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10 septembre 2009 4 10 /09 /septembre /2009 17:14
PREMIERE PARTIE "Mise en perspective de la question"

1. L’occasion de déclencher le débat. Dans le passé, les débats sur le « C » de l’UCL, sur sa signification et ses implications ont été peu nombreux, même si de longue date le Groupe Martin V a beaucoup discuté et publié sur ces questions. Il est vrai que, durant une longue période, l’université a dû faire face à nombre de problèmes : les uns plus urgents que les autres. Elle a été confrontée aux embuches nées de son transfert de Leuven à Louvain-la-Neuve, à l’ancrage dans son nouveau territoire, à l’impératif de démocratisation de l’accès, à l’afflux des étudiants mais surtout des étudiantes, à une exigence croissante de professionnalisation, à la volonté de contribuer au développement économique et social par la formation du capital humain au service d’une société de la connaissance, à la croissance exponentielle de la recherche tant scientifique que technologique, à la nécessité d’organiser des partenariats avec des entreprises et des administrations, avec les représentants de la société civile, voire avec la société religieuse. Tout ceci ne se conçoit pas sans un appareil bureaucratique important, sans de nouvelles formes de gouvernance, sans des plans stratégiques, des indices de performance, de contrôle de la qualité des enseignements, sans des audits et des évaluations des résultats et donc aussi, sans la quête de nouvelles ressources. Certains n’hésitent pas à dénoncer la marchandisation croissante par l’université, que ce soit de ses enseignements, recherches, brevets ou services. Dans le même temps, l’université a dû faire face à l’élargissement et à l’internationalisation de son public favorisé par le programme Erasmus, à la mise en œuvre de la réforme de Bologne et à la réorganisation des cursus universitaires, à l’instauration d’un système de crédits universitaires, à la nécessité d’organiser une reconnaissance mutuelle des diplômes, à l’obligation de se profiler en fonction des critères d’excellence mis en avant par les classements européens et mondiaux des universités, de favoriser les publications et leur diffusion internationale, d’œuvrer à la transnationalisation du système universitaire à travers la multiplication des partenariats. Il s’agit là d’une une série de facteurs qui placent l’université sous l’aiguillon de la concurrence d’ailleurs accrue par le développement de fondations et de centres de recherches séparément des universités. Aujourd’hui pourtant, suite à la création de l’Académie de Louvain regroupant quatre entités auxquelles s’adjoignent l’ICHEC et l’IHECS, on a décidé de choisir une dénomination commune mais cette démarche a débouché sur un débat qui, par delà la présence ou la suppression du ‘C’, porte avant tout sur l’identité, sur les appartenances et références implicites ou explicites de ce que certains souhaiteraient appeler la nouvelle Université Catholique de Louvain. C’est la dénomination que veut la nouvelle structure de gouvernance mais déjà le groupe signataire de l’appel en faveur de ULouvain souhaite une consultation des personnels.
Dès avant le choix de la dénomination nouvelle, deux appels ont été lancés consécutivement : l’un, pour enlever le ‘C’; l’autre, portant sur la signification possible d’un engagement chrétien dans notre monde en profonde évolution. Leurs mérites est d’avoir porté au grand jour la question de l’identité et des valeurs au niveau d’une université. De fait, le regroupement des entités dans le cadre de l’Académie de Louvain offre l’opportunité de discuter de son appellation et des implications de sa référence chrétienne, mais l’émergence de cette question a des explications beaucoup plus fondamentales qu’il faut trouver dans les transformations des sociétés et du monde. Cette interrogation se justifie d’autant mieux que la société belge se caractérise d’avantage par son pluralisme et son multiculturalisme. Il en est de même sur le plan européen. Ce pluralisme se manifeste clairement sur le plan religieux. En ce domaine, on trouve toute la gamme des possibles, allant de l’athéisme en passant par l’agnosticisme et l’incroyance, en passant par un éventail diversifié de croyances et d’appartenances : ce qui débouche parfois sur formes de sectarisme. A l’autre extrême, on constate la prolifération de groupes caractérisés par l’intégrisme et de fondamentalisme religieux préoccupés du déclin de la dimension religieuse et spirituelle en Europe et dans le monde. L’université constitue fatalement le reflet de ce pluralisme des appartenances et références. Divers processus sont donc à l’œuvre. D’une part, il y a la séparation nette entre l’Eglise et l’Etat. D’autre part, la laïcisation : un processus qui tend à isoler la société civile par rapport à la société religieuse. On assiste alors, par delà la sécularisation de la société, à une pluralisation et à la privatisation ou à l’individualisation du croire. Quant au multiculturalisme, il s’explique aussi par les vagues successives d’immigration, par l’abaissement des frontières entre les Etats et par l’engagement résolu de la Belgique dans l’accueil des institutions européennes. Dans ces contextes cosmopolites, multiculturels, pluralistes, sécularisés et laïcisés, les appartenances et références religieuses sont diverses, sinon occultées, voire rejetées. Mais le pluralisme et le laïcisme ne sont pas les seules sources la diversité et la labilité des appartenances et des références. Il y a aussi l’économisme triomphant, la professionnalisation accrue, le productivisme, le consumérisme, comme encore le matérialisme et le relativisme caractéristiques des sociétés d’abondance et des économies de marché basées sur la connaissance, la science et la technique. Dans ces sociétés, les personnes sont d’avantage motivées par leur réussite personnelle et professionnelle et la qualité de la vie que par l’ouverture aux autres et par la solidarité. Les valeurs sociales faiblissent, alors même que les valeurs individuelles fleurissent. De plus, l’internationalisation des systèmes de communication, l’interconnexion des réseaux, et la communication multimédiatique qu’elle soit interpersonnelle ou collective, contribuent à la multiplication des relations transfrontalières, à l’abaissement des cloisons entre les groupes et les mouvements, à l’effacement des lignes de démarcation entre les institutions, comme entre les divers domaines de la connaissance. Ces relations interpersonnelles et transfrontalières concernent toutes les catégories d’âge, même si la fracture informatique entre les divers pays est grande, car tous les humains ne sont pas aussi richement équipés. L’université, qu’on la qualifie catholique ou non, n’échappe pas aux conséquences de ces multiples évolutions. A tous les niveaux, dans ses divers compartiments, dans ses diverses catégories de personnel et, très logiquement, dans ses publics, jeunes et moins jeunes, ainsi que parmi les multiples commanditaires de recherches, on ne peut que constater la pluralité des appartenances et des références en matière religieuse, voire le rejet de ces appartenances et références traditionnelles. Dans ces conditions, certains s’interrogent sur l’opportunité de conserver cette appellation de l’université. D’un côté, parce que l’on ne voit plus ce que cela signifie ; d’un autre côté, on cerne mal les implications de cette affiliation sur sa gestion et sur son développement. Dans nos sociétés, cette interrogation ne concerne pas que l’université. A travers le temps, de nombreuses institutions ont été créées sous cette dénomination catholique. Même si, aujourd’hui, la société se présente comme plurielle et pluraliste, nombre de ces institutions ont conservé cette appellation de départ, même si au niveau des partis politiques, certains ont souhaité ne plus s’appeler catholiques. De même, le mouvement scout a renoncé récemment à cette dénomination. Il n’empêche que, même si elles se disent ouvertes à tous et profondément pluralistes, ces institutions, telles les écoles, tels les mouvements de travailleurs, les mouvements de jeunesse, les hôpitaux et les œuvres caritatives, justifient leur appellation catholique sur base de la spécificité des valeurs chrétiennes à la base de leur fondation et de leur fonctionnement. Cette appartenance et cette référence chrétiennes ne sont pas des conditions d’entrée ou de participation, comme dans les mouvements spécifiquement religieux. Toutes ces institutions sont conscientes des valeurs à défendre. Toutes insistent sur la spécificité des valeurs qui les animent, parmi lesquelles les valeurs évangéliques : le respect de la dignité de la personne, la priorité à accorder aux plus pauvres, l’engagement libre volontaire et dévoué,… la solidarité, la justice, la non violence… Ces institutions estiment que la foi est importante pour la compréhension du sens de la vie, l’inspiration non seulement de la personne mais aussi des groupes et des institutions. De leur point de vue, la foi contribue au bon fonctionnement de la société et à une bonne gouvernance, tant européenne que mondiale. Mais ces valeurs sont non marchandes. Leur proclamation et leur incarnation se heurtent fatalement aux évolutions des sociétés happées par la recherche du profit, par l’exaltation de la réussite, par le développement des économies de marché et de la concurrence. Nombre de valeurs dites chrétiennes sont en opposition avec diverses valeurs véhiculées dans les sociétés les plus avancées, sécularisées et laïcisées. En théorie, ces valeurs devraient être l’inspiration de l’université lorsqu’elle s’affirme catholique ou simplement chrétienne. Un projet de charte explicitant les valeurs qu’elle veut privilégier est d’ailleurs en discussion et dans la nouvelle gouvernance l’instauration d’un conseil Université et Eglise de même qu’une Commission Université et Communauté chrétienne. L’importance prise aujourd’hui par le débat sur l’appellation de l’université et sur les implications de la dénomination, a de nombreuses explications. Il est utile de les dénombrer et de les expliciter.

2. Le refus de l’Europe de faire allusion à ses racines chrétiennes. Préalablement au débat entamé dans le cadre de la nouvelle UCL, il y a eu une longue discussion au sein de l’Union Européenne sur l’opportunité de faire référence aux racines chrétiennes de l’Europe, d’abord dans le projet de constitution, puis dans le traité remanié. Chaque fois, il a été refusé de faire allusion à ces racines chrétiennes partant d’une conception de la laïcité, mais aussi du fait que l’histoire de la chrétienté en Europe n’a pas toujours été glorieuse. Ce refus est également la suite logique d’une longue phase de déchristianisation et de l’immigration de populations pratiquant d’autres religions. Aujourd’hui, suite à ces migrations et aux contacts entre les diverses civilisations, on se retrouve en Europe, par delà les chrétiens (catholiques, orthodoxes et protestants), des personnes, des familles et des groupes affichant leur foi mahométane, d’autres se réclament de la judéité ; d’autres s’inspirent de diverses formes et sources religieuses, théistes ou non ; d’autres, enfin, se déclarent laïcs, agnostiques ou athées. Tous souhaitent avant tout le respect de leur autonomie, de leurs croyances et convictions ou de leur incroyance, et donc de leur liberté de conscience : celle-ci doit être respectée par delà la liberté de religion. En conclusion, l’Europe en voie de sécularisation est définitivement plurielle. En outre, au sein de l’Union Européenne, les indices de sécularisation sont multiples. Ils montrent le recul de la pratique et de l’appartenance religieuses, la chute des vocations, la décléricalisation fatale suite au déclin du nombre des vocations et au vieillissement du clergé, la désacralisation des institutions (certaines laissent tomber l’étiquette catholique), la « décrédibilisation » d’un message chrétien rigidement formulé, l’éloignement par rapport à des règles morales strictement codifiées par l’institution religieuse indépendamment de tout contexte… Dans ces conditions, la transgression de nombreux interdits de l’Eglise n’est pas étonnante, que ce soit en matière de contraception, de sexualité, de reproduction, de séparation et de divorce ou dans le traitement de la fin de vie. La sécularisation trouve de multiples explications : dans le développement de la science qui paraît comme la seule source de la vérité ; dans le passage d’une civilisation rurale vers une civilisation urbaine ; dans la différenciation, la séparation et l’autonomie fonctionnelles des institutions. Telles sont les formes de la modernité. On comprend que dans ces conditions, la distance affichée par rapport à l’institution religieuse et par rapport à ses préceptes soit grandissante et, notamment, par rapport à la morale judéo-chrétienne. Peu à peu, les catholiques se trouvent coincés dans un statut de minorité. Mais si l’on assiste à une lente « désinstitutionnalisation » de la religion, cela ne signifie pas la fin de la croyance mais ce processus accentue l’individualisation et la privatisation du croire : le « believing without belonging ». Danielle Hervé-Levieu croit que nous sommes entrés dans l’ère du «bricolage» religieux, parce que dans ce monde sécularisé, chacun a la capacité et le droit de penser par lui-même. Chacun a le devoir de respecter l’autonomie des autres et de croire en leur capacité à faire leurs choix et à prendre en conscience leurs responsabilités. Les droits des personnes ne sont pas seulement négatifs, c’est-à-dire des droits à ne pas subir de pressions ou d’interférences de la part des autres, mais aussi des droits positifs et donc de pouvoir faire librement en conscience et en responsabilité des choix quant à ses modes de vie et de relation, les habitudes vestimentaires...Peut –on porter un voile ? Où ? Dans quelles circonstances ? Pour nombre d’experts, la sécularisation ne détermine donc pas seulement une séparation drastique de l’Eglise et de l’Etat, à terme, elle conduit à la privatisation de la religion, à sa relégation dans la vie et la sphère privées. Dans nos Etats, on cherche à ce que la religion reste une affaire privée, une question de conscience individuelle. Les sociétés sécularisées sont donc essentiellement tolérantes à la condition, toutefois, que les religions restent confinées dans la sphère privée. Tout ce qui rend l’appartenance visible apparaît rapidement comme une forme d’imposition et de prosélytisme. Tel serait le prix de la pacification et de la neutralité religieuses… Dès lors, la séparation opérée dans nos sociétés entre le sacré et le séculier ou le profane, ou encore la disjonction entre la religion et l’Etat est un fait. Elle conduit à reléguer le phénomène religieux dans la sphère privée. Cette privatisation de la religion l’empêche de faire irruption dans le champ politique et donc d’investir la sphère publique. Cela vaut pour l’église catholique, comme pour les églises chrétiennes ou les autres religions. Dans un tel cadre, les gouvernements et les parlements doivent s’exprimer en dehors de toute référence à un message religieux. Le consensus politique ne se construit plus sur une base religieuse. En conséquence, le phénomène religieux devient purement culturel et la démarche intellectuelle tend à éclipser toute quête spirituelle et de sens. Nombreux sont ceux qui pensent que les processus de sécularisation et de laïcisation jouent inéluctablement dans le sens de l’effritement du religieux, d’abord au sein des sociétés européennes mais, à terme, dans toutes les autres parties du monde, même si, sur un plan immédiat, les autres continents (en Amérique du Nord, par exemple) et les autres civilisations, paraissent échapper à cette évolution. Aux Etats-Unis, la concurrence interreligieuse reste importante et lorsqu’il regardent vers notre vieux continent, il n’hésitent pas à considérer que la laïcité affichée constitue ce qu’ils appellent l’exceptionnalisme européen Confrontée à cette sécularisation et au relativisme qu’elle engendre, les Eglises catholiques et chrétiennes se placent dans une position défensive. Dans cette situation de déchristianisation, l’Eglise catholique tend à réagir fermement, au risque de produire la stigmatisation des personnes ou des groupes qui s’en écartent. Dans ces conditions, l’Université Catholique de Louvain est amenée à naviguer dans un contexte à la fois religieux et socio-religieux qui complique considérablement ses capacités à renouveler et à traduire le message chrétien, à l’adapter et à le transmettre à destination de ses divers publics, de la société et du monde. D’autant plus qu’elle est largement financée sur base des deniers publics ? Pourquoi, dans ces nouvelles conditions, vouloir lutter contre vents et marées ?… Selon certains, dans ce nouveau contexte pluraliste et libertaire, il conviendrait de mettre une sourdine à la référence chrétienne ou catholique de l’université. In fine, pour ceux-là, les processus de décléricalisation, mais aussi de pluralisation, de sécularisation et de laïcisation se cumulent à tel point que toute référence religieuse est perçue comme négative, notamment sur le plan du « marketing » universitaire. Pourquoi, face à des publics venus de tous horizons, continuer à afficher des crucifix dans les auditoires ? Suite à ces évolutions, on peut comprendre que se réduise le nombre de personnes attachées au « C » inscrit au fronton de l’université. L’indifférence s’accroît d’autant mieux que le public et le personnel de l’université deviennent, à l’instar de la société, essentiellement pluriels. Même si la thèse de la sécularisation est aujourd’hui très discutée, il est difficile de nier l’effritement et l’estompement lents de l’engagement catholique de l’Université. La sécularisation en séparant l’Eglise de l’Etat, libère le pouvoir séculier du pouvoir religieux. Dans le même temps, elle développe l’autonomie des personnes par rapport aux institutions religieuses. La sécularisation ne change pas seulement le rapport entre l’Eglise et l’Etat, mais aussi entre le peuple de Dieu et, par ailleurs, l’Eglise et ses institutions. La sécularisation creuse la distance entre catholiques et chrétiens et leurs institutions ecclésiales. C’est d’autant plus vrai chez les catholiques en raison de la forte centralisation et de la hiérarchisation stricte de l’Eglise dans un monde où, par ailleurs les principes de la démocratie et les droits des citoyens sont sacrés. Enfin, la sécularisation conduit à refouler la religion dans la sphère privée. dans l’individualisme caractéristique de l’économie de marché Chez nombre de catholiques européens, parmi les hommes mais surtout parmi les femmes, la crise religieuse s’explique par l’intransigeance des positions romaines face aux moyens de contrôle des naissances et de contraception, d’assistance médicale à la procréation; par le refus de l’eucharistie aux divorcés ; par le dédain vis-à-vis de l’homosexualité et les unions homosexuelles; de même que par les condamnations et les menaces d’excommunication, par exemple, à l’encontre de ceux qui votent des lois tendant à la libéralisation-régulation d’actes irrespectueux par rapport à la définition de la vie et de l’être humain formulée par l’Eglise. Le rappel des interdits est considéré par nombre de chrétiens non seulement comme une qualification précise du péché mais comme une lecture en noir et blanc de situations variées et décontextualisées. Par ailleurs, des définitions claires du péché conduisent à stigmatiser le pécheur, voire à le rejeter et à l’excommunier. La distance par rapport à l’Eglise et la tension qui se développe dans les relations par rapport à nombre de ses représentants hiérarchiques, s’expliquent par ce qui est perçu à la base comme une dénonciation de situations et d’actes mais aussi comme une condamnation sans appel des personnes et des familles qui s’y trouvent plongées et qui, dès lors, se sentent rejetées à l’extérieur avec leurs problèmes. L’animosité face à l’Eglise et à certains de ses représentants découle des jugements, condamnations et interdictions qui frappent des hommes et des femmes comme si l’on voulait occulter le droit de la personne à agir de manière responsable en fonction de sa conscience éclairée. De même, on éclipse l’immensité de l’amour, de la compréhension et de la miséricorde de Dieu pour l’homme, y compris pour le pêcheur. Face aux jugements ecclésiaux radicaux et aux sanctions qui en découlent, nombre de catholiques se jugent discriminés, voire écartés d’office et sont de moins en moins enclins à proclamer leur appartenance, même s’ils conservent la foi. Ils continuent à croire et à poursuivre leur vie spirituelle mais n’appartiennent plus à l’Eglise. Au cours du temps, nombre de chrétiens ont appris à prendre leurs responsabilités et à agir en conscience. La sécularisation au sein des sociétés s’explique donc aussi par la disjonction entre l’Eglise et les fidèles ; entre les croyants et la religion et la foi telles que codifiées. La décrédibilisation du message chrétien s’inscrit dans un processus de détraditionnalisation et se manifeste dans des formes de démobilisation et de désengagement. Mais cela ne signifie pas que la religion, la religiosité et la spiritualité disparaissent. Ces expressions montrent l’autonomie grandissante des personnes et montrent la profonde transformation de la foi et des façons de croire. Dans ce monde sécularisé, chacun paraît vouloir reprendre son autonomie et sa liberté. L’univers religieux apparaît alors comme un monde de subjectivité et d’intersubjectivité dans lequel chacun est autorisé à penser comme il le veut et à juger de la relativité des choses et à prendre ses responsabilités. Incontestablement, on assiste à une individualisation du croire. Mais cette sécularisation ne constitue pas nécessairement une évolution négative : elle diffuse le pluralisme au sein des sociétés. Elle débouche sur une diversité et sur un relativisme, tant sur le plan culturel que moral et religieux. Mais, dans le même temps, il n’a jamais été autant discuté des questions éthiques et morales, des questions de sens et de spiritualité. *3. La révolution dans les réseaux de communication et de relation * La diversification et la variabilité des subjectivités construites sur base de choix « à la carte » sont aussi la conséquence de l’explosion tous azimuts des informations et des connaissances accessibles à travers les nouveaux moyens, réseaux et institutions de transmission et de communication. La mondialisation des multiples réseaux de communications permet la communication instantanée entre toutes les parties du monde. Dans les sociétés sécularisées et informatisées, les humains se trouvent plongés dans un « melting pot » religieux. Ils font face à un quasi-marché où les diverses religions et conceptions religieuses sont juxtaposées et s’offrent à eux comme les articles d’un superbazar dans lequel tout se vend et s’achète. Dans cet univers, chacun développe ses opinions et convictions en fonction de ses appétences personnelles. Cet éclatement du religieux en diverses directions est la conséquence de ce que l’on appelle sa commercialisation et de sa marchandisation croissantes. Le religieux se vend et s’achète sur un marché, comme les autres biens et services. Cela se constate dans le succès du « nouvel âge », dans l’ésotérisme religieux, dans les succès de l’église scientologique, dans l’intérêt pour le bouddhisme… les religions asiatiques, dans la comparaison entre l’islamisme et le christianisme… D’autant mieux que la mondialisation dans ses diverses dimensions joue à l’instar d’un mélangeur ou d’un malaxeur des cultures, des civilisations, des spiritualités et des religions. Au sein de ces sociétés, le consommateur est laissé libre de composer son panier religieux selon sa personnalité, ses préoccupations et ses moyens. Peu à peu, on entre dans une commercialisation du spirituel et du religieux à l’instar des autres formes de savoir ou de connaissance... En favorisant l’interpénétration des cultures et des religions, la mondialisation contribue à multiplier les formes d’exotisme sur les plans culturel et religieux. Le brassage continu des cultures et des religions conduit à des métissages, à toutes sortes d’hybridations parfois positives mais aussi à des contaminations croisées. Le religieux devient le domaine de la relativité où tout est question de circonstance et de lieu, de condition et de choix personnels. In fine, le pluralisme sur le plan spirituel et religieux découle d’un profond relativisme culturel. Dans ce monde où pluralisme rime avec syncrétisme, le christianisme passe incontestablement par une crise profonde. Qu’est-ce que croire en Dieu dans un monde où les religions se juxtaposent, se comparent, se concurrencent et s’agressent au nom de leurs conceptions de Dieu et de ses commandements? A terme, ce pluralisme et ce relativisme religieux peuvent de conduire à la négation de la transcendance, de toute vérité absolue, de toute vérité morale. Ce pluralisme religieux, cette individualisation du croire et le relativisme moral trouvent également leurs sources dans l’individualisme caractéristique de l’économie de marché , dans le développement des économies libérales, dans la conviction acquise quant à l’efficacité de cette économies et dans la croyance quant aux effets heureux qui en découlent,. Dans nombre de sociétés, notamment depuis la chute des régimes communistes, la croyance en la valeur des principes de l’économie de marché et la conviction quant à ses retombées bénéfiques se sont rapidement répandues. Dans ces économies libérales de marché, les personnes sont considérées libres et autonomes : libres de choisir leur vie, d’affirmer et d’exercer leurs droits. Elles semblent alors pouvoir résister aux pressions sociales et culturelles. Cette souveraineté de la personne qui s’exerce dans le respect d’autrui n’a rien de répréhensible. Mais peut-on affirmer que les personnes sont vraiment libres et autonomes au sein des économies de marché? Alors, pourquoi tant de publicité ouverte ou camouflée ? Les économistes libéraux insistent sur l’efficacité supérieure de cette économie guidée par les forces du marché, parce qu’elle favorise au mieux l’autonomie et l’initiative des personnes. Mais, trop souvent, ces économistes occultent les effets pervers d’un individualisme excessif, tel le carriérisme et le consumérisme qui s’inscrivent dans le sillage du jeu du marché. En fait, ce marché est sous-tendu par les puissants mécanismes de persuasion, de séduction et de distinction développés par la publicité et les médias. En outre, cette forme d’économie où tout se vend et tout s’achète, joue en faveur du relativisme moral au sein des sociétés modernes. L’individualisme ancré au cœur des sociétés les plus avancées est une conséquence logique des forces économiques laissées libres. L’individualisme émerge du jeu des institutions et des structures en place : des modes de calcul des rémunérations et des récompenses des travailleurs en fonction de leur initiative, de leur productivité ou de leurs performances ou encor de leur esprit d’innovation. Chacun poursuit son intérêt personnel et sa réussite individuelle : toutes tendances favorables à l’appropriation et à l’accumulation privées du capital. Sur le plan de la consommation, l’individualisme est aiguisé par la manipulation des désirs et de la subjectivité des acteurs : clients ou consommateurs, à travers la différenciation des produits et des modes de vie, par le biais des moyens de persuasion aux mains des entreprises, par l’imposition d’un nouvel art de vivre, en mettant les individus en quête du bonheur, à la recherche du/ /plaisir et de la satisfaction des désirs ; en faisant de l’argent, du profit et de l’accumulation privée les signes de la réussite. Dans ce cadre, toute la production, toute la consommation, toute la vie et toutes la civilisation apparaissent centrées sur la quête du bonheur et de la jouissance. L’utilitarisme et l’hédonisme règnent en maîtres. Dans ces conditions, il est fatal que les personnes se replient sur elles-mêmes, sur la sphère privée pour se mettre en quête de liberté, de réussite matérielle et affective, et donc d’épanouissement personnel. L’autodétermination de la personne est devenu un enjeu primordial. Cette civilisation centrée sur l’individu débouche sur un monde pluriel, plein de diversité, sur une vie envahie par les loisirs. L’« homo egonomicus », selon l’expression de Christian Arnsperger, apparaît replié sur lui-même, en quête du bonheur. En réalité, il est le fruit de l’individualisme et du relativisme caractéristiques des économies libérales de marchés mais aussi des sociétés animées par une conception purement représentative et instrumentale de la démocratie : une société laïque dans laquelle le consensus est négocié selon une logique procédurale plutôt que sur base de principes et de valeurs. Dans ce monde, les humains se trouvent instrumentalisés, réifiés et utilisés comme des «choses », ils deviennent égocentriques. Ceci n’est pas sans risque de désorientation et de perte du sens dans le cours de la vie. On a rêvé d’une famille « cocon » mais elle éclate plus vite qu’elle ne s’est constituée. Cet éclatement s’explique pour une large part sur base de cet individualisme conquérant. En Belgique, on compte trois divorces pour quatre mariages. Le danger dans ce monde individualiste est que la femme devienne un objet pour l’homme, et l’homme pour la femme ; que les enfants soient perçus comme une gêne pour les parents ; que la famille soit ressentie comme une institution encombrante pour la liberté de ses membres. L’individualisme et le matérialisme cumulés débouchent fatalement sur le relativisme. Dans ce cadre, c’est la personne qui choisit ses appartenances et ses références, de même que ses valeurs. Elle les hiérarchises en fonction de ses préférences, même si, d’une personne à l’autre, ces choix apparaissent discordants. Dans de telle conditions, les exigences du bien commun passent au second plan. Cet individualisme ne peut fournir de réponse aux problèmes de l’humanité et du monde. L’importance accordée aux préférences personnelles est la porte ouverte au pluralisme religieux, voire à l’individualisation du croire, sinon au nihilisme. Par ailleurs, nombre des objectifs poursuivis par les personnes, le sont sans égard aux conséquences écologiques des productions et consommations ; sans souci des gaspillages, comme d’ailleurs des déchets inhérents aux sociétés de consommations, même si, de nos jours, les personnes sont plus sensibles à l’environnement. Peut-on, dans ces conditions, admettre que individualisme et le relativisme puissent être les idéaux proposés aux générations montantes ? Peut-on laisser l’indifférenciation des valeurs et la tolérance s’imposer à la base de l’ordre social? Faut-il dans un tel cadre que l’université soit gérée comme une entreprise ? Dans ces circonstances, comment incarner le message et les valeurs évangéliques dans la vie de l’université? Tous ces processus sont sans doute une explication de la lente déchristianisation des nos sociétés européennes. Dans un tel contexte, on peut évidemment se poser la question de l’appellation de l’université et de ses implications. Mais cette évolution et cette interrogaton ne s’expliquent-t-elles pas sur base d’une cause bien plus profonde ?

DEUXIEME PARTIE : A la recherche des explications de l’«exculturation» du christianisme

1. L’ «exculturation» : une conséquence des révolutions scientifiques et techniques. A la réflexion, la sécularisation et la laïcisation, comme le consumérisme et le productivisme, tels que décrits, conduisent à gestion commercialiste et professionnaliste de l’université. Toutes ces évolutions sont à la base de certaines interrogations auxquelles on cherche à répondre par un débat sur la signification et les implications du « C » dans la vie de l’UCL. Ces diagnostics sont pertinents. Mais à la base du débat, on trouve un problème beaucoup plus fondamental dont la source doit être recherchée dans le fabuleux développement des sciences et des techniques résultant de leurs capacités accrues d’observation, d’expérimentation, de prévision et d’évaluation que ce soit au niveau de l’infiniment petit ou de l’infiniment grand. Ces sciences et techniques démontrent aussi des fabuleuses aptitudes à produire des inventions, des innovations et ainsi, à promouvoir la croissance et le progrès au service des populations du monde. Pour une large part, cette efficacité découle de la capacité des chercheurs à croire ou à faire croire que seuls les faits scientifiquement établis sont au fondement de la connaissance. Par ailleurs, ils estiment posséder le monopole de l’observation et de l’explication de la réalité, voire de la totalité de la réalité. En monopolisant les voies d’accès à la vérité, ils se disent les seuls à être capable d’objectivité. Celle-ci résulte de la séparation ou de la distinction entre le sujet et l’objet, entre l’observateur et la réalité. Cette dernière ne peut être observée et analysée objectivement qu’à travers des méthodes empiriques, positives ; en recherchant les interactions et, par là, les causes des faits. Le matérialisme méthodologique affirme que tout effet à une cause qu’il s’agit de repérer. Les conséquents s’expliquent nécessairement par les antécédents… Sur base de ces convictions, Les scientifiques arrivent à mettre en question la validité de toute autre démarche d’appréhension du monde. Sur cette base, tout problème a sa solution… La science peut répondre à toutes les questions, d’où le progrès, le développement, la modernisation. A terme, la science montrera que toutes les affirmations qui ne s’appuient pas sur cette démarche scientifique sont illusoires. Même les sciences humaines vont toutes tenter d’appliquer cette méthode empirique d’ailleurs favorisée par le développement de l’informatique. L’informatique constitue un précieux outil au service de toutes les sciences, y compris la biologie et la biogénétique dont les progrès récents s’expliquent pour une part par les performances des applications informatiques dans des recherches, comme, par exemple, dans le décodage des gènes. Telle serait, selon Danièle Hervieu-Léger, l’explication de l’« exculturation » du christianisme ou de son « expropriation », selon Jürgen Habermas. Si l’on suit ce raisonnement, ces processus seraient une caractéristique des sociétés hautement scientifiques et techniques. L’origine s’en trouverait dans la confrontation majeure entre les vérités proclamées au nom de la religion et de la foi et, par ailleurs, les vérités découvertes par la rationalité et l’esprit scientifiques appliquant une méthode instrumentale et objective. D’où l’entrée dans l’ère appelée postchrétienne. Incontestablement, dans les sociétés avancées, le fossé se creuse entre la science, la raison et la foi ; entre les démarches et découvertes de la science et, par ailleurs, les croyances religieuses traditionnelles, voire les affirmations de la foi ou encore les perceptions et intuitions spirituelles. En progressant, la science remet en cause diverses assertions concernant la création, l’évolution du monde et de l’univers ; concernant le processus d’hominisation puis de cérébralisation ; concernant la nature de l’homme, la relation entre le corps, et l’esprit, voire la nature de la conscience et de l’âme. L’objectif de nombre de scientifiques est d’ailleurs de mettre au jour des vérités susceptibles de sortir l’homme de l’obscurantisme religieux…

2. Les conséquences du choix d’une vision et d’une méthode scientistes. Selon Danièle Hervieu-Léger, l’exculturation de la religion découle, à la fois, de la transformation que la science opère dans notre vision du monde, du cosmos et de leur évolution mais, en outre, elle s’explique par les conséquences des progrès des sciences et des techniques sur la vie des personnes et des peuples : lesquels sont mis en quête du bonheur et du bien vivre, à la recherche de la qualité de la vie en ce monde. Dans ses exposés, Danièle Hervieu-Léger ne semble guère se soucier du fait que l’« exculturation » du christianisme par les progrès des sciences et des techniques sont avant tout le résultat leur volonté de monopoliser l’accès à la réalité et à la vérité en partant d’une vision positiviste, causaliste, déterministe et matérialiste des sciences, ainsi que d’une méthode d’observation et d’expérimentation que l’on considère « de facto », comme objective et neutre : le matérialisme méthodologique. Elle ne se préoccupe pas du fait que cette démarche scientifique fondée sur le matérialisme méthodologique induit une vision réductrice de l’homme, du fonctionnement du cerveau, du développement de l’intelligence et de la conscience qui ne sont que des épiphénomènes des transformations bio, physico-chimiques. Pour nombre de scientifiques, les phénomènes mentaux et les états de conscience s’expliquent uniquement par de tels processus. C’est la matière qui commande à l’esprit. La pensée, comme la voix de la conscience, ne sont que des épiphénomènes surgissant de la physico-chimio- biologie de notre corps. Là se découvre le caractère réductionniste, la dimension idéologique d’une démarche scientifique qui se veut autonome mais qui met des œillères aux chercheurs, espérant ainsi échapper à toute discussion critique et éthique de ses projets et ses progrès, comme des conséquences pas toujours heureuses découlant des applications pratiques des découvertes. En outre, un certain nombre de chercheurs croient que les sciences et les techniques ont pour mission de lutter contre l’ignorance ou l’aveuglement des croyants, contre l’obscurantisme et le dogmatisme religieux. Ils n’ont pas toujours tort. Il n’est pas rare que des vérités scientifiques supplantent ou renversent des vérités et des affirmations religieuses. Dans ces cas, lorsque les découvertes scientifiques contredisent les croyances inspirées des Ecritures ou des affirmations dogmatiques, il est accepté que le discours des Eglises doit s’adapter. C’est une conclusion sage. Mais partant de cette conception de la science et de sa démarche, on ne voit pas comment éviter qu’un fossé se creuse entre science, raison et foi ? Comment, dans ces conditions, s’étonner du fait que les recherches poursuivies dans une optique matérialiste, réductionniste, voire antireligieuse, aient une incidence sur la sécularisation et la laïcisation des sociétés ? Comment dans une telle perspective, pourrait-on échapper à une crise du sens, une crise de la conception de l’être humain, de la vie en société et donc de l’humanisme ? Comment à partir de ce point d’entrée pourrait-on donner sens à la vie ? Comment en provoquant une crise anthropologique ne pas déboucher sur une crise religieuse ? Personne ne niera que la science et la technique sont sources de vérités et de richesses. Cela ne signifie pas que leurs démarches soient neutres et totalisantes ou nécessairement bienfaisantes parce que leurs applications ne peuvent éviter des effets collatéraux parfois pervers. De plus, même si elles sont sources de vérités, celles-ci n’ont pas nécessairement un caractère définitif. Enfin, comment imaginer et croire que la science et la technique ou encore la techno-science puissent et doivent se développer sans conscience, en dehors de toute préoccupation éthique, séparément de toute réflexion sur l’homme et son devenir, sur ses façons de vivre en société, sur l’environnement, sur le climat et leurs dégradations ?
En conclusion, ces grandes explications de la déchristianisation par la sécularisation des sociétés et par l’exculturation de la religion méritent des analyses fines et une réflexion approfondie sur leur réelle pertinence. Peut-on vraiment croire que la philosophie et la théologie n’ont plus à poser des questions sur la vie, les conditions de la vie et de la mort, sur la morale, la violence, la bonne gouvernance, le bien commun universel, le destin de l’humanité, l’évolution de la terre, de l’environnement ou encore du cosmos ? Peut-on croire que l’on est arrivé à la fin de l’histoire et de la sociologie des religions, de l’anthropologie et de la psychologie religieuses, de la philosophie de la religion et de la théologie ? Peut-on être sûr que toute interrogation religieuse et que toute quête spirituelle sont estompées dans un monde en pleine crise de croissance et de développement? Dans une société où les sciences commencent à reconnaître et à recenser tous les risques inhérents aux transformations du monde qu’elles engendrent. Au contraire, la religiosité et la spiritualité ne sont-elles pas en train de se transformer en réponse à une vision macrocosmique nouvelle, en raison de l’entrée de l’humanité dans une phase d’ interdépendance générale, dans une ère de confrontation entre tous les humains, dans une période où l’on prend conscience des défis et des risques environnementaux ; où l’on assiste à la progression de la violence ; où l’on enregistre les effets « boomerang » des déséquilibres sociaux et culturels creusés entre les pays et les peuples par les marchés économiques et financiers ; où les affrontements religieux se déclenchent souvent de manière irrationnelle? Sans que nous nous en rendions compte, ne sommes-nous pas entrés dans une ère nouvelle en quête de nouveaux prophètes : de personnes capables de réveiller la conscience en deçà et par delà la science ? Mais avant de tenter une réponse à cette question, un détour reste nécessaire. Nous sortons de la modernité et, selon certains analystes, nous sommes entré dans la postmodernité et, du même coup, dans l’ère postchrétienne. Ce sont des évolutions dont nous sommes loin d’avoir perçu la vraie nature et les conséquences possibles.

3. L’exculturation : une conséquence de la révolution postmoderne. Dans les sciences humaines et la critique des sciences exactes la modernité met en avant la raison. Elle croit en la possibilité d’une connaissance rationnelle et objective de la réalité. Le réalisme est à la base de la philosophie de la modernité. On est convaincu qu’il est possible d’analyser en toute objectivité les causalités. On pense pouvoir connaître le monde tel qu’il est. Grâce à l’intuition première, à l’observation et à l’expérimentation, les sciences couplées à diverses techniques, à des logiciels et programmes informatiques, sont capables d’appréhender la réalité physique de manière objective et d’expliquer de façon empirique le fonctionnement et l’évolution du monde. Les sciences cherchent ainsi à découvrir les lois naturelles et à en démontrer la pertinence dans leurs applications pratiques. L’essor des sciences et technologies a conduit à forger l’idéologie du progrès. La modernité distingue le sujet et l’objet. L’analyse des interactions entre l’observateur et l’entité observée : une personne ou un objet, n’est pas centrale. D’abord appliquées à la compréhension et à la transformation de la nature, les sciences dites positives se sont attelées à l étude de l’homme, de son évolution, de ses gènes dans le cadre de la biologie génétique et de la bioinformatique, de même qu’à l’analyse du fonctionnement du cerveau humain, à l’explication de ses états de conscience grâce aux neurosciences. Très rapidement, on a tenté d’étudier les sociétés humaines et les humains en suivant les schémas des sciences dites positives et exactes, même si les sciences humaines sont travaillées par d’autres modèles. L’objectif est de décrire et d’expliquer les relations et les interactions entre les personnes, comme entre les groupes ou encore analyser les opinions et convictions. Construites sur le modèle des sciences exactes, les sciences humaines cherchent à décrire les liens de causalité, les relations de cause à effet. Mais les sciences humaines disposent d’autres modèles d’analyse développés dans l’ère postmoderne. Par delà la modernité, la postmodernité s’interroge sur la possibilité et la valeur de la connaissance. Elle exclut l’hypothèse d’une connaissance objective de la réalité. Elle rejette la possibilité de la séparation entre le sujet et l’objet, la distinction entre subjectivité et objectivité. L’observateur et l’observé sont inévitablement en interaction. L’observation en pénétrant le champ d’observation, l’altère de l’une ou l’autre manière. Ce modèle veut démontrer l’incapacité à saisir la réalité à travers le langage, la parole ou l’écrit, parce que tout discours scientifique ou non utilise un langage acquis et préconstruit qui, de l’une ou l’autre manière, produit l’encerclement de la pensée et délimite notre champ de perception et de réflexion. Tout énoncé scientifique, toute théorie ne sont jamais qu’un discours sur une réalité que nous ne pouvons saisir dans sa totalité. C’est à tort que les sciences humaines cherchent à se construire principalement sur le modèle des sciences exactes en s’attelant à la recherche sur les interactions, leurs causes et leurs effets. L’explication n’est pas le seul objectif des sciences humaines. Leur premier objectif est l’étude de l’intentionnalité, de la conscience de l’appartenance au mode, de la compréhension des actes, des symboles, des traditions, des idées, des états d’âmes, de la créativité, de la violence et de la volonté de puissance. Droits et devoirs sont passés au crible, comme les valeurs et les normes. L’analyse du langage concerne tant les concepts concrets que les abstraits. On questionne l’humain, comme l’humanité. On analyse les affinités entre divers concepts, telles la démocratie, la notion d’équilibre entre les pouvoirs ou encore la participation. Les croyances et les religions avec leurs rites, leurs symboles, leurs sacrements et leurs sacralisations sont aussi l’objet de recherches. Par delà l’analyse des concepts concrets et abstraits, l’objectif est aussi d’analyser les discours scientifiques, notamment ceux produits par les sciences exactes. Les méthodes de la connaissance postmoderne sont multiples, par delà l’analyse du langage, il ya les démarches de la phénoménologie et de l’herméneutique. La « déconstruction » est l’objectif de la connaissance postmoderne. Elle s’opère sur base du constructivisme ou du constructionnisme. Ces analyses conduisent à questionner la raison, la causalité, l’objectivité, la capacité de connaissance du réel, l’aptitude du langage à fournir autre chose qu’un discours sur la réalité. C’est cet ensemble de questions posées par le passage vers une réflexion postmoderne qui conduit certains à croire là se trouve la véritable source du relativisme ambiant : celui qui nous fait entrer dans l’ère postchrétienne. Dans cette ère, l’ancrage des visions du cosmos et du monde, de l’évolution, comme des idéologies, de même que des mouvements religieux et des communautés spirituelles, ne se trouve plus dans la chrétienté. Les sociétés, notamment européennes, ont perdu le sens du sacré, ne voient plus la signification des sacrements, des rites et, dans le même temps, s’éloignent de tout ce qui s’affirme de manière dogmatique, de la croyance en une transcendance, de la foi en un Dieu, voire en un Dieu sauveur qui, un jour, s’est fait homme. Le post-christianisme soumet à la critique les textes tant bibliques qu’évangéliques.

4. Quelle place ouvrir à ces questions et diagnostics dans l’université ? Au cœur des sociétés sécularisées, la diffusion et la pertinence du message chrétien sont directement affectées par les mutations en cours. La preuve s’en trouve dans la crise du christianisme européen ; dans sa lente « exculturation » tant par les sciences dures que par les sciences humaines. Partant de ces évolutions, certains pensent que toute réflexion sur la signification et les implications du ‘C’ de l’UCL est superflue, voire contre-productive. Il semble que dans ce monde en voie de sécularisation, caractérisé par la pluralisation et la personnalisation des formes de croire, on ne peut respecter la liberté religieuse de chacun qu’en n’affichant pas son appartenance. Dans ces conditions, les signes ostentatoires se référant à une appartenance ou à une référence religieuse, telle la croix, la kippa ou le voile,… sont à bannir. C’est ainsi que l’on assurera au mieux la liberté de chacun et que l’on évitera les confrontations et conflits religieux. L’évolution va donc dans le sens de la « déconfessionnalistion ». Dans les sociétés pluralistes et libertaires, les institutions doivent être ouvertes à tous. Il en est de même pour les universités. D’autant mieux que, dans ce monde sécularisé, la pluralisation des conceptions du religieux s’accompagne d’une différenciation des conceptions de la personne humaine, définie tantôt comme proche, tantôt séparée de l’animalité ; d’une diversification des formes et des modèles de société (même si à l’instar de Francis Fukuyama, certains imaginent que l’évolution nous conduira inexorablement à la démocratisation et à la libéralisation des sociétés) ; de même que d’une variété de récits de la création du monde et de l’expansion de l’univers. Pour ceux qui analysent l’évolution en termes de sécularisation et de pluralisation religieuses des sociétés où encore d’exculturation du christianisme, les universités qui s’affichent catholiques sont plongées inévitablement dans l’ambiguïté et la perplexité.

5. Tentative d’appréciation de la pertinence des diagnostics. Avant de discuter de ces positions et propositions relatives aux implications d’une appartenance ou d’une référence religieuse et morale, ou encore avant de discourir sur l’opportunité ou l’inopportunité du ‘C’ dans l’appellation de l’UCL., il est sans doute utile d’analyser d’un peu plus près les divers processus en jeu et de se demander si tous jouent de manière convergente dans une même direction… Sans douter de l’objectivité de la thèse et des tendances d’évolution que l’on projette à travers les indices de la sécularisation des sociétés européennes les plus avancées, est-il certain que l’on assiste à recul définitif de la dimension religieuse et de la quête spirituelle dans la vie de l’homme, aujourd’hui ou demain ? Est-il certain que les sciences puissent parvenir à une explication exhaustive de la vie des êtres, comme des sociétés ? Est-ce bien la seule lecture possible de l’évolution ? Faudra-t-il, sur cette base, renoncer un jour à toute référence chrétienne? Sur la question, deux camps s’opposent : - les uns croient à un processus continu de sécularisation et à une lente désagrégation des croyances et des pratiques d’inspiration religieuse; - d’autres pensent que l’homme se caractérise par une dignité intangible et par sa nature profondément religieuse, et qu’en conséquence, il y aura, à terme, une résurgence d’une pensée religieuse, d’une spiritualité moins contrainte et plus intérieure. Pour ce second courant, le religieux ne périt pas mais se transforme et se diversifie en permanence. De fait, pourquoi les mutations en cours ne conduiraient-elles pas à une nouvelle conception, voire à un affinement et à un apurement du religieux et du message religieux ? Pourquoi les mutations dans le contexte socio-religieux ne pourraient-elles pas être source de purification, d’élucidation et de « désenveloppement » du message chrétien ? Pourquoi l’évolution fermerait-elle les chemins à une nouvelle quête de sens ? Vers des formes nouvelles de responsabilité à la fois individuelles et collectives?

TROISIEME PARTIE

Une autre lecture de l’évolution est-elle possible ?

1. L’inéluctable question du sens de la vie et de l’existence
. Dans un monde fondamentalement voué au développement de la science et de la technique et, dans le même temps, soumis aux forces du marché en mondialisation, la religion et la croyance en Dieu sont souvent considérées comme des survivances ou des épiphénomènes de l’ignorance. Mais n’y aurait-il pas d’autres lectures possibles de l’évolution culturelle et de l’impact des sciences, des techniques et des marchés sur les questions religieuses et éthiques ? Tous les analystes ne se rallient pas à la thèse de la sécularisation et de la laïcisation des sociétés, même si les indices de la pluralisation et de l’individualisation des croyances sont multiples. Pourquoi les avancées des sciences exactes et humaines conduiraient-elles inéluctablement à l’involution de la foi, de la religion et de la croyance en une fin ultime? Pourquoi les avancées des sciences réduiraient-elles inéluctablement le champ de pertinence de la religion dans la vie de l’homme et des peuples? Pourquoi les découvertes scientifiques aboutiraient-elles à nier la transcendance, à refuser de donner sens à la vie et à à contester la dignité absolue de l’homme? Comment tout cela évincerait-il Dieu du cœur de l’homme? La croyance religieuse n’est pas fatalement, comme certains l’affirment, l’indice d’un coefficient d’ignorance que la science doit réduire. En fait, les acquis des sciences liés aux performances de la technique ne suscitent pas d’office l’incroyance. Ils et elles peuvent, au contraire, susciter l’émerveillement face à la richesse et à l’immense beauté de la nature et de l’univers galactique ou encore face aux processus qui produisent la transformation de notre planète, qui changent son habitabilité, qui transforment les conditions d’apparition de la vie, qui provoquent la diversification et l’évolution des espèces, qui démontrent les performances et prouesses de l’intelligence humaine, qui engendrent d’extraordinaires élans de la conscience. En d’autres termes, la réduction de notre coefficient d’ignorance ne débouche pas nécessairement sur la négation et la destruction des convictions ou vérités religieuses. Dans certains cas, le développement de la science va contribuer à les apurer et à les affiner. De nos jours, on assiste à une profonde transformation non seulement de la vie et de la conscience spirituelles des personnes mais également des religions et des institutions qu’elles engendrent. Science et technique n’annihilent pas la quête de sens inscrite au cœur de l’homme et de la vie, parce qu’elles ne peuvent tout expliquer, comme le mal, la souffrance, le malheur, la violence. Elles ne peuvent éliminer la peur de l’accident ou de la mort. Même si, au départ, nombre d’experts et de savants pensaient que les sciences et les techniques pouvaient tout expliquer et résoudre. On en est loin. Les sciences répondent à un nombre croissant de questions, mais débouchent souvent sur nombre de nouvelles questions. A l’opposé et au contraire, certains croient en une résurgence spirituelle et religieuse et pensent que le message chrétien et le projet évangélique basés sur la loi d’amour restent d’actualité, même s’il faut de manière continue les reformuler et les retraduire en réponse aux évolutions des sociétés, aux transformations de l’Europe et du monde. Certains continuent à croire que ce message et ce projet ont valeur universelle, qu’ils contribuent au meilleur développement de la personne et qu’ils sont porteurs de paix et de justice dans le monde. Dans leur sillage, de nombreux chrétiens prospectent de nouveaux chemins, expérimentent de nouvelles formes d’engagement et d’expression de leur foi et de leur amour. Nombre d’entre eux sont à l’affût des nouveaux signes des temps et se tiennent à distance par rapport aux lectures de l’évolution en termes johanniques, apocalyptiques ou millénaristes de certains dignitaires des églises chrétiennes. Ils ne croient pas à l’avènement de l’antéchrist ou à la fin prochaine du monde, même si le mal, les formes de violence, les guerres et les conflits se répandent, comme l’injustice et la pauvreté. Pour eux, le message et le témoignage chrétiens sont source d’espérance. Ils contribuent à la recherche d’un meilleur développement du monde et de l’humanité. Pour ceux-là, le christianisme n’a pas épuisé ses ressources. De nouvelles attentes apparaissent continument au cœur des sociétés : il faut vouloir y répondre. De nos jours, les visages de proue de l’amour fidèle des plus pauvres sont ceux de l’Abbé Pierre ou de Mère Teresa mais on peut en découvrir bien d’autres en bien d’autres domaines. Durant un temps, on a pu croire que le mixage et la pluralisation des populations au cœur des pays les plus avancés, renforcerait la tendance à la privatisation complète de la religion. C’est l’inverse qui se produit. Récemment, des d’événements sont survenus à travers lesquels le religieux a refait irruption dans la société. On croyait les sociétés en voie de sécularisation et de laïcisation mais les débats s’enveniment que ce soit autour du port du voile perçu comme signe de l’appartenance à l’Islam. On se bat sur l’opportunité de la publication des caricatures de Mahomet, sur la condamnation et par ailleurs l’anoblissement de Salman Rushdie, sur l’opportunité et les modes de financement
des diverses confessions religieuses, sur la définition des sectes, sur l’enseignement de la religion, sur ce qu’implique la laïcité. Ces problèmes concrets montrent la difficulté à trouver un équilibre entre le respect de la liberté d’expression et celui de la liberté de conscience ou de religion. Si l’indifférence et l’incroyance religieuses sont réelles, on ne peut, dans le même temps, nier un retour du religieux et du spirituel, parfois sous forme de fondamentalisme et d’intégrisme pouvant conduire à des violences extrêmes. Même si Dieu est exclu de la vie publique, comme d’une grande partie de la culture et des médias et même si l’agnosticisme et l’athéisme se développent, la croyance en Dieu n’est pas bannie. Dieu n’est pas mort, comme l’affirment certains courants de pensée. De nouvelles communautés fleurissent, de nouveaux mouvements religieux se développent et répondent à de nouvelles questions. Des ONG, nationales et internationales, s’organisent en partant de la société civile pour répondre à de multiples besoins. Qu’elles soient ou non chrétiennes, de nombreuses personnes s’y activent au service des autres. Enfin, pourquoi exclure qu’à terme, on redécouvre l’importance de la dimension spirituelle et de l’interprétation religieuse de la vie ? Pourquoi une autre forme de crédibilité du christianisme serait-elle être exclue ou devrait-elle être bannie ?

2.Les dissonances entre raison, science et foi sont-elles définitives ?
Selon Danièle Hervieu-Léger, la « détraditionalisation » et la « déchristianisation » ou encore l’ « exculturation » du christianisme sont inéluctables dans le sillage des progrès des sciences et des techniques, ainsi que de l’hédonisme consumériste. La thèse de l’Eglise sur l’inculturation du christianisme dans les diverses civilisations, ne serait donc qu’un leurre. Les sciences ont incontestablement transformé notre vision de l’univers, de la création et de l’évolution, de même que notre rapport à l’environnement. Elles ont bouleversé notre conception de l’homme suite au décryptage du génome humain et à sa mise en parallèle avec celui des autres vivants. Quant aux neurosciences, elles sont en train de changer notre compréhension de l’intelligence, de l’esprit et de la conscience grâce notamment à l’observation et à l’imagerie complètes du cerveau. En tous ces domaines, les résultats de l’observation scientifique bouleversent diverses croyances et explications religieuses relatives à la création et à l’origine du monde, à l’évolution et à la place de l’homme dans l’univers, à la dignité de la personne humaine. Incontestablement, le développement de la science ébranle un certain nombre de vérités religieuses traditionnelles. On peut évaluer l’importance de ce bouleversement sur base de quelques exemples. Comment croire en un Dieu créateur du ciel et de la terre dans univers que l’on dit en expansion à partir du « Big bang » : le commencement, pour les uns ; la création, pour les autres ? Dans un univers qui se dilate, dont le rythme d’expansion saccélère, même si certains croient qu’un jour viendra où l’expansion se ralentira et engendrera une implosion : le « Big crunch » Toutefois, cette possibilité paraît aujourd’hui contredite par de récentes observations. Comment croire dans un monde où la terre et le soleil ont cessé d’être le centre de l’univers ? Où la terre n’est qu’une planète dans une galaxie, elle-même entourée d’une infinité d’autres? Comment croire en la création de l’homme dans un monde où le vie apparaît, évolue et se développe comme au hasard, par le jeu de multiples processus de sélection, en fonction de diverses épidémies et pandémies, sur base de brusques transformations climatiques, ou encore sur base de catastrophes naturelles, de phénomènes volcaniques ou suite à la chute d’astéroïdes conduisant à l’extinction de diverses espèces vivantes, puis à la résurgences d’autres ? Comment croire en un Dieu créateur de l’univers visible et invisible, dans un Dieu infiniment bon, au cœur d’un monde menacé par des cataclysmes, des tremblements de terre, des tsunamis ; mis en danger par les détériorations et les destructions de l’environnement résultant des activités humaines, par l’exploitation massives de ressources non-renouvelables et par des guerres menées avec des armes, des moyens de surveillance et d’encerclement de plus en plus sophistiqués? L’action de l‘homme s’inscrit de fait dans un équilibre précaire : ce qui l’expose à une multiplicité de maux et d’accidents résultant de l’augmentation de la température, de la réduction de la couche d’ozone, de la fonte des glaces, de la désertification naturelle ou induite par l’homme, …Ce sont là des conséquences moins heureuses, voire perverses résultant de l’applications des résultats des recherches scientifiques et techniques et de ce que l’on croyait être le progrès. Comment, par ailleurs, voir en l’homme, une créature à l’image de Dieu, alors que cet homme est capable de se lancer dans des opérations génocidaires, dans l’organisation de l’extermination des juifs, dans l’invention et l’utilisation d’armes de destruction massive, dans la conception et la production de bombes nucléaires, comme celles lancées sur Hiroshima et Nagasaki? Comment concevoir qu’un Dieu tout-puissant ne puisse empêcher l’holocauste des juifs? Ne pas foudroyer les génocidaires? Ne pas arrêter les guerres civiles éclatant partout dans le monde? Comment croire en un Dieu miséricordieux qui durant ce 20^ème siècle a laissé persécuter massivement les chrétiens, comme l’a montré Andréa Riccardi ? Comment croire en un Dieu dans une civilisation qui, comme l’exprime Jacques Ellul, apparaît comme « la subversion du christianisme »? Où la violence envers l’autre l’emporte sur la loi d’amour ? Apparemment, le Dieu de l’Evangile ne se lance plus à la poursuite de ses ennemis, n’accable plus ceux qui le rejettent ou qui transgressent ses commandements, comme au temps de l’Ancien testament. Mais pour autant, est-il sûr que le développement des sciences fragilise la foi ? Certains n’hésitent pas à exprimer leur émerveillement face aux découvertes parce que derrière celles-ci ils discernent un « principe anthropique », voire, à l’instar du Cardinal Schönborn de Vienne, un « dessein intelligent », même si d’autres trouvent ces idées stupides et qualifient « silly » ce dessein prétendu intelligent. Dans la réalité, diverses lectures sont possibles. Croyants et incroyants sont susceptibles de donner des significations différentes à des mêmes faits ou processus allant du simple au complexe. Mais tout cela condamne-t-il la religion ? Cela évacue-t-il la question de la transcendance ? Quelques illustrations sont indispensables au réexamen de la question.

3. L’apport de la biologie évolutionnaire et développementale. Les avancées présentes de la science et de la technique ont ouvert la voie à l’explication de l’évolution passée de la vie et de l’homme, comme d’ailleurs des diverses espèces apparues sur notre planète, mais aussi de l’univers. Ces avancées résultent des recherches en biologie évolutionnaire et développementale. Elle allie les sciences de l’évolution et de la biologie du développement dans un courant « EVO-DEVO ». Les explications de l’évolution sont multiples. Outre la théorie de Charles Darwin sur l’arborescence des espèces par le jeu des mécanismes de sélection des plus aptes et de l’hérédité, bien d’autres explications sont avancées, comme la résistance différentielle des organismes aux attaques microbiennes, bactériennes, virales ou des parasites ; ou encore la succession des cataclysmes, comme celui qui a conduit à la disparition des dinosaures, ou celles basées sur les brusques transformations des climats. Ces multiples explicationsde l’évolution balaient la thèse des créationnistes basée sur le récit biblique. Les nouvelles théories de l’évolution sèment aussi le doute sur la thèse du « dessein intelligent » (récemment défendue par le Card. Christoph Schönborn) ou sur le « principe anthropique » qui tente de montrer comment, dans l’évolution et dans l’univers, tout apparaît réglé en vue de l’apparition de l’homme. Ce sont là des explications transformistes et finalistes caractéristiques de Jean Baptiste Lamarck ou de Pierre Teilhard de Chardin. De nos jours, le déploiement des recherches sur les gènes, les génomes, les embryons, les organismes et les espèces montrent par quels mécanismes biologiques les vivants se construisent, se transforment ou involuent. Dans ces approches scientifiques intégrées, on ne considère plus les espèces comme séparées les unes des autres. Peu à peu, on s’écarte de l’étude des embranchements et des arborescences suivant les idées de Darwin. L’EVO-DEVO constitue une explication alternative tendant à démontrer la transversalité et la plasticité des éléments constituants les diverses espèces vivantes. Les experts qui analysent plantes et animaux et qui étudient leurs processus de développement, constatent qu’elles ou qu’ils peuvent être composés de mêmes ensembles complexes de gènes, même s’il s’agit de groupes de vivants distants les uns des autres. A la limite, cette découverte permet de transférer et de substituer un complexe de gènes prélevé sur un type de vivants vers d’autres types. Les gènes apparaissent alors comme des plans de construction qui commandent les transformations à l’endroit où on les place. S’il est possible d’ajouter des pattes aux serpents, il est tout aussi facile de réussir à faire disparaître certains membres du vivant, voire d’opérer des mutations des gènes-maîtres. Mais la transversalité et la plasticité des constituants du vivant sont-elles un argument suffisant permettant de se lancer sans danger dans la transformation de la nature humaine? En ces domaines, les principes de prudence et de précaution doivent être pris en considération. Ce qui n’est pas toujours le cas. Nombre d’avancées scientifiques et techniques sont produites sans considérations éthiques, ni préalables à la recherche, sans souci des problèmes qu’engendrent leur poursuite, ou des utilisations et applications qui en seront faites. Certains scientifiques se sentent d’autant moins soucieux de ces préalables et des problèmes découlant de l’application des découvertes que, dans leur démarche, ils souscrivent au matérialisme méthodologique. Ce qui les conduit à ne pas se préoccuper de ce qui donne sens à la vie, à l’existence, au développement de l’homme, des sociétés et de l’humanité ou encore aux impératif touchant à la conservation de l’environnement. Du point de vue de ces chercheurs, les discours philosophiques et théologiques sur la création, sur l’homme, son origine ou sa destinée, sur son humanisation à un moment donné de l’hominisation ou encore sur l’intangibilité de la nature ou de la dignité de l’homme, ne sont que la traduction de formes et de sources d’obscurantisme cultivées par toutes les religions. Dans cette perspective, le dialogue entre science, raison et foi, n’a pas de consistance. Seules comptent les vérités scientifiques. Toute forme de religion ou de spiritualité n’est qu’un épiphénomène surgissant d’une matérialité et d’une animalité : ce que l’homme religieux récuse. Pour lui, l’évolution à un sens ultime.

4. La biologie génétique à la recherche de la qualité de la vie et de la perfectibilité de l’homme
. Nous sommes entrés dans l’ère du développement des sciences de la vie, des neuro-sciences et sciences du cerveau. De nos jours, nous sommes en capacité de contrôler une grande part de la souffrance de l’homme, de séparer la sexualité de la reproduction, de contourner l’infertilité, voire le handicap, de contrôler les épidémies, mais aussi de discipliner les émotions de l’homme, de maintenir son équilibre mental, de lui fournir une sensation de confort et de bien-être. Un pas plus loin, nous serons bientôt en capacité de transformer l’homme, d’agir sur ses états de conscience, d’accroître et d’élargir ses capacités physiques et mentales, d’aiguiser ses perceptions, d’accroître son intelligence et de contrôler ses émotions. Ces sciences de la vie changent donc tout à la fois la conception de l’homme, de sa sexualité, de sa reproduction, du rapport de l’homme à son corps ; la conception de ce qui fait son confort et son bien-être ; l’idée qu’il tient de son autonomie. L’explosion des sciences de l’animé, de la vie et de l’esprit change la perception de l’intelligence et de la conscience de l’homme, des possibilités de leur développement. Toutes ces sciences, au départ centrées sur le soulagement de la souffrance et du mal-être, ont conduit à la médicalisation de nombreux problèmes de vie et, aujourd’hui, sont attelées à la recherche du bonheur de l’homme et de son perfectionnement, indépendamment de toute question religieuse. Dans les sociétés les plus avancées, la médecine appuyée par les sciences et les techniques, ne réduit pas seulement la souffrance; elle ne guérit pas seulement les maladies ; elle répare les séquelles des accidents ; elle surmonte les handicaps. Dans ces sociétés, on assiste à une médicalisation, à une psychiatrisation et à un accompagnement psychologique des diverses étapes du cycle de vie. De la naissance à la mort, on n’échappe pas à la « pathologisation » et à la médicalisation de nombreux problèmes, tant individuels que collectifs. En amont du cycle, on constate la médicalisation de la sexualité et de la reproduction. Mais l’évolution ne s’arrête pas là. Par delà les problèmes de santé et de d’équilibre psychologique et mental, le développement des sciences et des techniques vise aujourd’hui à l’amélioration des performances humaines durant la totalité du parcours vital. Sciences et techniques médicales, paramédicales, biologiques et chimiques mais aussi les sciences mécaniques et informatiques. En se combinant, elles ne visent plus seulement à corriger les faiblesses et malaises humains, elles rêvent, en outre, à l’amélioration des capacités et finalement à la transformation du corps, à la manipulation de la psychologie et de l’esprit, voire à la mutation des gènes de l’homme. Le profil d’un surhomme ou d’un transhumain apparaît à l’horizon dans un monde qui s’est mis à croire en l’omnipotence des sciences et des techniques, en leur possibilité de répondre aux problèmes vitaux de l’homme. Cette confiance grandit chaque jour même si les effets pervers, prévisibles ou non prévus, se multiplient, telles les assuétudes, p.ex. Dans l’avenir, ces objectifs seront poursuivis à travers le développement accéléré des nanosciences et des nanotechnologies qui permettent de prospecter, de transmettre et d’intervenir à très petite échelle (N) ; des sciences et techniques biologiques, telles la biogénétique et les biotechnologies, mais aussi de la bionique qui développe la symbiose entre l’homme et la machine (B) ; des sciences et des techniques de l’information, de l’imagerie médicale et de la computation (I), de même que des neurosciences, des neurotechnologies et des sciences cognitives (C). Un ensemble de développements que les experts traduisent par un acronyme fétiche : NBIC, construit à l’instar des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) et interconnectant les Nano-, Bio-, Info- sciences et technologies, de même que les sciences cognitives et neuro-cognitives. Cet ensemble de sciences et de techniques tentent aujourd’hui de travailler en synergie, d’organiser la coordination et la convergence des recherches et des interventions dans ces différents domaines scientifiques et techniques en vue d’améliorer la vie de l’homme et son équilibre vital. Cette confluence des efforts ne devrait pas seulement permettre de lutter contre l’anxiété et le stress mais viser à l’amélioration des fonctions et des performances des humains. C’est évidemment autour de ce problème du perfectionnement de l’être humain que se développe la discussion éthique. D’autant plus âpre que l’on progresse dans les neurosciences, les neuro-technologies et les sciences cognitives : celles du cerveau, du mental et de l’esprit. D’une part, parce qu’elles posent de graves problèmes d’expérimentation, inéluctablement, sur le cerveau d’un humain. D’autre part, parce qu’elles permettent la manipulation et la transformation des états de consciences. Ces développements étaient prévisibles, comme leur utilisation dans la reproduction et le perfectionnement de l’homme. Pierre Teilhard de Chardin en était convaincu. Selon lui, « sous la pression des faits », on finirait par reconnaître que « l’homme n’est pas encore achevé dans la nature, pas encore complètement créé » et « qu’en nous et autour de nous, il se trouve encore en pleine évolution ». Teilhard pensait que « l’esprit humain se révèle capable »… « de découvrir et de manier les ressorts matériels qui lui permettront vraisemblablement par action directe sur les lois de la reproduction, de l’hérédité et de la morphogenèse de provoquer et d’influencer à volonté - dans certaines limites encore imprévisibles - la transformation de son propre organisme (cerveau compris…) » (Science et Christ, Ed. du Seuil, 1965, p.250).

5. Le matérialisme méthodologique confronté aux problèmes des causalités diffuses, de la quête de sens et d’éthique. Si une crise religieuse se manifeste principalement en Europe, comme d’ailleurs dans les régions les plus développées du monde, la cause première ne s’en trouverait pas d’abord dans les processus de sécularisation et de laïcisation. La véritable source de la crise serait à découvrir dans la tension croissante entre science et foi ; dans l’hégémonie absolue donnée à des formes de sciences comme voie d’accès au savoir et à la vérité; ainsi que dans la proclamation et la croyance en la totale neutralité de la démarche scientifique. Il n’empêche que du point de vue chrétien, science et technique ne peuvent se développer sans conscience, en dehors de tout principe de prudence ou de précaution ; sans poser de questions sur le sens de la vie ; sans tenir compte de la finalité : le service de l’homme, de l’humanité ou de la société; sans souci de l’environnement ou encore du caractère équitable et durable du développement, comme cela arrive souvent dans les recherches militaires sur l’armement, le renseignement, l’endurance ou la performance humaine. Mais ceci n’empêche pas nombre de chercheurs d’adopter un point de vue positiviste et scientiste et d’opter en faveur d’une vision réductionniste et matérialiste du monde et de la science. Ils en font un droit. N’est-il pas normal de chercher des explications naturelles aux phénomènes naturels. Logiquement dans l’esprit du « matérialisme méthodologique », il ne peut y avoir d’effet que s’il y a une cause repérable. Les démarches scientifiques et techniques sont considérées comme objectives lorsqu’elles découvrent les causes ou les actions déterminant un ou des effets. Cette recherche de l’objectivité implique d’organiser de manière permanente un aller et un retour entre le modèle, la thèse ou la théorie et, par ailleurs, la pratique, l’observation ou l’expérimentation. Dans cette démarche, science, raison et foi doivent être dissociées. D’accord, mais de là à penser que, dans le développement d’une recherche, l’incroyance est un atout et la foi, un obstacle, il y a une marge. Nombre de découvertes scientifiques ont été et sont encore le fait de croyants, chrétiens ou catholiques. Que pourrait-on objecter au choix de cette méthode résolument matérialiste? En fait, l’erreur du matérialisme méthodologique est d’affirmer que partout et toujours, il n’y a d’explications que naturelles (physiques, chimiques ou biologiques) et de prétendre qu’il s’ agit là de la seule voie d’accès à la vérité. Sur cette base, nombre de scientifiques pensent échapper à tout préjugé, à tout présupposé philosophique, métaphysique ou éthique, à toute croyance religieuse ou affirmation de foi. Ils refusent donc de reconnaître que leurs choix partent d’hypothèses directrices dont la valeur absolue n’est pas démontrable. De même, on sait que la pénétration de l’observateur ou de l’instrument d’observation dans le champ d’expérimentation, peut changer la nature de l’observation, altérer la réalité et donc influencer les résultats. C’est souvent le cas dans les sciences humaines mais pas uniquement. Par ailleurs, nombre de vérités scientifiques n’ont pas un caractère absolu. Elles ne sont nécessairement définitives, dans le cadres sciences et les théories de l’évolution, par exemple. De plus, les sciences n’expliquent pas tout. Par exemple, si la physique, y compris quantique et la chimie ont décrypté la machinerie de la matière, elles ne saisissent pas vraiment ce qu’est la matière. De même, la biologie moléculaire présente la mécanique de la vie mais n’exprime pas ce qu’est la vie. Les neurosciences comprennent le fonctionnement du cerveau en réaction à un ou des stimuli mais n’éclairent pas le fond du désir, de l’émotion, de la pensée, de la croyance, de la conscience… En économie, le marché peut expliquer le comportement de l’homme mais elle est désarçonnée par ses réactions dans les situations d’incertitude ou d’information incomplète. En outre, comme l’exprime René Thom, la science se sent faible face aux cas de causalité diffuse et, notamment, lorsqu’une succession déraisonnable de causes efficientes secondes entrent en jeu. Dans les opérations de démêlage d’interactions multiples, il faut faire appel aux théories de la complexité et éviter une vision déterministe simpliste. Enfin, lorsqu’on passe des sciences de la nature aux sciences de la culture, lorsqu’on se lance dans la recherche en sciences du langage et de la cognition, ou encore de la communication et de la culture, il est très difficile de forcer la raison à rester dans le carcan du matérialisme méthodologique. On peut accepter que des éléments physiques et chimiques ou encore biologiques déterminent le mental et donc, qu’une excitation des neurones et des synapses du cerveau puissent provoquer une pensée, et considérer celle-ci comme une epigenèse. Mais n’est-ce pas fausser la compréhension dans la mesure où le cerveau n’est qu’une partie de la personne totale et qu’il n’est donc pas stimulé séparément de la totalité de la personne, ni séparément du contexte et des relations nouées avec les autres à travers le temps. Ainsi donc, si l’on affirme qu’aucune autre voie que le matérialisme méthodologique ne permet d’atteindre la vérité, on finit par croire que les vérités métaphysiques sont nécessairement plurielles, relatives et donc inconséquentes. Le matérialisme méthodologique se mue alors en un matérialisme ontologique. On nie « l’émergentisme » à la base des sciences cognitives et du développement de l’intelligence artificielle. In fine, toute démarche scientifique s’insère dans un contexte à la fois social, éthique et culturel. Dans les faits, des forces sociales, des forces économiques (les coûts) et une réflexion éthique entrent en jeu dans le choix des recherches scientifiques à développer, de même que dans les jugements sur les effets résultant des applications des sciences. Dans ces conditions, pourquoi les réflexions métaphysiques, philosophiques, théologiques, spirituelles ou religieuses ne pourraient-elles douter du fait que le matérialisme méthodologique soit la voie unique d’accès à la vérité ? Evidemment, pour nombre de savants, le « religieux » forme un champ de pouvoir qui est utilisé comme un étouffoir des forces libératrices et émancipatrices de la science et de la raison. D’où l’idée que dans une université catholique la pensée serait nécessairement encerclée et cadenassée par les dogmes et les impératifs moraux. Mais est-ce bien ce qui se vit dans l’université ? N’y aurait-il chez les autres, d’autres cadenas empêchant l’exercice de la « libre pensée » ? Incontestablement, la science basée sur le matérialisme méthodologique conduit à une forme d’agnosticisme. Balayant du même coup toutes les interrogations sur le sens de la vie, niant que l’esprit puisse commander la matière, rejetant toute référence à une transcendance possible de l’humain par le divin. En dehors du champ de la science, tout n’est pas relatif, sauf à opposer foi, raison et science. Ne peut-on avec Jean-Paul II croire que la vérité scientifique n’est pas tout ? Dans son encyclique « La foi et la raison », il commence par une phrase qui mérite réflexion : « La foi et le raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s ‘élever vers la contemplation de la vérité. C’est Dieu qui a mis au cœur de l’homme le désir de connaître la vérité… ». Il ne suffirait pas d’être un scientifique pour atteindre et contempler la vérité : il faudrait, en outre, croire en Dieu…Il y a définitivement deux chemins d’accès à la vérité, comme l’exprimait Georges Lemaître.

6. Comment imaginer une science sans conscience ? La religion n’est pas qu’un message ou une foi. Elle ne se résume pas à quelques pratiques. Inspiratrice de l’homme, la foi en Dieu interpelle la conscience de l’homme et se traduit en des postures morales et des actes éthiques. Pourquoi une vision pessimiste sur l’évolution de la morale et de la religion s’imposerait-elle ? En tant qu’activités humaines, la science et la technique ne sont pas exonérées d’une réflexion morale ou éthique, d’une référence à un système moral et éthique. La recherche de la vérité scientifique doit correspondre à des impératifs véhiculaires dans la société même si ils ne sont pas définis catholiques ou chrétiens. C’est d’autant plus nécessaire que, dans des sociétés basées sur la science et la connaissance, sur la recherche et l’innovation, on découvre peu à peu les effets négatifs et pervers du progrès : des effets qui se manifestent à court ou à long terme à la suite des applications scientifiques et techniques. Ce qui pousse nombre de personnes à s’interroger sur les implications éthiques, voire sur l’ « éthicité » de certaines recherches qui portent atteinte à l’intégrité de la nature humaine et à la vie humaine. Mais les questionnement ne se situe pas seulement en aval. Par ailleurs, en choisissant de se mettre dans une perspective matérialiste et relativiste, les sciences et les techniques n’ont pas à se poser de problèmes concernant la manipulation des gènes, le choix du sexe, les expérimentations sur l’homme, l’altération des états de consciences et les interventions sur le cerveau possibles suite à l’explosion des neuro-sciences. Même si l’on reconnaît l’importance du développement des sciences et des techniques, et même si l’on a confiance en leur valeur et en leur efficacité, elles ne sont pas à elles seules capables de résoudre le problème des finalités de l’homme, de la vie de l’homme, de ses relations aux autres ou encore de son rapport à la nature. Cette absence de considérations éthiques est sans doute l’objection la plus fondamentale au matérialisme méthodologique. Cette limitation est une des explications à la base du diagnostic de la crise anthropologique que nous traversons. Celle-ci se manifeste dans le relativisme absolu affiché sur le plan de l’éthique et de la morale comme sur le plan de la religion. Cette crise se traduit notamment dans la montée de la violence à travers le monde et dans les violations innombrables des droits de l’homme. Ainsi donc, même si divers indices traduisent une tendance séculaire à la baisse des formes institutionnalisées de la religion et même si de nombreuses personnes pensent que la foi dépend par dessus tout de leur libre choix et qu’il leur est donc loisible de croire ce qu’ils veulent, sans se référer ou appartenir (believing without belonging), le monde présent n’échappe pas aux multiples interpellations philosophiques, théologiques, morales et religieuses qui resurgissent partout au sein des sociétés les plus avancées. Même si, à certains, les concepts de bien et de mal apparaissent relativisés, le développement des sciences s’accompagne d’un retour en force et d’un renouvellement des questions à la fois religieuses et éthiques. Ainsi, par exemple, on n’a jamais autant débattu des questions éthiques en rapport avec la vie, la procréation, la naissance, la maladie, la souffrance et la mort. Ce n’est donc pas d’un coup de balai que l’on évacue la question des rapports entre foi et éthique, entre science et raison. Les sciences donnent incontestablement une solution à de nombreux problèmes mais en posent de nouveaux. Les nouveaux savoirs débouchent sur de nouvelles interrogations éthiques que ce soit en amont parce que toute recherche et toute découverte ne sont pas bonnes à faire. Il suffit de penser à certaines recherches militaires que certains centres de recherche universitaires refusent de mener. Par ailleurs, les recherches ne peuvent être développées ou poursuivies dans n’importe quelles conditions (il y a des règles convenues d’observation et d’expérimentation et donc des limites à l’expérimentation). Il en est ainsi dans les domaines de la biologie génétique, des techniques de reproduction, de la pharmaco-chimie, de la neurobiologie et de la neurochimie, comme dans l’introduction de certaines avancées dans les sciences et techniques chirurgicales. Ensuite, en aval des recherches, on ne peut se désintéresser des diverses pratiques et utilisations des découvertes, ni des effets pervers surgissant dans l’application ou l’utilisation des progrès scientifiques et techniques. Science et technique ouvrent la voie à de nouvelles interventions et actions mais, dans le même temps, elles créent des dégâts dans l’environnement et font surgir une foule de problèmes écologiques et éthiques nouveaux. Une science sans conscience risque de ne pas s’inquiéter des atteintes à l’environnement qui découlent d’applications non contrôlées des sciences et des techniques. Les sciences ne peuvent non plus se développer sans tenir compte du rôle et des effets des découvertes scientifiques et techniques et de leurs applications sur l’internationalisation de la production ou encore la planétarisation de la communication et du transport. Sciences et techniques n’ont pas seulement favorisé la mondialisation économique et financière, elles ont accru, en parallèle, l’interdépendance entre les nations sur les plans politiques, social, culturel, éthique et religieux ; elles ont multiplié les migrations internationales. Dans ces conditions, les opportunités de dialogue entre les cultures, comme entre les religions qu’elles soient théistes ou non, s’élargissent. Les interrelations et les interpénétrations culturelles sont croissantes. Les métissages et les hybridations entre les langues, les religions et les civilisations se multiplient. Mais l’interaction croissante entre les cultures, les religions et les civilisations conduit aussi à chocs entre factions et fractions, entre régions et peuples au sein des nations, comme entre les nations elles-mêmes. La mondialisation écrase et donc exacerbe les identités (surtout des minorités) qu’elles soient ethniques, culturelles ou religieuses. Par ailleurs, la mondialisation dont on attendait des merveilles, creuse les inégalités ; elle multiplie les oppressions, les injustices et devient source de conflits… Dans le cours de la mondialisation, les pénuries se multiplient au sein de sociétés que l’on dit d’abondance et menacent l’avenir de l’homme et l’environnement. Paix et justice se trouvent ainsi menacées dans le monde. Dans ces conditions, il s’agit de nouer des alliances pour oeuvrer à la résolution de problèmes essentiels du point de vue du développement de l’homme et de l’humanité ou encore pour lancer des actions en faveur de la paix, de la justice et de la fraternité dans le monde. Lorsqu’on prend en considération ces multiples problèmes, on se rend compte de l’importance et de la transcendance des interrogations métaphysiques. Sur ces problèmes, les sciences sont muettes. Telles sont en tout cas quelques-unes des raisons pour lesquelles « science et technique ne peuvent se développer sans conscience » et sans prévoyance. En ces domaines, le principe de précaution s’impose par delà le principe de prudence. Ainsi donc, tout en se réjouissant des avancées des sciences et des techniques, ne serait-il pas temps de renouer et de redévelopper le dialogue entre science, philosophie et théologie et donc aussi entre foi et raison? Ne serait-il pas temps de dénoncer le réductionnisme et l’impérialisme du positivisme et du matérialisme méthodologique pur et dur à la base des démarches scientifiques et techniques? De toute évidence, la recherche ne peut se développer sans considération pour les impératifs éthiques. Il n’est d’ailleurs pas rare que les scientifiques décrètent eux-mêmes un moratoire sur certaines recherches.

Les universités, notamment celles qui affichent une référence catholique, doivent plus que d’autres tenir compte de ces impératifs éthiques qui se manifestent en amont et en aval de la démarche scientifique… Encore faut-il que la communauté universitaire et les publics aient conscience de ces problèmes et ne boudent pas les débats à leur propos…

Jacques DELCOURT, Professeur émérite de l'Université Catholique de Louvain
Louvain-la-Neuve, le 05/09/2009

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9 septembre 2009 3 09 /09 /septembre /2009 14:10
Introduction

Ce qu’il y a vraiment d’incroyable, lorsque l’on s’intéresse à la question de la pauvreté et du développement, c’est de constater la multitude de moyens mis en place pour la combattre. Depuis la création de l’ONU et de ses satellites (le FMI, le FAO, l’UNESCO, le HCR, le PAM, la FIDA et autres) jusqu’aux innombrables ONG qui arpentent la planète au profit de populations en détresse ou de causes à défendre, jamais autant de moyens financiers, matériels, humains ou techniques n’ont été déployés pour éradiquer les maux dont l’homme peut souffrir partout dans le monde. Dans les pays riches, qui ont leurs « nouveaux pauvres », il n'y a jamais eu autant de dépenses sociales et de prélèvements sociaux et fiscaux.
D’un certain côté, il faut se réjouir de voir  se multiplier toutes ces formes de solidarité active.
Depuis le Concile Vatican II l’Eglise n’a cessé de souligner, parmi les signes positifs de notre temps « le sens croissant et inéluctable de la solidarité de tous les peuples » .

Et pourtant, la pauvreté est toujours là ! Dans les pays riches même, on n’hésite pas à parler des « nouveaux » pauvres.

Malgré les nombreux moyens déployés, malgré la mise en place d’objectifs ambitieux et de financements toujours plus importants, il y a tous les jours des hommes et des femmes qui meurent de faim ou de soif, des populations qui sont déplacées, des enfants qui ne vont pas à l’école, etc. La pauvreté est invaincue. Ou au moins est-il illusoire de penser qu’en multipliant les moyens nous pourrons l’éradiquer totalement.
Comme le dit le pape Benoit XVI dans sa première encyclique : « Il y aura toujours de la souffrance, qui réclame consolation et aide. Il y aura toujours de la solitude. De même, il y aura toujours des situations de nécessité matérielle, pour lesquelles une aide est indispensable, dans le sens d’un amour concret pour le prochain.  ». Le Christ ne dit-il pas à ses apôtres :  « les pauvres, vous les aurez toujours avec vous » Mathieu 26-11

On en aura donc jamais fini !

C’est un des devoirs constant de l’Eglise et de tout chrétien de s’engager au quotidien auprès des plus pauvres :  «  L’amour du prochain, enraciné dans l’amour de Dieu, est avant tout une tâche pour chaque fidèle, mais il est aussi une tâche pour la communauté ecclésiale entière, et cela à tous les niveaux : de la communauté locale à l’Église particulière jusqu’à l’Église universelle dans son ensemble. L’Église aussi, en tant que communauté, doit pratiquer l’amour  ».
De la création de la diaconie (service de la charité) à l’affranchissement des esclaves en passant par des grandes figures de la charité comme Martin de Tours, François d’Assise, Ignace de Loyola, Jean de Dieu, Vincent de Paul, Pedro de Betthencourt, Jeanne Delanoue, Jean Bosco ou encore Teresa de Calcutta, l’Eglise a toujours eu le désir de se mettre au service des plus pauvres.

Et c’est précisément ce qui lui a été reproché.

De nombreux courants d’idées, amplifiés par la montée en puissance de la pensée marxiste au XIXe siècle ont fortement remis en cause l’action caritative de l’Eglise. En se complaisant dans leurs « bonnes œuvres », les chrétiens se donneraient bonne conscience !  Toute cette pensée reposait (et repose encore) sur un principe : les pauvres n’ont pas besoin de charité mais de justice. Au lieu de les maintenir dans leur situation en leur faisant la charité, il est préférable de se battre pour bâtir une société juste où chacun aura ce dont il a besoin.  Il y a un peu de vrai dans cette accusation…mais beaucoup de faux et  c’est ainsi que face à des situations et à des problèmes toujours nouveaux, s’est développée une doctrine sociale catholique qui, en 2004, a été présentée de manière organique dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, rédigé par le Conseil pontifical Justice et Paix.

C’est de ce rapport entre la pauvreté et l’Eglise dont il sera question ici.

Même « déconsidérée » à notre époque actuelle, la charité est au cœur de l’enseignement social chrétien. Dernier exemple en date, l’encyclique de Benoît XVI « Caritas in veritate » qui, en reprenant et en actualisant la pensée de son prédécesseur Paul VI, porte un regard particulièrement avisé sur notre époque et ouvre de nouvelles réflexions sur « la question cruciale du développement  intégral de l’humanité et de la mondialisation ». (Préface).

I/ Quelques principes de l’ESC

La doctrine sociale de l’Eglise propose des principes de réflexion qui doivent orienter notre action. Elle se soucie des aspects temporels du bien commun et s’efforce d’inspirer des attitudes justes dans les rapports aux biens terrestres et dans les relations socio-économiques.
A ce titre, elle ne peut pas être indifférente à la question de la pauvreté car il y a des systèmes, des organisations, des modes de fonctionnement qui conduisent  à la pauvreté et à la misère.
Dans certains cas, on peut même parler de « structure de péché » comme lorsqu’un état conditionne la distribution d’une aide alimentaire ou d’une allocation au contrôle des naissances de sa population. 
Par ailleurs, le Concile Vatican II souligne une dimension spécifique de la charité qui nous conduit, sur l'exemple du Christ, à aller en particulier à la rencontre des plus pauvres : "Comme le Christ... a été envoyé par le Père "pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir les coeurs meurtris" (Lc 4, 18), de même l'Eglise enveloppe de son amour tous ceux que la faiblesse humaine afflige. Bien plus, dans les pauvres et les souffrants elle reconnaît l'image de son fondateur pauvre et souffrant, elle s'efforce de soulager leur misère, et en eux c'est le Christ qu'elle veut servir ".

1-1/  l’amour préférentiel pour les pauvres :

Dans les textes du magistère un principe essentiel revient comme une lumière pour éclairer l’action des chrétiens au quotidien : l’amour préférentiel pour les pauvres. « C’est là une option ou une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Eglise. Elle concerne la vie de chaque chrétien en tant qu’il imite la vie du Christ, mais elle s’applique également à nos responsabilités sociales et donc à notre façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de manière cohérente au sujet de la propriété et de l’usage de biens  ».

1-2/ Des évolutions de l’Ancien au Nouveau Testament :

Il est intéressant de constater qu’il y a une réelle évolution de l’Ancien au Nouveau Testament sur cette question de la pauvreté. Dans l'Ancien Testament on voit se développer cette conviction humaine assez commune selon laquelle la richesse représente la juste récompense réservée à l'homme droit et qui craint Dieu: "Heureux l'homme qui craint Yahvé, et se plaît fort à ses préceptes... Opulence et bien-être en sa maison" (Ps 112, 3). La pauvreté est décrite comme une conséquence négative de l’oisiveté et d’un manque d’efficacité mais aussi comme un fait naturel ou une punition.


Mais, d'un autre point de vue, le pauvre devient l'objet d'une attention particulière en tant que victime d'une injustice. Les invectives des prophètes contre l'exploitation des pauvres sont célèbres (cf. Amos 2, 6-15). Le lien de la pauvreté avec l'injustice est également souligné dans Isaïe : "Malheur à ceux qui décrètent des décrets d'iniquité, qui écrivent des rescrits d'oppression pour priver les faibles de justice et frustrer de leur droit les humbles de mon peuple, pour faire des veuves leur butin et dépouiller les orphelins" (Is 10, 1-2). 

Cette relation explique également pourquoi abondent les lois en défense des pauvres et de ceux qui sont socialement plus faibles: "Vous ne maltraiterez pas une veuve ni un orphelin. Si tu le maltraites et qu'il crie vers moi, j'écouterai son cri" (Ex 22, 21-22).

Défendre le pauvre, c'est donc honorer Dieu, père des pauvres.

C'est pourquoi la générosité à leur égard est justifiée et recommandée. Mieux même : on peut constater en approfondissant ce thème de la pauvreté dans l’Ancien Testament, que celle-ci assume peu à peu une valeur religieuse. Dieu parle de "ses" pauvres : « Cieux, réjouissez-vous. Terre, sois dans l’allégresse ! Montagnes, éclatez en cris de joie ! car l’Eternel console son peuple. Il a pitié de ses malheureux » (Is 49, 13) Isaïe, dans le célèbre texte concernant le surgeon qui naîtra de la souche de Jessé, dit également que le futur Messie  prendra à coeur les pauvres et les opprimés : "Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays" (Is 11, 4).

1-3/ La pauvreté évangélique

Dans le Nouveau Testament, le Christ annonce aux pauvres l'heureux message de la libération en appliquant à sa personne la prophétie du Livre d'Isaïe : "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur." Le Christ vient instaurer le « Règne de Dieu ». Son Règne perfectionne la bonté originelle de la création et de l’activité humaine, compromise par le péché. Libéré du mal par le Christ les hommes peuvent donc poursuivre l’œuvre de Jésus avec l’aide de son Esprit : rendre justices aux pauvres, affranchir les opprimés, consoler les affligés, rechercher un nouvel ordre social qui offre des solutions appropriées à la pauvreté matérielle.
La pauvreté "évangélique" implique donc toujours un grand amour envers les plus pauvres de ce monde. On peut s’en convaincre à travers l’Evangile des béatitudes (Matthieu, 4, 23), mais aussi dans la pauvreté vécue par le Christ et dans son attention permanente aux pauvres.

1-4/ Mais qui est le pauvre ?

Cet amour des pauvres ne s’étend pas seulement à la pauvreté matérielle, mais aussi aux nombreuses formes de pauvreté culturelle et religieuse. Dans « Centésimus annus » le pape Jean-Paul II rappelle que :  « Dans les pays occidentaux, il y a la pauvreté aux multiples formes des groupes marginaux, des personnes âgées et des malades, des victimes de la civilisation de consommation et, plus encore, celle d'une multitude de réfugiés et d'émigrés ; dans les pays en voie de développement, on voit poindre à l'horizon des crises qui seront dramatiques si l'on ne prend pas en temps voulu des mesures coordonnées au niveau international » . 
Pour Benoît XVI, il faudrait d’ailleurs élargir ce concept de la pauvreté et du sous-développement « aux questions liées à l’accueil de la vie, surtout là où celle-ci est de diverses manières refusées » 
C’est pourquoi il est intéressant, pour terminer, cette partie de revenir à la parabole du bon Samaritain (Lc 10, 25-37) dans laquelle un docteur de la loi demande à Jésus :  « Qui est mon prochain ? ». A quoi le Christ, après avoir raconté la parabole retourne la question :  « A ton avis, lequel des trois s’est fait le prochain de l’homme qui a été victime des bandits ? » Ce qui veut dire que notre prochain s’impose à nous. C’est l’autre, tout l’autre. Je dois entendre son cri, me laisser guider par son appel, faire taire mes griefs ou mes a priori car « il » m’appelle. Dans le blessé sur le bord du chemin, le Samaritain a vu un frère et non pas un ennemi, un homme souffrant qui avait la même dignité que lui et qui avait besoin de lui.
En fait, on peut ergoter indéfiniment pour savoir qui est notre prochain, l’enfermer dans des définitions précises (par exemple limiter sa conception du prochain au « pauvre économique » ou à la personne handicapée) et au bout du compte exclure toutes les pauvretés qui nous environnent et qui n’entrent pas dans nos critères (l’enfant qui pourrait naître avec un handicap ).
L’exemple est un peu basique mais nous avons connu en France dans la même année le Tsunami et la canicule. Dans le premier cas, on a assisté à une collecte de fonds sans équivalent pour soulager la misère de populations lointaines touchées par ce cataclysme, dans le second cas, plusieurs milliers de personnes âgées, vivants à proximité de nous, sont mortes parce qu’il n’y avait pas un voisin pour les visiter, faire leurs courses ou tout simplement s’assurer de leur situation…
Ainsi, comme l’écrit Benoît XVI « la parabole du Bon Samaritain demeure le critère d’évaluation, elle impose l’universalité de l’amour qui se tourne vers celui qui est dans le besoin, rencontré «par hasard» (cf. Lc 10, 31), quel qu’il soit. » 

II/ Quelques paradoxes…

Dans la deuxième partie de cet exposé, il m’a semblé nécessaire de revenir sur quelques paradoxes apparents qui troublent quelques fois le regard (même celui de ceux qui s’intéressent de près à l’enseignement social chrétien).
Pardon pour leur « naïveté » mais à la lecture des textes du magistère et au fil de ma réflexion, ils me sont apparus comme autant de questions que tout un chacun peut se poser. Leur éclairage, celui que je vous propose en tout cas, peut permettre de répondre aux interrogations de ceux qui nous entourent où même nous donner l’occasion d’approfondir nos propres engagements au service des plus pauvres.

2-1/ Comment l’Eglise peut-elle nous encourager dans le même temps à être pauvre et à lutter contre la pauvreté !

Toute la pensée de l’Eglise nous enseigne la pauvreté. Pauvreté qui est d’ailleurs elle-même recherchée par le Christ lors de sa vie terrestre. Pauvreté qui, parce qu’elle est acceptée, est un moyen de le rejoindre « tout ce que vous aurez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait ». (Mat. 25, 44). Considérant même le privilège qui est donné aux pauvres dans l’Evangile, la doctrine sociale de l’Eglise réaffirme à plusieurs reprises que :  « les plus favorisés doivent renoncer à certains de leurs droits, pour mettre avec plus de libéralité leurs biens au service des autres.»
Dans le même temps, l’Eglise ne cesse de nous pousser à réduire la pauvreté qui est autour de nous. Tous les grands saints, toutes les grandes œuvres de l’Eglise tournent autour de cela : comment soulager la misère qui est autour de nous ? Comment aider ceux qui ont faim ou soif  ? Comment venir en aide aux plus petits ?
Le Concile Vatican II souligne une dimension spécifique de la charité qui nous conduit à aller à la rencontre des plus pauvres: "Comme le Christ... a été envoyé par le Père "pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir les coeurs meurtris" (Lc 4, 18), "chercher et sauver ce qui était perdu" (Lc 19, 10). De même l'Eglise enveloppe de son amour tous ceux que la faiblesse humaine afflige. « … dans les pauvres et les souffrants elle reconnaît l'image de son fondateur pauvre et souffrant, elle s'efforce de soulager leur misère, et en eux c'est le Christ qu'elle veut servir."
En fait, le paradoxe soulevé n’est qu’apparent.
Tout d’abord parce qu’en en nous encourageant à lutter contre la pauvreté, l’Eglise nous appelle à la justice et à la charité.

- A la justice parce qu’il faut donner à chacun ce qui lui est dû. Et ce qui lui est dû, ce sont d’abord les moyens nécessaires à sa subsistance et à celle des siens, ce sont des conditions de vie décentes, un travail qui lui permette de gagner sa vie honnêtement, la liberté religieuse, etc.

- Mais la charité va plus loin. Comme le dit si bien saint Grégoire le Grand « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne faisons pas pour eux des dons personnels, mais nous leur rendons ce qui est à eux. Plus qu’accomplir un acte de charité, nous accomplissons un devoir de justice. »  C’est pourquoi, l’Eglise nous encourage à aller plus loin à travers la charité. La charité implique l’amour, elle est un don de soi qui nécessite toujours plus qu’un acte simple (mais nécessaire) de justice : « La participation profonde et personnelle aux besoins et aux souffrances d’autrui devient ainsi une façon de m’associer à lui…je dois lui donner non seulement quelque chose de moi, mais moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne » . Ainsi pouvons-nous nous rapprocher de l’amour du Christ qui est l’Amour total, le don absolu. On voit ainsi qu’en nous encourageant à lutter contre la pauvreté, l’Eglise nous conduit  à vivre de l’amour du Christ.

Par ailleurs, en nous enseignant la pauvreté, le Christ nous montre le chemin qui nous conduit vers lui. Si elle est librement consentie et acceptée, la pauvreté devient un moyen pour suivre le Christ, qui, comme le rappelle Paul aux Corinthiens, "pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté" (2 Co 8, 9).

Enfin, est pauvre celui qui, constatant sa propre insuffisance, est davantage disposé à l’espérance.

On trouve de nombreux passages de cette espérance des pauvres dans l’Evangile. Ils savent le mal qui les habite ou la maladie dont ils souffrent et ils s’en remettent au Christ pour les guérir ou les sauver. C’est cette simplicité, cet abandon, cette foi que nous demande Jésus et qui est plus difficilement possible lorsque l’on est dans la richesse et l’abondance. Le jeune homme riche de l’Evangile qui voulait en héritage la vie éternelle n’a pas consenti à se dépouiller « car il avait de grands biens » (Marc, 10, 17-30).

On comprend mieux, à travers ces quelques éléments la simple apparence du paradoxe.

En nous demandant de lutter contre la pauvreté et à devenir pauvre nous-même, l’Eglise nous parle de pauvretés différentes : la première qui est subie par les hommes de tous les temps doit être combattue au nom de la dignité même de la personne humaine. La seconde est acceptée et choisie. C’est «l’esprit de pauvreté » qui fait l’objet d’une béatitude de la part du Christ et qui est le bon usage des biens qui sont à notre disposition pour aller vers Dieu. L’esprit de pauvreté qui, quels quel soient nos richesses matérielles, est un chemin spirituel grâce auquel on peut se procurer la véritable richesse, c'est-à-dire « un trésor inépuisable dans les cieux » (cf. Lc 12, 32-34)

En fait, le paradoxe apparent soulève une vérité extraordinaire : c’est en donnant sa vie qu’on la trouve. C’est en rejoignant le Christ dans la pauvreté des hommes que l’on découvre sa propre pauvreté et que l’on accepte plus facilement de s’en remettre à Lui.

2-2/ Comment vivre « l’option préférentielle pour les pauvres » et défendre la propriété privé

Un deuxième paradoxe souvent mis en évidence, est significatif des critiques entendues contre l’Eglise. En effet, bien qu’elle nous demande de nous dépouiller pour nous mettre sur les pas du Christ, l’Eglise renouvelle constamment à travers ses différentes encycliques sociales son attachement à la propriété privé.
Autrement dit, comment peut-on posséder quelque chose et être pauvre ? A quoi sert-il de défendre un droit à la propriété si l’on nous encourage à ne pas en avoir ? Comment vivre « l’option préférentielle pour les pauvres » et défendre la propriété privé ?
La encore, le paradoxe n’est qu’apparent.

La première raison c’est que c’est une erreur d’avoir interprété cette « option préférentielle pour les pauvres » comme un programme politique permettant d’opposer les riches et les pauvres dans une espèce de lutte des classes. C’est même tout le contraire puisque c’est précisément en se faisant un devoir de venir en aide aux plus pauvres que nos sociétés pourront éviter toute forme de lutte des classes. Elles se donnent ainsi les moyens de réduire les conflits qui menaceraient à terme la sécurité et le bien être matériel de tous les membres de la société.
En fait, ce droit fondamental pour l’autonomie et le développement de la personne qu’est la propriété est subordonné à la destination universelle des biens.
Ce qui veut dire que s’il est bon de favoriser le droit à la propriété pour que chacun possède ce dont il a besoin pour vivre, il « y a un certain dû à l’homme, en raison de son éminente dignité » . En effet, celui qui possède des biens et qui fait semblant de ne pas voir la misère qui l’entoure a oublié que toute propriété a une destination universelle qui va au-delà de sa satisfaction personnelle. La parabole du riche et de Lazare est là pour nous le rappeler (Luc 16, 19-31).
Pour résumer, il faudrait dire que la légitimité de la propriété repose sur la distinction entre le pouvoir de gérer et de disposer et le pouvoir et le devoir de faire un bon usage de ses biens.
Dans cet esprit, on est loin de l’assistance des structures étatiques qui s’est pourtant considérablement développée quitte à se substituer aux initiatives privés et à déresponsabiliser les  sociétés. Il semble en effet « que les besoins soient mieux connus par ceux qui en sont plus proches ou qui savent s'en rapprocher, et que ceux-ci soient plus à même d'y répondre. On ajoutera que souvent certains types de besoins appellent une réponse qui ne soit pas seulement d'ordre matériel mais qui sache percevoir la requête humaine plus profonde » .
C’est ce que Jean-Paul II appelle la pratique de la solidarité qui est pleinement valable lorsque dans une société ceux « qui ont plus de poids, disposant d’une part plus grande de biens et de services communs, se sentent responsables des plus faibles et sont prêts à partager avec eux ce qu’ils possèdent.. De leurs côtés, les plus faibles, dans la même ligne de solidarité  ne doivent pas adopter une attitude purement passive ou destructrice du tissu social, mais…faire ce qui leur revient pour le bien de tous.» 

La deuxième raison, c’est que le droit à la propriété ne peut se comprendre que dans la perspective d’un développement de la propriété. Il appartient à l’homme qui a reçu mission de dominer la terre de faire fructifier la terre et tout ce qui s’y trouve au service des autres. Car « la vie économique n’est pas un jeu à somme nulle ou chacun gagne ce que l’autre perd. La vraie économie est celle qui permet une création de richesses, profitant à tous, dans laquelle il y a un échange et deux gagnants, parce que quelque chose a été créé à cette occasion » . C’est dans cet esprit que la propriété privée trouve sa signification « car l’homme est ainsi fait que la pensée de travailler sur un fonds qui est à lui redouble son ardeur et son application »

Option préférentielle pour les pauvres et propriété privée ne s’opposent donc pas. L’une est subordonnée à l’autre.

Conclusion

En conclusion, s’il est clair qu’un lien fort existe entre l’enseignement social chrétien et la pauvreté il doit s’exprimer pleinement à travers ce rapport entre la charité et la vérité que le Saint père nous invite à méditer dans sa dernière encyclique.

Comment aimer mon prochain, le plus pauvre, sans le connaître lui, sa pauvreté et la mienne ? Comment pourrais-je le connaître en vérité si, au-delà de mon intelligence ou de mon savoir, je ne suis pas capable de le rejoindre dans sa pauvreté en l’aimant de cet amour de bienveillance que le Christ porte sur chacun d’entre nous.

Jean Vanier, le fondateur de la Communauté de l’Arche, ne cesse de parler du lien nécessaire entre l’intelligence et le cœur. « L’essentiel est invisible pour les yeux », nous dit le Petit Prince, « on ne voit bien qu’avec le cœur ».
Le cœur qui est éclairé par le savoir et par l’intelligence, l’intelligence qui s'inscrit dans une compréhension claire des priorités à considérer quand on vise d'abord le développement intégral des personnes.

Ainsi doit-on penser que « le savoir humain est insuffisant et les conclusions des sciences ne pourront pas, à elles seules, indiquer le chemin vers le développement intégral de l’homme. Il est toujours nécessaire d’aller plus loin: l’amour dans la vérité le commande. Aller au-delà, néanmoins, ne signifie jamais faire abstraction des conclusions de la raison ni contredire ses résultats. Il n’y a pas l’intelligence puis l’amour: il y a l’amour riche d’intelligence et l’intelligence pleine d’amour. »

Pierre Collignon
directeur de l'IRCOM
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23 octobre 2007 2 23 /10 /octobre /2007 10:14
Introduction

L´Union européenne s´accroît. Les nouveaux pays membres sont surtout les anciens membres du bloc des pays socialistes lequel s´est constitué en Europe après la Seconde Guerre mondiale. Ce bloc est souvent perçu comme un ensemble homogène. Mais on oublie qu’il est composé de pays très divers. Leur seule caractéristique commune réside dans le fait qu’ils ont appliqué le même modèle socialiste - un modèle qui par ailleurs a échoué. Ce modèle était basé sur l´idéologie du marxisme-léninisme, sur le rôle des dirigeants du parti communiste et de la classe ouvrière et sur le système économique de la planification centralisée.
L’histoire de ces pays, leurs caractéristiques, leurs situations économiques et politiques, leurs niveaux achevés de démocratie avant la 2-eme Guerre mondiale étaient et demeurent toujours très différents. Leur admission  dans la Communauté Européenne est simplement due au fait qu’ils répondaient aux critères économiques fixés par l´Union. Les différences sont liées à la géographie, aux populations, au niveau économique, au coût horaire de la main d´œuvre, etc. Il faut ajouter que tous ces pays ouvrent leurs marchés aux produits européens d‘exportation, au capital financier, à la force du travail, aux idées nouvelles, à la technologie, au savoir-faire (know how), etc. 
Les valeurs humanistes européennes sont des repères importants. Malheureusement le libéralisme "sauvage" a pénétré la société des pays ex-socialistes à la suite des changements dans les années 90´. On accentue l´individualisme et la recherche du profit personnel au détriment de la solidarité avec les proches. Les expressions telles que solidarité, syndicats, coopératives sont déconsidérées parce que perçues comme rappelant l´époque du socialisme.
 Dans tous les Etats du bloc post-socialiste il a été établie une base commune pour une société moderne de marché ainsi que pour l´introduction de la démocratie et de la société civile. La société civile est appelée à réfléchir collectivement à ce qui doit être entrepris "pour les gens et avec les gens". Cela est impossible si le dialogue est inexistant, en particulier le dialogue social. Il faudrait engager des discussions publiques sur ce sujet et aborder le contenu des valeurs, en donnant à chacun la capacité de penser et de réfléchir sur des objectifs tels que la démocratie, la liberté, la solidarité, la subsidiarité, la responsabilité. Tout doit être fondé sur les valeurs de liberté, mais il est nécessaire de déterminer pour qui et au nom de qui cette liberté s‘exerce. La liberté n´est pas quelque chose d‘illimité, elle doit être régulée dans un cadre qui respecte le libre arbitre de chacun.
 Si je vais parler de la situation actuelle dans les pays post-communistes, je dois déclarer en avant qu´il s´agit d´un témoignage personnel basé surtout dans mon expérience de la vie en Tchécoslovaquie. J´espère que les participants des autres pays post-communistes ajouteront leurs remarques et leurs expériences personnelles.


La réconciliation - est-elle possible?

D´après la doctrine sociale de l´église le pardon et la réconciliation sont la seule base d´une vraie paix (Compendium, 517). Tous les fardeaux du passé demandent une réflexion des deux parties ce qui est un processus très difficile et de longue durée. De même - pour les gens de bonne volonté - il ne s´agit pas d´un processus lequel on ne pourrait pas achever.
Le pardon ne signifie pas une négation de la justice (Compendium, 518).  En principe la réconciliation demande de renouveler la confiance entre les deux parties qui étaient en désaccord.
La réconciliation est un terme assez ample. Les régimes précédents ont créé beaucoup d´injustice. On pourrait en parler pendant longtemps. Je vais limiter ma contribution  sur les problèmes de la réconciliation entre les:

1) ethniques et nations,
2) classes,
3) générations.


1 - Réconciliation entre les ethnies et les nations


Pour bien comprendre aujourd´hui  les réactions des gens - très souvent nationalistes - il faut connaître l´histoire.

Bien des pays post-communistes ont eu une histoire assez mouvementée dans le passé, souvent causée par leurs position géopolitique ayant des intérêts contradictoires avec les grandes puissances. Les pays baltiques souffraient sous la Russie, l´Allemagne, la Suède; les pays de l´Europe Centrale existaient sous l´Allemagne ou sous l´Empire Austro-Hongrois; les changements de frontières - si typiques p. ex. pour la Pologne – continuèrent de temps en temps et jusqu´à l´époque presque présente. Les transferts ethniques de la population (surtout celle qui appartenait aux minorités) n´étaient pas rares. C´était le résultat des guerres, des révolutions avec les atrocités, brutalités, duretés, haines etc. - mais aussi avec les pertes des vies humaines des parties d´ennemi. Il est donc difficile de re-établir la confiance, mais il est plus difficile encore d´établir la réconciliation.

Si l´on veut parler plutôt de la période récente on peut présenter p.ex. les problèmes des Roms (tsiganes) dans les Républiques Tchèque et Slovaque ou bien les problèmes avec la minorité russe en Estonie et dans les autres pays baltiques, la question du Sudetenland et les problèmes de la migration actuelle.

2- Réconciliation entre les classes

Après la 2-eme guerre mondiale l´établissement du bloc socialiste a apporté un nouveau aspect politique et social : la lutte des classes au nom de grandes idées. Dans le processus de la construction du socialisme la nouvelle hiérarchie politique a commencé a exclure de la vie politique, économique et sociale les représentants de la bourgeoisie - les entrepreneurs, les riches, les koulaks, les ennemies de peuple. L´histoire bien connue de la Russie et de l´Union Soviétique des années 1920- 1930 s´est répétée - souvent avec la même brutalité - dans les années 1950.  Les membres de la classe bourgeoise étaient considérés en pratique comme les citoyens avec les droits limités; souvent ils n´avaient pas les droits des citoyens en ce qui concerne leurs accès a l´éducation supérieure, ils devaient être soumis a une "re-éducation" (en travaillant dans les chantiers socialistes, dans les mines ....).
En supprimant "les ennemies de la classe ouvrière" (comme les ennemis du peuple) on a supprimé les propriétaires par la nationalisation de leurs entreprises. On a forcé les paysans de devenir - dans les années 50 - membres des co-opératives agricoles, les artisans devaient former les co-opératives de production et les petits marchands les coops de consommation. Après les changements du système politique, économique et social en 1989 on commençait a faire des restitutions (il s´agissait de réparer les injustices en rendant les propriétés confisquées soit d´une façon matérielle ou financière). Ce problème très difficile apportait bien des problèmes a la réconciliation "intérieure" dans la société.
L´ancien régime supprimait aussi la sphère spirituelle et culturelle de la vie en monopolisant la théorie marxiste. On supprimait surtout la vie religieuse - on fermait les écoles des églises, on supprimait la vie des ordres, l´état contrôlait l´Eglise etc. Le processus d´athéisation a produit les résultats dans la vie actuelle - la restitution de la propriété de l´Église n´est pas résolue jusqu´à nos jours et la plupart de la population tchèque actuelle est considérée comme non-croyants.
Dans tous les pays post-communistes si l´on parle de la réconciliation et du pardon, on se pose la question, comment peut-on régler son compte avec le passé. Les opinions sont différentes. P. ex. faut-il condamner ou même mettre en prison les juges et les surveillants des prisons communistes qui condamnaient et torturaient les prisonniers innocents dans une période éloignée déjà un demi-siècle? Quoi faire avec les dirigeants communistes de l´ancien régime qui sont vivant encore ?
Les ex-membres communistes sont-ils coupables de leurs responsabilités collectives avec l´ancien régime avec tous ces défauts? Il y en a beaucoup qui ont changé d’avis et leurs positions politiques et économiques en devenant entrepreneurs, membres des autres partis politiques (plutôt libérales de droit) et lesquels ont même pris la position de l´élite politique et économique actuelle de la nation.
Un autre problème qui se pose : collaboration (quelques fois problématique) avec les organes de la Sécurité d´État (police politique communiste). Il y a les publications (officielles et non officielles aussi) des archives et des listes de collaborateurs; en fait, il s´agissait aussi des acteurs, savants, prêtres, personnalités bien connues. Quand ces gens demandent un verdict judiciaire, très souvent leur collaboration est annulée; malheureusement il s´agit souvent seulement d´un effort superficiel. De l´autre coté les noms des vrais acteurs et collaborateurs de la police secrète y manquent. Cette situation complique la purification du climat éthique de la société, comme elle pourrait amener aux réflexions de culpabilité de chacun.
Est-il possible de co-opérer avec le parti communiste présent pour créer les coalitions avec les partis démocratiques? On trouve les mots d´ordre: On ne parle pas avec les communistes - quelque fois diffusés par les gens qui profitaient de leurs appartenance au parti communiste dans le passé.


3/ Réconciliation entre les générations

 Un grand problème actuel pour nous est celui de la co-opération et de la compréhension entre les générations. Ce phénomène - connu aussi dans les pays développés - est lié à la décomposition de la famille et à la crise des valeurs. En ce qui concerne la réconciliation, dans les pays de l´Est on peut constater les différences dans l´approche des générations : il y a les gens avec un témoignage personnel du passé (surtout des événements de la guerre et de la période des années 50 avec le régime assez dur);  il y a les gens de l´âge moyen ( 50-60 ans) avec un témoignage par médiateurs souvent influencés par l´histoire interprétée d´une façon marxiste, selon les critères de la lutte des classes. Il y a la jeune génération qui ne connaît que la situation après les changements de 1989. En général les jeunes gens accusent les générations plus âgées d´avoir toléré l´ancien régime ou même d´avoir collaboré avec lui. C´est donc la responsabilité des "vieux" pour toutes les fautes et pour la situation économique et morale actuelle dont les défauts et manques sont réparables avec telles difficultés. De plus, on trouve même les opinions que les gens âgés ne méritent pas les pensions des retraités. D´après notre expérience la jeunesse reste toujours un peu révolutionnaire en observant la situation actuelle et le développement historique d´une manière très simplifiée n´admettant que les couleurs blancs et noirs, sans s´imaginer les conséquences des décisions.
Dans les pays "post-communistes" les jeunes gens - qui ne connaissent plus le développement historique dans tout son contexte - ont encore un problème spécifique qui est différent de la société dans les pays ou il n´y avait pas du développement "révolutionnaire". Les générations plus âgées dans ces pays étaient victimes du régime communiste ; qui se révoltait était puni, (surtout dans les années 1950) la répression était très dure ; en plus, tout cela s´est déroulé seulement quelques années après l´occupation nazi, laquelle était caractérisée par la même brutalité.
Bien sûr, on ne peut pas accepter le mal - ni au nom du libéralisme, de la liberté et des égalités des chances etc. Les chrétiens sont obligés d´identifier le mal et de lutter contre lui (lequel d´ailleurs peut résulter d´un libéralisme excessif - comme les avortements, les scènes de violence dans les média, la consommation de la drogue, ou les bouleversement de la conception de la famille etc.).
D’un autre côté la question se pose : comment va-t-on considérer la jeune génération d´aujourd´hui - qui est au pouvoir économique et politique - pour l´endettement extraordinaire du pays et pour les mauvaises décisions économiques? (Il est intéressant de constater qu´à la fin du régime communiste les dettes de la Tchécoslovaquie étaient négligeables, on était plutôt dans la position du créditeur des pays du Tiers monde.)
Aujourd´hui les jeunes s´endettent facilement, ce qui résulte de l’énorme  consumérisme actuel : carpe diem devient le slogan bien aimée et pratiqué. On peut d’ailleurs caractériser la situation par la phrase suivante : « Achetez ce dont vous n´avez pas besoin et pour cela vous n´avez pas des finances. Cette philosophie de vie peut produire les problèmes futurs entre les générations. 

Conclusion

Les institutions d´éducation soit catholiques - soit chrétiennes ou bien religieuses de n´importe quelle dénomination - (Compendium - 532) doivent réaliser le service très apprécié de formation, en s´appuyant sur une inculturation du message chrétien. Ils doivent aider à cultiver les principes moraux de co-opération sociale dans n´importe quelles régions et sphères de culture et de profession.
Il faut connaître la doctrine sociale chrétienne, il faut appliquer les principes qu´elle recommande et qui sont basés sur les expériences et sur la sagesse des siècles et millénaires. C´est le chemin pour la réconciliation et pour la création d’une société civile stabilisée.

Lidmila Němcová
Prague, République Tchèque

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22 octobre 2007 1 22 /10 /octobre /2007 21:49
L’AIESC a choisi pour thème cette année la réconciliation entre les peuples. Ce thème est l’occasion de jeter un regard sur le phénomène sans doute le plus important de notre époque, celui de l’urbanisation. L’an prochain, en effet, se produira ce point d’inflexion historique : plus de la moitié de la population du monde sera urbaine. Par corrélat, la quasi totalité de la croissance démographique se fera dorénavant dans les villes. Envisagé à l’échelle de l’histoire de la planète, au regard de laquelle la période habitée par l’homme est un bref épisode, ce qui se passe maintenant ressemble au passage d’une tornade qui jetterait les hommes et les femmes les uns sur les autres dans des endroits particuliers, tout en créant de très grands vides. Car ces hommes et ces femmes ne se mélangent que très peu ; beaucoup échouent en ville comme des épaves ; il n’y a pas de véritable brassage ; tout ceci va trop vite pour que les capacités organisatrices de l’homme contemporain puisse en anticiper et régler les flux et les conditions d’accueil.
L’ONU vient de publier l’État de la population mondiale 2007, dont le sous-titre est : Libérer le potentiel de la croissance urbaine. Je m’appuierai sur ce rapport. Un rapport qui n’est pas pessimiste comme tant d’autres approches de la ville contemporaine peuvent l’être. Mais le regard technique porté sur la ville, principalement d’ailleurs dans les pays en développement, ce regard, les chrétiens peuvent le compléter et y apportant leurs clefs de lecture, leurs intuitions et sans doute leur engagement. Or curieusement, la ville – c’est un peu plus que l’urbanisation - , la question urbaine si l’on préfère -, est peu présente dans les grands textes de référence de la pensée sociale chrétienne. Il y a donc là, devant nous, une occasion de repenser, de reformuler et de trouver des prolongements concrets à la réflexion sociale chrétienne.

1. La question de l’urbanisation au XXIème siècle

L’urbanisation est, du point de vue de la civilisation, le sens de l’Histoire. Les modèles  politiques et économiques dominants sont urbains. Les grands pays de l’OCDE sont également très majoritairement urbains et les pays les plus pauvres ruraux. L’indice de développement est corrélé avec le taux d’urbanisation : la ville peut apparaître comme une condition sine qua non de la richesse ; elle a pu jusqu’à il y a peu être signe de progrès et de bien-être. Mais c’est de moins en moins vrai.

La division du travail se fait en faveur de la ville. Pour de nombreuses raisons, les campagnes se vident. La combinaison : recevoir de la matière première – trouver de la main d’œuvre – expédier le produit fini – trouver de la main d’œuvre pour cela, entraîne la concentration de la population sur les grands axes logistiques, et finalement dans certains pays plutôt que dans d’autres.

De grandes migrations sont en cours (Inde, Chine) , soit en raison du développement des secteurs secondaire et tertiaire ; soit à cause de la dégradation des conditions de développement agricole (réchauffement climatique, problème de l’eau, épuisement des sols, etc.) ou de la mécanisation des cultures ; soit pour des raisons d’ambitions culturelles (accès aux infrastructures de communication ou de formation, … ; soit encore pour des raisons politiques : violences, conflits inter-ethniques, …

Tout cela se traduit par le développement très rapide de villes de toutes tailles : la population de Gaborone (cap. du Botswana) passera de 17 000 habitants en 1971 à 500 000 en 2020 ! Pour les très grandes villes (> 15 millions d’habitants), la tendance est à l’asymptote car elles connaissent une émigration supérieure à l’immigration et à la croissance naturelle. Mais des villes comme Dacca ou Lagos devraient encore s’accroître. Le tissu de grandes métropoles se densifie (la Chine aura dans une génération plus de trois cents villes de plus d’un million d’habitants). La question des villes moyennes est de plus en plus aiguë, car elles sont le plus souvent dépassées par le rythme de la croissance urbaine.

La principale pathologie des villes, et de loin, tient en ce que ce sont les pauvres qui vont alimenter la croissance urbaine. La question de la réconciliation est appelée à devenir centrale, dans le quotidien des sous-groupes humains vivant dans un milieu urbain qui  favorise les lignes de fractures ; elle s’inscrit dans un contexte de pauvretés multiples qui se nourrissent les unes les autres, sous-tendue par des problèmes concrets de droits élémentaires, d’accès aux biens, de dignité, … qui viennent compliquer des questions de cultures, de gouvernance politique ou de création et d’affectation des richesses.

L’urbanisation se marque concrètement par des agrégats de populations différentes par leurs origines : Asiatiques, Africains, Maghrébins ; leurs niveaux de richesse ou de culture ; l’importation des problématiques d’origine : incompatibilités culturelles, conflits politiques, fanatisations, …Un problème qui n’est pas nouveau(cf. Londres au XVIII° siècle), mais que l’on maîtrise de moins en moins.

À cette disparité, s’ajoute l’incapacité de se fixer dans la durée, en raison d’une très forte mobilité. Celle-ci juxtapose des populations de passage : tourisme, déplacements de travail et la mobilité due à l’emploi, à la restructuration des quartiers ou à l’évolution vers l’aisance des jeunes ménages : la ruralité donne l’image de la stabilité, la ville celle du mouvement.

Ce mouvement, qui se fait à un rythme très rapide, se traduit par des résultats indignes de la personne humaine : infrastructures insuffisantes et services publics dépassés (eau, tout à l’égout, énergie, transports, culture) ; enfants qui ne vont pas à l’école ; notamment les filles ;  risques sanitaires élevés, comme le sida. Ces situations nourrissent la violence sous des formes multiples : bandes, trafics, drogue, prostitution, criminalité. Dans la ville, l’homme fait facilement violence à l’homme ; des fractions importantes de la population sont et seront davantage fondées à demander justice. Au lieu d’aller vers la réconciliation, à tout le moins la rencontre, les villes sont gravides d’hostilité.

Cette tendance semble consubstantielle à la ville. La ville est le lieu où la fragmentation sociale s’est instituée dès le Moyen Age, dans les milieux des laboratores (marchands, artisans, …) avec les rues, les corporations, les charges qui y furent associées, en opposition à une ruralité homogène, pérennisant la vision d’un monde unifié. Prises dans l’espace mondialisé, dans le pays, ou dans leur organisation interne, les villes connaissent et entretiennent des vitalités différentielles. Elle se trouvent ou non sur les grands réseaux logistiques intercontinentaux, leurs quartiers sont inégalement desservis et favorisés, des ghettos s’y établissent et, si l’on descend au niveau même de l’individu, la solitude y est monnaie courante.

Le travail détermine les temps et l’espace de la ville. Comme le montre A.-J. Gourevitch, le temps des affaires est progressivement devenu le temps social dominant dès l’époque de développement des villes italiennes commerçantes (Les catégories de la culture médiévale) : un temps qui s’impose à tous, alors même que les actifs représentent rarement plus de la moitié de la population aujourd’hui. Travail de jour, travail de nuit ; travail éloigné, cités-dortoir ; le travail d’aujourd’hui détermine le tissu urbain tant dans l’organisation des espaces que dans la nature socio-professionnelle des populations, et leurs rythmes de vie. Une évolution brutale des principaux sites employeurs entraîne des ruptures en cascade. Pour ceux qui travaillent, les temps de transports, qui tendent à s’allonger dans les villes, phagocytent les temps de la famille et de la socialisation hors emploi.

La ville se présente ainsi comme un monde naturellement faillé, dans lequel certains groupes humains sont en situation de maximiser leur intérêt, quand d’autres sont amenés à se résigner au recul de leur position. La question qui se pose devient celle-là : y a-t-il des lieux et des conditions qui puissent réduire les failles ? La notion même de communauté urbaine correspond-elle à une réalité observable ? atteignable ? ou au contraire à une utopie hors de portée ? La ville, dont la raison d’être est la rencontre des populations, peut-elle être entièrement conforme à sa vocation ou bien faut-il se résigner à vivre avec cet univers fracturé en inventant des espaces et des lieux permettant aux habitants de se rapprocher les uns des autres ?

2. Les chrétiens et la question de la Ville

Cette question est posée aux chrétiens qui ne sont pas démunis d’outils pour préserver l’idée d’une communauté urbaine. Car le christianisme est une religion urbaine, qui a éclos à Jérusalem, puis dans les villes d’Asie mineure, puis dans les métropoles qui sont devenues des évêchés, le christianisme s’étant «couché dans le lit de l’Empire romain». Par rapport à cela, le paysan est synonyme de païen, le christianisme se méfiant longtemps des cultes chtoniens vivaces dans les campagnes.

Sans doute la sémantique rurale est omniprésente dans la littérature chrétienne, tant dans le langage que dans la symbolique sacramentelle. Mais le thème de la Ville est très vivace, surtout dirigé sur l’image de la cité idéale (Jerusalem quae aedificatur ut civitas ). On y relève certaines dominantes : la sécurité et la paix,  la prospérité:  « Que la paix règne dans tes murs, la prospérité dans tes maisons » ; la cohérence d’ensemble de la ville fondée sur la loi et l’amour de Dieu « Jérusalem où tout ensemble fait corps » ; le rassemblement (cf. Pentecôte). Mais aussi le péché et les désordres (Babylone, Ninive). Voir à ce sujet le livre de J. Ellul, Sans feu ni lieu.

Malgré ces fondamentaux, la pensée sociale chrétienne est peu prolixe sur la question urbaine. Elle lui fait peu de place dans les grands textes fondateurs où le modèle rural est beaucoup plus présent, dans les grandes encycliques (notamment dans Mater et magistra). Seule, Octogesima adveniens  y consacre quelques paragraphes en début d’encyclique.

Corrélativement, le mot Ville figure dans le Compendium avec seulement trois renvois. Le terme Logement, seulement cinq renvois. Le terme Transports, seulement deux. Bref, tout ce qui touche à la communauté urbaine est très peu présent dans le résumé de la doctrine sociale de l’Église. Mais beaucoup de travaux ont été menés par ou avec des organisations chrétiennes, qui se sont souvent impliquées dans des travaux sur la ville, qu’il s’agisse du CCIC à l’Unesco, des revues comme Projet ou Esprit.

Précisément pour cette raison que plus de la moitié de l’humanité va désormais vivre dans un univers plus enclin à fabriquer de la fracture sociale et de la violence entre individus, le temps est sans doute opportun pour une réflexion qui reprendrait la réalité à construire d’une ville où l’homme se rapproche de l’homme, lui fasse toute sa place et sache se réconcilier avec lui quand l’injustice et l’incompréhension ont prévalu. Cette réflexion d’ensemble ne partirait pas de rien, mais n’éviterait pas un travail de fond sur le sens profond de la ville dans une perspective chrétienne. Ce qui suit propose quelques pistes, en s’appuyant sur le titre du Ps. 133, Habiter en frères tous ensemble…

Habiter  est terme riche du vocabulaire chrétien, qu’on peut rapprocher du sens de la « maison », avec les corrélats suivants, qui trouvent tous du sens dans la pensée sociale chrétienne : se loger et la question de l’accès au logement : question de dignité de la personne, mais aussi d’existence même puisque la plupart des droits sociaux sont attachés au logement, ne serait-ce qu’à l’adresse. La question de la propriété en découle aussi, qui facilite peut-être l’ancrage dans la durée.

Le logement suppose des conditions décentes, pré-requis pour respecter les droits fondamentaux de dignité et de santé. Il doit se situer dans un endroit « relié » : toute la question de l’accès au transport et à la communication ; dans un endroit agréable : question de la beauté (art, jardins, perspectives, ..) ; en sécurité : le terme parle de lui-même (autrefois, les remparts et les douves) ; dans des conditions financièrement supportables : question du contrat de location ; question de l’énergie, de la qualité du logement, de sa modernité. Supportables mais dignes, c’est-à-dire impliquant la responsabilité des acteurs (propriétaires comme locataires).

Il faudrait prendre un peu de temps pour montrer comment l’anthropologie chrétienne rapproche le sens de la vie et le sens de la maison. Regardons simplement comment l’Évangile ouvre la portée du sens de la maison. La culture biblique associe la maison et la famille (heureuse). Par ses miracles et ses enseignements, dont beaucoup ont pour cadre la maison privée, Jésus fait de la maison le lieu du pardon (enfant prodigue, …), de la guérison (centurion, …), de l’agapè (repas chez Simon, qui est à la fois agape et intégration de la femme adultère…), amour conjugal bien sûr (Cana), travail (chez Matthieu, ..). Un tel travail déboucherait sur la redécouverte de la nécessité d’une civilisation du prochain, qu’exprime le mot « frères ».
.
En frères  est une autre expression riche de sens, avec pour corrélats l’idée d’une communauté qui soit un bien commun : rôle du politique, quelle participation, …, ce qui pose la question de la démocratie urbaine ; où soient considérées comme préoccupations centrales la place et l’évolution de la famille : une politique erratique du logement peut contribuer à la dislocation de la famille ; mais se pose aussi la question de la femme qui à la ville peut évoluer dans des sens très différents : être réduite en esclavage pour aller chercher l’eau ou l’alimentation au loin dans les villes déstructurées ; travailler et s’investir dans des associations médiatrices, utiles pour la solidarité et la santé ; rechercher la maximisation de son intérêt personnel et perdre de vue son rôle de mère de famille ; …

La communauté urbaine suppose la possibilité de pouvoir se parler et grandir ensemble : l’école et la formation (voir Vocabulaire de Théologie biblique : éducation est dérivé de « frère »), car pour se rencontrer, il faut que les asymétries entre habitants soient réduites ; la possibilité de pouvoir compter les uns sur les autres et de s’épauler : toute la question de la solidarité, de la santé : pour cela, faut-il seulement se connaître ou se voir ; la possibilité de se pardonner ou de se sanctionner équitablement ; de donner les moyens à chacun de subvenir à ses besoins : travail, rôle de l’économie : ne pas craindre de créer de la richesse ; de se réjouir par la fête, les loisirs, le sport, …

Toutes ces attentes trouvent une réponse possible dans les espaces religieux : contrairement à ce qu’on attendait, la ville renforce la pratique religieuse, certes sous des formes nouvelles, parfois avec des aspects inquiétants (fondamentalisme ou sectes). Lieux et temps religieux sont désirés par des parties importantes des populations urbaines qui les ressentent comme des lieux de réduction des fractures diverses, chacun pouvant y devenir le gardien de son frère, développer le rôle des corps (cœurs ?!) intermédiaires, retrouvant le rôle de médiateur. Inutile de dire à quel point l’option préférentielle pour les pauvres se fait impérieuse quand on mesure qu’un milliard d’hommes vivent aujourd’hui dans ce qu’on appelle des taudis.

Pour nous, il ne s’agit de rien d’autre que de donner une impulsion nouvelle à une culture du prochain modernisée et adaptée à notre temps : le véritable apport du christianisme est d’impliquer une civilisation du prochain. C’est une culture qui n’est pas allée de soi, car, si l’Ancien Testament parle du prochain [uniquement dans le cadre du peuple de Yahvé], le sens n’en était pas bien clair, comme l’atteste la question du Scribe à Jésus. Le mot prochain, en grec, se dit plesios ; n’y a-t-il pas là la même racine sémantique que polis, la ville (racine Pla, Ple, Pol : être nombreux, qui a donné aussi ploutos, la richesse) ? L’anthropologie du prochain est capable de présenter une alternative crédible à la domination du néo-libéralisme utilitariste, brillamment décrit par le livre de Christian Laval, L’Homme économique. Et ceci, en remettant au goût du jour le service, la délicatesse, la « philadelphie sincère » que cite Xavier Léon-Dufour.

Cela implique de régénérer la notion de bien commun appliqué à la ville ; concept qui perd de sa capacité structurante, précisément à cause de la montée en puissance de l’individualisme, et du triomphe de l’intérêt personnel sur le bien collectif. C’est un concept qui nécessite sans doute une refondation philosophique, ce qui n’est pas tellement le sujet ici. Mais des déclinaisons concrètes dans les politiques municipales, qui mettent en évidence la primauté du bien commun sur l’intérêt personnel..

On ne fera pas l’économie d’une nécessaire diversité : la coexistence dans la ville de groupes humains très différents est inéluctable. Au lieu de ghettoïser ces groupes, comme on l’a fait, soit volontairement soit involontairement, il faut redécouvrir quel peut être l’apport d’une « biodiversité » humaine partout dans la ville. Prenons un exemple : si au lieu de regrouper les plus pauvres dans une zone déterminée, on veille à favoriser l’installation de familles aisées, on transforme la zone en territoire de ressources et en marché solvable, permettant l’installation de commerces, d’activités artisanales, … La mixité sociale est donc une piste à travailler.
On suggérerait volontiers de travailler sur la ville en multipliant les coopérations internationales (jumelages, projet ville à l’international, …) : il est clair que les villes de l’Occident rencontrent des problèmes, parfois violents ; mais leur situation reste favorable par rapport aux grandes « pseudopoles » du Tiers-Monde. La coopération entre grandes villes pour régler des questions similaires est une voie que les maires chrétiens des grandes villes pourraient explorer. Elle permettrait de réduire des tensions entre peuples qui se sont cristallisées avec l’Histoire, de se parler et de s’épauler dans la recherche d’un même but.
Les chrétiens ont un rôle à jouer pour que la ville ne demeure pas un agrandissement à l’infini de la maison du mauvais riche et du pauvre Lazare, où seule la mort délivre les pauvres de leurs peines, et où l’idéal de la Jérusalem où tout ensemble fait corps serait réservé à l’au-delà.

Hervé l’Huillier
Président d'Evangile et Société
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14 septembre 2007 5 14 /09 /septembre /2007 06:02
Introduction

     L´Union européenne s´accroît. Les nouveaux pays membres sont surtout les anciens membres du bloc des pays socialistes lequel s´est constitué en Europe après la Seconde Guerre mondiale. Ce bloc est souvent perçu comme un ensemble homogène. Mais on oublie qu’il est composé de pays très divers. Leur seule caractéristique commune réside dans le fait qu’ils ont appliqué le même modèle socialiste - un modèle qui par ailleurs a échoué. Ce modèle était basé sur l´idéologie du marxisme-léninisme, sur le rôle des dirigeants du parti communiste et de la classe ouvrière et sur le système économique de la planification centralisée.

     L’histoire de ces pays, leurs caractéristiques, leurs situations économiques et politiques, leurs niveaux achevés de démocratie avant la 2-eme Guerre mondiale étaient et demeurent toujours très différents. Leur admission  dans la Communauté Européenne est simplement due au fait qu’ils répondaient aux critères économiques fixés par l´Union. Les différences sont liées à la géographie, aux populations, au niveau économique, au coût horaire de la main d´œuvre, etc. Il faut ajouter que tous ces pays ouvrent leurs marchés aux produits européens d‘exportation, au capital financier, à la force du travail, aux idées nouvelles, à la technologie, au savoir-faire (know how), etc. 

     Les valeurs humanistes européennes sont des repères importants. Malheureusement le libéralisme "sauvage" a pénétré la société des pays ex-socialistes à la suite des changements dans les années 90´. On accentue l´individualisme et la recherche du profit personnel au détriment de la solidarité avec les proches. Les expressions telles que solidarité, syndicats, coopératives sont déconsidérées parce que perçues comme rappelant l´époque du socialisme.
 
     Dans tous les Etats du bloc post-socialiste il a été établie une base commune pour une société moderne de marché ainsi que pour l´introduction de la démocratie et de la société civile. La société civile est appelée à réfléchir collectivement à ce qui doit être entrepris "pour les gens et avec les gens". Cela est impossible si le dialogue est inexistant, en particulier le dialogue social. Il faudrait engager des discussions publiques sur ce sujet et aborder le contenu des valeurs, en donnant à chacun la capacité de penser et de réfléchir sur des objectifs tels que la démocratie, la liberté, la solidarité, la subsidiarité, la responsabilité. Tout doit être fondé sur les valeurs de liberté, mais il est nécessaire de déterminer pour qui et au nom de qui cette liberté s‘exerce. La liberté n´est pas quelque chose d‘illimité, elle doit être régulée dans un cadre qui respecte le libre arbitre de chacun.
            
     Si je vais parler de la situation actuelle dans les pays post-communistes, je dois déclarer en avant qu´il s´agit d´un témoignage personnel basé surtout dans mon expérience de la vie en Tchécoslovaquie. J´espère que les participants des autres pays post-communistes ajouteront leurs remarques et leurs expériences personnelles.


La réconciliation - est-elle possible?

     D´après la doctrine sociale de l´église le pardon et la réconciliation sont la seule base d´une vraie paix (Compendium, 517). Tous les fardeaux du passé demandent une réflexion des deux parties ce qui est un processus très difficile et de longue durée. De même - pour les gens de bonne volonté - il ne s´agit pas d´un processus lequel on ne pourrait pas achever.

     Le pardon ne signifie pas une négation de la justice (Compendium, 518).  En principe la réconciliation demande de renouveler la confiance entre les deux parties qui étaient en désaccord.

     La réconciliation est un terme assez ample. Les régimes précédents ont créé beaucoup d´injustice. On pourrait en parler pendant longtemps. Je vais limiter ma contribution  sur les problèmes de la réconciliation entre les:

1) ethniques et nations,
2) classes,
3) générations.


1 - Réconciliation entre les ethnies et les nations

     Pour bien comprendre aujourd´hui  les réactions des gens - très souvent nationalistes - il faut connaître l´histoire.

     Bien des pays post-communistes ont eu une histoire assez mouvementée dans le passé, souvent causée par leurs position géopolitique ayant des intérêts contradictoires avec les grandes puissances. Les pays baltiques souffraient sous la Russie, l´Allemagne, la Suède; les pays de l´Europe Centrale existaient sous l´Allemagne ou sous l´Empire Austro-Hongrois; les changements de frontières - si typiques p. ex. pour la Pologne – continuèrent de temps en temps et jusqu´à l´époque presque présente. Les transferts ethniques de la population (surtout celle qui appartenait aux minorités) n´étaient pas rares. C´était le résultat des guerres, des révolutions avec les atrocités, brutalités, duretés, haines etc. - mais aussi avec les pertes des vies humaines des parties d´ennemi. Il est donc difficile de re-établir la confiance, mais il est plus difficile encore d´établir la réconciliation.

Si l´on veut parler plutôt de la période récente on peut présenter p.ex. les problèmes des Roms (tsiganes) dans les Républiques Tchèque et Slovaque ou bien les problèmes avec la minorité russe en Estonie et dans les autres pays baltiques, la question du Sudetenland et les problèmes de la migration actuelle.


2- Réconciliation entre les classes

     Après la 2-eme guerre mondiale l´établissement du bloc socialiste a apporté un nouveau aspect politique et social : la lutte des classes au nom de grandes idées. Dans le processus de la construction du socialisme la nouvelle hiérarchie politique a commencé a exclure de la vie politique, économique et sociale les représentants de la bourgeoisie - les entrepreneurs, les riches, les koulaks, les ennemies de peuple. L´histoire bien connue de la Russie et de l´Union Soviétique des années 1920- 1930 s´est répétée - souvent avec la même brutalité - dans les années 1950.  Les membres de la classe bourgeoise étaient considérés en pratique comme les citoyens avec les droits limités; souvent ils n´avaient pas les droits des citoyens en ce qui concerne leurs accès a l´éducation supérieure, ils devaient être soumis a une "re-éducation" (en travaillant dans les chantiers socialistes, dans les mines ....).

     En supprimant "les ennemies de la classe ouvrière" (comme les ennemis du peuple) on a supprimé les propriétaires par la nationalisation de leurs entreprises. On a forcé les paysans de devenir - dans les années 50 - membres des co-opératives agricoles, les artisans devaient former les co-opératives de production et les petits marchands les coops de consommation. Après les changements du système politique, économique et social en 1989 on commençait a faire des restitutions (il s´agissait de réparer les injustices en rendant les propriétés confisquées soit d´une façon matérielle ou financière). Ce problème très difficile apportait bien des problèmes a la réconciliation "intérieure" dans la société.

     L´ancien régime supprimait aussi la sphère spirituelle et culturelle de la vie en monopolisant la théorie marxiste. On supprimait surtout la vie religieuse - on fermait les écoles des églises, on supprimait la vie des ordres, l´état contrôlait l´Eglise etc. Le processus d´athéisation a produit les résultats dans la vie actuelle - la restitution de la propriété de l´Église n´est pas résolue jusqu´à nos jours et la plupart de la population tchèque actuelle est considérée comme non-croyants.

     Dans tous les pays post-communistes si l´on parle de la réconciliation et du pardon, on se pose la question, comment peut-on régler son compte avec le passé. Les opinions sont différentes. P. ex. faut-il condamner ou même mettre en prison les juges et les surveillants des prisons communistes qui condamnaient et torturaient les prisonniers innocents dans une période éloignée déjà un demi-siècle? Quoi faire avec les dirigeants communistes de l´ancien régime qui sont vivant encore ?

Les ex-membres communistes sont-ils coupables de leurs responsabilités collectives avec l´ancien régime avec tous ces défauts? Il y en a beaucoup qui ont changé d’avis et leurs positions politiques et économiques en devenant entrepreneurs, membres des autres partis politiques (plutôt libérales de droit) et lesquels ont même pris la position de l´élite politique et économique actuelle de la nation.

     Un autre problème qui se pose : collaboration (quelques fois problématique) avec les organes de la Sécurité d´État (police politique communiste). Il y a les publications (officielles et non officielles aussi) des archives et des listes de collaborateurs; en fait, il s´agissait aussi des acteurs, savants, prêtres, personnalités bien connues. Quand ces gens demandent un verdict judiciaire, très souvent leurs collaboration est annulée; malheureusement il s´agit souvent seulement d´un effort superficiel. De l´autre coté les noms des vrais acteurs el collaborateurs de la police secrète y manquent. Cette situation complique la purification du climat éthique de la société, comme elle pourrait amener aux réflexions de culpabilité de chacun.

     Est-il possible de co-opérer avec le parti communiste présent pour créer les coalitions avec les partis démocratiques? On trouve les mots d´ordre: On ne parle pas avec les communistes - quelque fois diffusés par les gens qui profitaient de leurs appartenance au parti communiste dans le passé.


3/ Réconciliation entre les générations

     Un grand problème actuel pour nous est celui de la co-opération et de la compréhension entre les générations. Ce phénomène - connu aussi dans les pays développés - est lié à la décomposition de la famille et à la crise des valeurs. En ce qui concerne la réconciliation, dans les pays de l´Est on peut constater les différences dans l´approche des générations : il y a les gens avec un témoignage personnel du passé (surtout des événements de la guerre et de la période des années 50 avec le régime assez dur);  il y a les gens de l´âge moyen ( 50-60 ans) avec un témoignage par médiateurs souvent influencés par l´histoire interprétée d´une façon marxiste, selon les critères de la lutte des classes. Il y a la jeune génération qui ne connaît que la situation après les changements de 1989. En général les jeunes gens accusent les générations plus âgées d´avoir toléré l´ancien régime ou même d´avoir collaboré avec lui. C´est donc la responsabilité des "vieux" pour toutes les fautes et pour la situation économique et morale actuelle dont les défauts et manques sont réparables avec telles difficultés. De plus, on trouve même les opinions que les gens âgés ne méritent pas les pensions des retraités. D´après notre expérience la jeunesse reste toujours un peu révolutionnaire en observant la situation actuelle et le développement historique d´une manière très simplifiée n´admettant que les couleurs blancs et noirs, sans s´imaginer les conséquences des décisions.

     Dans les pays "post-communistes" les jeunes gens - qui ne connaissent plus le développement historique dans tout son contexte - ont encore un problème spécifique qui est différent de la société dans les pays ou il n´y avait pas du développement "révolutionnaire". Les générations plus âgées dans ces pays étaient victimes du régime communiste ; qui se révoltait était puni, (surtout dans les années 1950) la répression était très dure ; en plus, tout cela s´est déroulé seulement quelques années après l´occupation nazi, laquelle était caractérisée par la même brutalité.

     Bien sûr, on ne peut pas accepter le mal - ni au nom du libéralisme, de la liberté et des égalités des chances etc. Les chrétiens sont obligés d´identifier le mal et de lutter contre lui (lequel d´ailleurs peut résulter d´un libéralisme excessif - comme les avortements, les scènes de violence dans les média, la consommation de la drogue, ou les bouleversement de la conception de la famille etc.).

     D’un autre côté la question se pose : comment va-t-on considérer la jeune génération d´aujourd´hui - qui est au pouvoir économique et politique - pour l´endettement extraordinaire du pays et pour les mauvaises décisions économiques? (Il est intéressant de constater qu´à la fin du régime communiste les dettes de la Tchécoslovaquie étaient négligeables, on était plutôt dans la position du créditeur des pays du Tiers monde.)

     Aujourd´hui les jeunes s´endettent facilement, ce qui résulte de l’énorme  consumérisme actuel : carpe diem devient le slogan bien aimée et pratiqué. On peut d’ailleurs caractériser la situation par la phrase suivante : « Achetez ce dont vous n´avez pas besoin et pour cela vous n´avez pas des finances. Cette philosophie de vie peut produire les problèmes futurs entre les générations. 


Conclusions

     Les institutions d´éducation soit catholiques - soit chrétiennes ou bien religieuses de n´importe quelle dénomination - (Compendium - 532) doivent réaliser le service très apprécié de formation, en s´appuyant sur une inculturation du message chrétien. Ils doivent aider à cultiver les principes moraux de co-opération sociale dans n´importe quelles régions et sphères de culture et de profession.

     Il faut connaître la doctrine sociale chrétienne, il faut appliquer les principes qu´elle recommande et qui sont basés sur les expériences et sur la sagesse des siècles et millénaires. C´est le chemin pour la réconciliation et pour la création d’une société civile stabilisée.

Lidmila Němcová
Prague, République Tcheque
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14 septembre 2007 5 14 /09 /septembre /2007 05:59
« Si vous ne les tuez aujourd’hui, ce seront eux qui vous tueront demain » - c'était le message que les auditeurs de la Radio des Mille Collines au Rwanda écoutaient tous les jours, et après la radio diffusait des chansons religieuses. Ainsi on a commencé la préparation des massacres - d'abord on a inspiré de la peur, ensuite on a donné une justification quasi-religieuse aux meurtres.
Il parait que c'était Goebbels qui a inventé cette méthode – sa propagande antisémite inspirait aux Allemands la peur de riches Juifs assimilés, soupçonnés de gouverner l’Allemagne d’une manière secrète, ainsi que l’aversion pour les pauvres immigrés de la Russie, qui au niveau culturel étaient inférieurs aux Allemands moyens. Après une telle préparation on a fait un pogrome "Kristallnacht".

Il y avait aussi d'autres méthodes, également simples – par exemple en Yougoslavie, un groupe armé serbe arrivait à la maison d’un Serbe et lui ordonnait de tuer son voisin Croate – s’il s’opposait, on menaçait de tuer toute sa famille et lui même.

Aujourd’hui la peur règne au Proche-Orient. Il y a plusieurs causes de cette peur. Parfois ce sont les musulmans qui ont peur de la puissance et de la démoralisation de l’Ouest. Parfois ce sont des dictateurs qui ont peur des rebelles réellement existants ou inventés. Les Juifs qui ont peur des Arabes et à l’inverse. Les riches corrompus qui ont peur des pauvres humiliés. Les minorités qui ont peur des majorités. Les gens ordinaires qui ont peur des terroristes.
Nous y rencontrons aussi une humiliation omniprésente. Pourtant jadis les habitant de cette région pouvait se vanter d’une haute culture, plus développée que la culture européenne, et aujourd'hui ils sont méprisés.
Les sondages menés dans cette région montrent que les habitant du Proche Orient ne veulent que la paix el la vie tranquille. Mais c’est la majorité silencieuse. Ce sont les gens qui "ne possèdent pas de voix" ou qui ont peur de se prononcer et être accusés de la trahison et de la lâcheté.
Les télévisions – si elles le veulent ou pas – émettent toujours les mêmes images des manifestations et des luttes odieuses. Les informations positives, suscitant de l’espoir n’y sont présentes que très rarement.

Cependant la haine est toujours à la mode, parce qu’elle constitue une source précieuse d’énergie. J’ai vu une fois un film cubain concernant la guerre du Vietnam. Toutes les quelques minutes sur l'écran apparaissait un texte suivant: "La haine en tant qu'énergie". Quelle émouvante sincérité et simplicité!
A un certain niveau de la haine aucune politique raisonnable n’est possible – c’est l’hystérie qui règne. C'était ainsi aux temps d'Hitler, mais parfois aussi aujourd’hui. Est-il déjà ainsi au Proche-Orient ?

Peut-être pas encore – on y voit quelques signes du besoin de la raison – c’est pourquoi il faut prendre toutes les initiatives qui puissent mener à la raison. Et surtout il faut mener une action d’information. Une grande campagne est nécessaire, une grande propagande du bien.

Mais ce bien existe-t-il vraiment ? Evidemment, mais il faut le trouver et le montrer au monde.

Quand une affaire des caricatures de Mahomet avait éclaté j’ai téléphoné à plusieurs personnes dans les différents pays, afin d'obtenir des informations et conseils ce qu'il fallait faire, entre autres à l’évêque Rabban de Kurdystan iraquien. Je savais qu’ils mènent une école à laquelle fréquentent ensemble les enfants chrétiens et musulmans. Je demande alors ce qui se passe chez eux.  « Rien » - me répondit-il. Et comment vont les enfants? "Ils sont des amis comme toujours ». Et qu’est qu'il faut faire pour améliorer les relations avec des Musulmans? "Il faut les aimer" – me répondit-il.

Je sais que l’archimandrite Shoufani mène une école pareille à Nazareth et qu'elle a son école partenaire juive à Jérusalem.  Les professeurs et les élèves se rencontrent de temps en temps. Le dit Shoufani a organisé quelque chose d'extraordinaire: une rencontre de 500 Arabes et Juifs à Auschwitz. J'y ai participé et j’ai marché le long de la voie ferrée de Birkenau et les Arabes et les Juifs, tour à tour, ont lu les noms des victimes. Plus tard nous avons invité Shoufani et ses plus proches collaborateurs à Cracovie, où, dans une école supérieure menée par les jésuites, nous avons discuté sur les expériences du dialogue et la coopération.

A l’occasion de cette rencontre on a signée une Déclaration Européenne des Chrétiens, des Juifs et des Musulmans dans laquelle nous pouvons lire:
« Nous voulons bâtir une Europe au sein de laquelle seront respectées toutes les cultures et au sein de laquelle se réalisera un large consensus pour les valeurs fondamentales contenues dans le Décalogue. » Cette déclaration a été conjointement signée par les co-présidents de deux conseils : le Conseil polonais des Chrétiens et des Juifs et le Conseil Commun des Catholiques et des Musulmans en Pologne.

Il fallait bien ajouter ici que le prince El-Hassan, oncle du roi de Jordanie, a participé à la cérémonie d’inauguration de la synagogue rénovée à Oswiecim et que sur le grand marché de la vieille ville polonaise Gniezno avait eu lieu une célébration extraordinaire : les chrétiens priaient pour les juifs, pour les musulmans et pour l'Europe, tandis que les juifs priaient pour les chrétiens, pour les musulmans et pour l’Europe et les musulmans priaient pour les chrétiens, les juifs et l’Europe. C’était dans cette ville-là qu’il y a mille ans, l’empereur germanique Otto s’est rencontré avec le prince polonais Boleslas sur le tombeau de l’évêque tchèque Adalbert, tué par les Prusses - le tribu paÏen vivant au bord de la Mer Baltique. Les deux souverains ont prié ensemble et projeté l'avenir de l'Europe.
A l’occasion de la réouverture de la synagogue le prince Hassan a fait un beau discours, mais le président de l’Iran nie l’Holocauste. Et il n’est pas seul – presque tous les Perses pensent ainsi. Bien que cette situation change lentement : la Radio Libre Europe émet aussi des programmes en langue perse et est assez populaire. Il n’y a pas longtemps un journaliste iranien, séjournant à Prague, a fait avec moi un longue entretien sur Auschwitz et l’Holocauste. En plus, les étudiants polonais qui étudient en Iran ouvrent les yeux de leurs collègues, qui commencent à s’intéresser à Auschwitz.

Et l’ex-président d’Indonésie a organisé une grande rencontre avec des rabbins et a critiqué son ami, le président d’Iran. Dans le gouvernement local de Kurdystan iraquien, une fonction du ministre chargé de la promotion de la femme est remplie par une chrétienne, et un autre ministre chrétien dirige une télévision chrétienne qui diffuse des programmes en plusieurs langues.
Il est aussi intéressant de savoir que les soeurs de la congrégation Notre Dame de Sion, avec lesquelles nous coopérons, organisent les travaux d'un résau de groupes de chrétiens, juifs et musulmans.

On pourrait énumérer d’autres exemples. Mais ni les hommes politiques, ni les journalistes, ni « la majorité silencieuse » ne connaissent bien ces faits. C’est l’ignorance et la peur qui règnent.

Qu’est-ce qu’on peut faire, qu’est-ce qu’on doit faire ?

Notre Fondation en coopération avec la direction du Musée d’Auschwitz-Birkenau et la Commission Polonaise pour l’UNESCO, est en train de diffuser une enquête intitulée « Les jeunes sur le passé et l’avenir ». Nous y demandons quels sont les nouveaux dangers et les devoirs de jeunes et leur expériences. Sur notre site internet nous publions une série d’articles concernant les actions menées par les jeunes à Oswiecim (La ville d’Auschwitz) pendant la guerre et les réflexions de jeunes qui habitent dans cette ville aujourd’hui. Nous distribuons les disques CD avec ces articles.

Nous entrons en contact avec plusieurs écoles, organisations et médias. Cette année nous avons commencé la réalisation du programme « Le Trialogue pour l’Europe » qui consiste aux  rencontres et discussions des chrétiens, des juifs et des musulmans, que nous enregistrons et mettons sur l’internet. Nous croyons que ce programme devrait être élargi sur le Proche-Orient et réalisé aussi dans les langues de cette région.

Le Musée d’Auschwitz-Birkenau devrait aussi disposer d’un complet d’informations mises au jour dans ces langues.

Quel rôle peut y jouer AIESC ?

Je crois que nous devons modifier le système selon lequel nous agissons. Une activité dispersée de ses membres ne suffit pas, ce qui est nécessaire c'est un travail commun et continu. Des discours et conférences tenues dans les différents pays, pendant les différents congrès, ou bien publiés après des années et oubliés dans les bibliothèques ne suffissent pas non plus. Aujourd’hui nous avons besoin d’actions rapides et larges, qui unissent les bonnes théories aux bonnes pratiques, qui donnent la voix aux experts et aux gens ordinaires, parfois très sages et qui pourraient parvenir aux savants, aux étudiants et au grand public.

Il faut donc exploiter l’Internet en publiant sur des sites des discours savants (juste après qu’ils soient tenus) et en y mettant des expériences pratiques. Nous pouvons le faire tout de suite en forme de fichiers audio et ensuite en forme écrite. Dans quelques jours notre discussion sera disponible sur le site www.

Afin d’assurer une discussion plus profonde et plus pratique il faut publier dans l’Internet les thèses principales des discours avant leur présentation pendant le rencontre. Ainsi les participants seront mieux préparés et la discussion peut être plus efficace, avoir une continuation intéressante, s’enrichir et exercer une influence.

Quant au projet « Trialogue », je pense qu’il serait bien d’en discuter via Internet par exemple sur les sujets suivants :

-    Comment comprenons-nous la communauté ? Comment la pratiquons-nous ?
-    Economie sociale (qu'est ce que nous comprenons par la et comment nous la pratiquons? Ici les banques islamiques, microcrédits de Yunus
-    La crise de la société – les exclus
-    Le chômage – les théories, les gens
-    La crise de la famille
-    La haine criante ou rampante
-    Mondialisation –interdépendance et responsabilité partagée

Et à la fin la chose la plus urgente – notre livre, qui est une sorte de présentation de notre travail. Sans doute il faut le propager par tous les moyens. Peut-être il vaut la peine d’organiser de larges débats sur l'Internet autour de ses chapitres, avec la participation des experts, étudiants et activistes. Peut être faut-il penser déjà à la nouvelle édition contenant les résultats de ce débat sur le CD.

Stefan Wilkanowicz
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