviter l’acharnement thérapeutique, tout en assurant correctement la nutrition et l’hydratation, et enfin d’assurer au patient et à la famille un climat de suffisante sérénité à l’approche de la mort. L’accompagnement des mourants doit être développé. Leur souffrance doit être autant que possible atténuée.
Mais quoiqu’on fasse, il reste dans l’immédiat des cas d’extrême souffrance difficile à soulager avec les moyens disponibles aujourd’hui. Dans ces cas, certains justifient le recours à l’euthanasie, voire acceptent le suicide assisté. Ces solutions ouvrent la voie à abus et vont évidemment à l’encontre du respect de la vie et de la dignité de l’homme. Certains se demandent pourtant si la dignité de l’homme peut être réduite à sa vie ? Si de longues souffrances inhumaines en fin de vie sont humainement dignes notamment lorsque la médecine se déclare incapable de les atténuer ?

8. ESSAI DE CONCLUSION

Dans cette contribution, nous nous sommes limité aux problèmes de santé, aux mutations engendrées sur les plans médical et thérapeutique, aux questions éthiques qui en découlent. Etant donné la rapidité des révolutions en biologie, en biogénétique, dans le génie et les thérapies géniques, cellulaires et moléculaires, il est difficile de prévoir quels impacts elles auront sur la vie des personnes, des familles et des sociétés. Mais elles sont incontestablement en train de changer notre vie : pas seulement la façon de nous soigner, de concevoir notre corps, mais aussi nos habitudes alimentaires, nos styles de vie, notre manière de définir et de poursuivre notre équilibre personnel, nos conceptions du mariage et de la famille, notre façon de concevoir les bébés, d’élever et d’éduquer les enfants ; et finalement la marche à suivre en fin de vie, nous nous approchons de la mort.
Les familles sont donc placées en première ligne face aux multiples problèmes de la vie et de la mort, aux questions posées par la médicalisation de la vie et de la fin de vie. La réflexion sur ces  questions n’est pas sans incidences sur le contenu de nos croyances, sur nos façons de croire,  sur nos convictions; sur notre manière de penser la création, de voir l’évolution et de vivre notre religion ; sur le choix des valeurs et des normes à la base de notre vie et de nos sociétés.
Durant leur cycle de vie, les familles sont confrontées à des contextes complexes et évolutifs. De tous, les sociétés modernes requièrent performance et excellence, mobilité et adaptabilité. Ce qui exige des choix vitaux de la part des familles. Trop peu d’entre elles sont formées, informées et éclairées face aux décisions à prendre et se laissent le plus souvent guider par celui qui, dans la circonstance, se présente comme l’expert.
Face aux évolutions accélérées, les familles les familles peuvent se trouver séduites par le chant des sirènes et par ceux qui revendiquent de nouvelles formes d’autonomies, des droits nouveaux en prolongement des révolutions sexuelle, reproductive, génique et régénérative.
Comme chrétiens, nous avons tendance à penser que les droits de l’homme, tels qu’ils ont été définis dans les chartes européenne ou mondiales, constituent un ensemble clos. Dans les faits, ces chartes sont aujourd’hui bousculées. L’ère libertaire que nous traversons conduit à la revendication de nouveaux droits qui ne cadrent pas vraiment avec les définitions antérieures. Cette liste de droits s’élargit chaque jour. Il pourra s’agir du droit de la personne à s’autodéterminer, du droit à la transformation de son apparence corporelle et physique, du droit de la femme sur son corps, du droit à la poursuite d’une amélioration des capacités personnelles sur divers plans, du droit à se doper (tels les sportifs ou les militaires, par exemple), du droit à correspondre à ses désirs, du droit à provoquer et à poursuivre ses fantasmes, du droit au libre exercice de sa sexualité, du droit à la liberté reproductive, du droit à choisir la manière de se reproduire, du droit à choisir le sexe de ses enfants, du droit à se garantir contre les dangers que présente le patrimoine génétique des membres du couple, du droit à l’autonomie du patient arrivé en phase terminale et donc de son droit à mourir dans la dignité et donc à choisir les modalités de sa mort sa mort et le moment de survenance…
Cette énumération nous effraie. Incontestablement, ces revendications violent le droit à une naissance, à une vie et à une mort naturelles, le droit à naître, à vivre et à mourir selon les lois de la nature . Mais qu’est-ce que la nature ? Qu’est-ce qu’une naissance, une vie ou une mort naturelles ? Peut-on les concevoir sans accompagnement, secours médicaux ou pharmacologiques ?
Dans le même temps, dans nos sociétés on proclame le droit à la recherche et du chercheur.  De quel droit la société mettrait-elle des freins et des limites au développement de la connaissance, à la conquête de la vérité sur l’homme et sur la vie, à la recherche du perfectionnement de la nature mais aussi de l’homme ?
Face à ces problèmes individuels et collectifs, que peuvent faire les familles? Beaucoup. Encore faudrait-il qu’elles soient conscientes des enjeux et de l’importance d’un engagement collectif.
Avec Patrick de Laubier, paraphrasant les propos du Cardinal Ratzinger, aujourd’hui Pape, on peut se demander dans quelle mesure les droits de l’homme, tels que définis aujourd’hui ne devraient pas être complétés par une doctrine des devoirs de l’homme et des limites de l’homme ?

Jacques Delcourt
Professeur émérite à l'Université Catholique de Louvain
Rome 2006
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