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9 septembre 2009 3 09 /09 /septembre /2009 14:10
Introduction

Ce qu’il y a vraiment d’incroyable, lorsque l’on s’intéresse à la question de la pauvreté et du développement, c’est de constater la multitude de moyens mis en place pour la combattre. Depuis la création de l’ONU et de ses satellites (le FMI, le FAO, l’UNESCO, le HCR, le PAM, la FIDA et autres) jusqu’aux innombrables ONG qui arpentent la planète au profit de populations en détresse ou de causes à défendre, jamais autant de moyens financiers, matériels, humains ou techniques n’ont été déployés pour éradiquer les maux dont l’homme peut souffrir partout dans le monde. Dans les pays riches, qui ont leurs « nouveaux pauvres », il n'y a jamais eu autant de dépenses sociales et de prélèvements sociaux et fiscaux.
D’un certain côté, il faut se réjouir de voir  se multiplier toutes ces formes de solidarité active.
Depuis le Concile Vatican II l’Eglise n’a cessé de souligner, parmi les signes positifs de notre temps « le sens croissant et inéluctable de la solidarité de tous les peuples » .

Et pourtant, la pauvreté est toujours là ! Dans les pays riches même, on n’hésite pas à parler des « nouveaux » pauvres.

Malgré les nombreux moyens déployés, malgré la mise en place d’objectifs ambitieux et de financements toujours plus importants, il y a tous les jours des hommes et des femmes qui meurent de faim ou de soif, des populations qui sont déplacées, des enfants qui ne vont pas à l’école, etc. La pauvreté est invaincue. Ou au moins est-il illusoire de penser qu’en multipliant les moyens nous pourrons l’éradiquer totalement.
Comme le dit le pape Benoit XVI dans sa première encyclique : « Il y aura toujours de la souffrance, qui réclame consolation et aide. Il y aura toujours de la solitude. De même, il y aura toujours des situations de nécessité matérielle, pour lesquelles une aide est indispensable, dans le sens d’un amour concret pour le prochain.  ». Le Christ ne dit-il pas à ses apôtres :  « les pauvres, vous les aurez toujours avec vous » Mathieu 26-11

On en aura donc jamais fini !

C’est un des devoirs constant de l’Eglise et de tout chrétien de s’engager au quotidien auprès des plus pauvres :  «  L’amour du prochain, enraciné dans l’amour de Dieu, est avant tout une tâche pour chaque fidèle, mais il est aussi une tâche pour la communauté ecclésiale entière, et cela à tous les niveaux : de la communauté locale à l’Église particulière jusqu’à l’Église universelle dans son ensemble. L’Église aussi, en tant que communauté, doit pratiquer l’amour  ».
De la création de la diaconie (service de la charité) à l’affranchissement des esclaves en passant par des grandes figures de la charité comme Martin de Tours, François d’Assise, Ignace de Loyola, Jean de Dieu, Vincent de Paul, Pedro de Betthencourt, Jeanne Delanoue, Jean Bosco ou encore Teresa de Calcutta, l’Eglise a toujours eu le désir de se mettre au service des plus pauvres.

Et c’est précisément ce qui lui a été reproché.

De nombreux courants d’idées, amplifiés par la montée en puissance de la pensée marxiste au XIXe siècle ont fortement remis en cause l’action caritative de l’Eglise. En se complaisant dans leurs « bonnes œuvres », les chrétiens se donneraient bonne conscience !  Toute cette pensée reposait (et repose encore) sur un principe : les pauvres n’ont pas besoin de charité mais de justice. Au lieu de les maintenir dans leur situation en leur faisant la charité, il est préférable de se battre pour bâtir une société juste où chacun aura ce dont il a besoin.  Il y a un peu de vrai dans cette accusation…mais beaucoup de faux et  c’est ainsi que face à des situations et à des problèmes toujours nouveaux, s’est développée une doctrine sociale catholique qui, en 2004, a été présentée de manière organique dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, rédigé par le Conseil pontifical Justice et Paix.

C’est de ce rapport entre la pauvreté et l’Eglise dont il sera question ici.

Même « déconsidérée » à notre époque actuelle, la charité est au cœur de l’enseignement social chrétien. Dernier exemple en date, l’encyclique de Benoît XVI « Caritas in veritate » qui, en reprenant et en actualisant la pensée de son prédécesseur Paul VI, porte un regard particulièrement avisé sur notre époque et ouvre de nouvelles réflexions sur « la question cruciale du développement  intégral de l’humanité et de la mondialisation ». (Préface).

I/ Quelques principes de l’ESC

La doctrine sociale de l’Eglise propose des principes de réflexion qui doivent orienter notre action. Elle se soucie des aspects temporels du bien commun et s’efforce d’inspirer des attitudes justes dans les rapports aux biens terrestres et dans les relations socio-économiques.
A ce titre, elle ne peut pas être indifférente à la question de la pauvreté car il y a des systèmes, des organisations, des modes de fonctionnement qui conduisent  à la pauvreté et à la misère.
Dans certains cas, on peut même parler de « structure de péché » comme lorsqu’un état conditionne la distribution d’une aide alimentaire ou d’une allocation au contrôle des naissances de sa population. 
Par ailleurs, le Concile Vatican II souligne une dimension spécifique de la charité qui nous conduit, sur l'exemple du Christ, à aller en particulier à la rencontre des plus pauvres : "Comme le Christ... a été envoyé par le Père "pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir les coeurs meurtris" (Lc 4, 18), de même l'Eglise enveloppe de son amour tous ceux que la faiblesse humaine afflige. Bien plus, dans les pauvres et les souffrants elle reconnaît l'image de son fondateur pauvre et souffrant, elle s'efforce de soulager leur misère, et en eux c'est le Christ qu'elle veut servir ".

1-1/  l’amour préférentiel pour les pauvres :

Dans les textes du magistère un principe essentiel revient comme une lumière pour éclairer l’action des chrétiens au quotidien : l’amour préférentiel pour les pauvres. « C’est là une option ou une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Eglise. Elle concerne la vie de chaque chrétien en tant qu’il imite la vie du Christ, mais elle s’applique également à nos responsabilités sociales et donc à notre façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de manière cohérente au sujet de la propriété et de l’usage de biens  ».

1-2/ Des évolutions de l’Ancien au Nouveau Testament :

Il est intéressant de constater qu’il y a une réelle évolution de l’Ancien au Nouveau Testament sur cette question de la pauvreté. Dans l'Ancien Testament on voit se développer cette conviction humaine assez commune selon laquelle la richesse représente la juste récompense réservée à l'homme droit et qui craint Dieu: "Heureux l'homme qui craint Yahvé, et se plaît fort à ses préceptes... Opulence et bien-être en sa maison" (Ps 112, 3). La pauvreté est décrite comme une conséquence négative de l’oisiveté et d’un manque d’efficacité mais aussi comme un fait naturel ou une punition.


Mais, d'un autre point de vue, le pauvre devient l'objet d'une attention particulière en tant que victime d'une injustice. Les invectives des prophètes contre l'exploitation des pauvres sont célèbres (cf. Amos 2, 6-15). Le lien de la pauvreté avec l'injustice est également souligné dans Isaïe : "Malheur à ceux qui décrètent des décrets d'iniquité, qui écrivent des rescrits d'oppression pour priver les faibles de justice et frustrer de leur droit les humbles de mon peuple, pour faire des veuves leur butin et dépouiller les orphelins" (Is 10, 1-2). 

Cette relation explique également pourquoi abondent les lois en défense des pauvres et de ceux qui sont socialement plus faibles: "Vous ne maltraiterez pas une veuve ni un orphelin. Si tu le maltraites et qu'il crie vers moi, j'écouterai son cri" (Ex 22, 21-22).

Défendre le pauvre, c'est donc honorer Dieu, père des pauvres.

C'est pourquoi la générosité à leur égard est justifiée et recommandée. Mieux même : on peut constater en approfondissant ce thème de la pauvreté dans l’Ancien Testament, que celle-ci assume peu à peu une valeur religieuse. Dieu parle de "ses" pauvres : « Cieux, réjouissez-vous. Terre, sois dans l’allégresse ! Montagnes, éclatez en cris de joie ! car l’Eternel console son peuple. Il a pitié de ses malheureux » (Is 49, 13) Isaïe, dans le célèbre texte concernant le surgeon qui naîtra de la souche de Jessé, dit également que le futur Messie  prendra à coeur les pauvres et les opprimés : "Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays" (Is 11, 4).

1-3/ La pauvreté évangélique

Dans le Nouveau Testament, le Christ annonce aux pauvres l'heureux message de la libération en appliquant à sa personne la prophétie du Livre d'Isaïe : "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur." Le Christ vient instaurer le « Règne de Dieu ». Son Règne perfectionne la bonté originelle de la création et de l’activité humaine, compromise par le péché. Libéré du mal par le Christ les hommes peuvent donc poursuivre l’œuvre de Jésus avec l’aide de son Esprit : rendre justices aux pauvres, affranchir les opprimés, consoler les affligés, rechercher un nouvel ordre social qui offre des solutions appropriées à la pauvreté matérielle.
La pauvreté "évangélique" implique donc toujours un grand amour envers les plus pauvres de ce monde. On peut s’en convaincre à travers l’Evangile des béatitudes (Matthieu, 4, 23), mais aussi dans la pauvreté vécue par le Christ et dans son attention permanente aux pauvres.

1-4/ Mais qui est le pauvre ?

Cet amour des pauvres ne s’étend pas seulement à la pauvreté matérielle, mais aussi aux nombreuses formes de pauvreté culturelle et religieuse. Dans « Centésimus annus » le pape Jean-Paul II rappelle que :  « Dans les pays occidentaux, il y a la pauvreté aux multiples formes des groupes marginaux, des personnes âgées et des malades, des victimes de la civilisation de consommation et, plus encore, celle d'une multitude de réfugiés et d'émigrés ; dans les pays en voie de développement, on voit poindre à l'horizon des crises qui seront dramatiques si l'on ne prend pas en temps voulu des mesures coordonnées au niveau international » . 
Pour Benoît XVI, il faudrait d’ailleurs élargir ce concept de la pauvreté et du sous-développement « aux questions liées à l’accueil de la vie, surtout là où celle-ci est de diverses manières refusées » 
C’est pourquoi il est intéressant, pour terminer, cette partie de revenir à la parabole du bon Samaritain (Lc 10, 25-37) dans laquelle un docteur de la loi demande à Jésus :  « Qui est mon prochain ? ». A quoi le Christ, après avoir raconté la parabole retourne la question :  « A ton avis, lequel des trois s’est fait le prochain de l’homme qui a été victime des bandits ? » Ce qui veut dire que notre prochain s’impose à nous. C’est l’autre, tout l’autre. Je dois entendre son cri, me laisser guider par son appel, faire taire mes griefs ou mes a priori car « il » m’appelle. Dans le blessé sur le bord du chemin, le Samaritain a vu un frère et non pas un ennemi, un homme souffrant qui avait la même dignité que lui et qui avait besoin de lui.
En fait, on peut ergoter indéfiniment pour savoir qui est notre prochain, l’enfermer dans des définitions précises (par exemple limiter sa conception du prochain au « pauvre économique » ou à la personne handicapée) et au bout du compte exclure toutes les pauvretés qui nous environnent et qui n’entrent pas dans nos critères (l’enfant qui pourrait naître avec un handicap ).
L’exemple est un peu basique mais nous avons connu en France dans la même année le Tsunami et la canicule. Dans le premier cas, on a assisté à une collecte de fonds sans équivalent pour soulager la misère de populations lointaines touchées par ce cataclysme, dans le second cas, plusieurs milliers de personnes âgées, vivants à proximité de nous, sont mortes parce qu’il n’y avait pas un voisin pour les visiter, faire leurs courses ou tout simplement s’assurer de leur situation…
Ainsi, comme l’écrit Benoît XVI « la parabole du Bon Samaritain demeure le critère d’évaluation, elle impose l’universalité de l’amour qui se tourne vers celui qui est dans le besoin, rencontré «par hasard» (cf. Lc 10, 31), quel qu’il soit. » 

II/ Quelques paradoxes…

Dans la deuxième partie de cet exposé, il m’a semblé nécessaire de revenir sur quelques paradoxes apparents qui troublent quelques fois le regard (même celui de ceux qui s’intéressent de près à l’enseignement social chrétien).
Pardon pour leur « naïveté » mais à la lecture des textes du magistère et au fil de ma réflexion, ils me sont apparus comme autant de questions que tout un chacun peut se poser. Leur éclairage, celui que je vous propose en tout cas, peut permettre de répondre aux interrogations de ceux qui nous entourent où même nous donner l’occasion d’approfondir nos propres engagements au service des plus pauvres.

2-1/ Comment l’Eglise peut-elle nous encourager dans le même temps à être pauvre et à lutter contre la pauvreté !

Toute la pensée de l’Eglise nous enseigne la pauvreté. Pauvreté qui est d’ailleurs elle-même recherchée par le Christ lors de sa vie terrestre. Pauvreté qui, parce qu’elle est acceptée, est un moyen de le rejoindre « tout ce que vous aurez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait ». (Mat. 25, 44). Considérant même le privilège qui est donné aux pauvres dans l’Evangile, la doctrine sociale de l’Eglise réaffirme à plusieurs reprises que :  « les plus favorisés doivent renoncer à certains de leurs droits, pour mettre avec plus de libéralité leurs biens au service des autres.»
Dans le même temps, l’Eglise ne cesse de nous pousser à réduire la pauvreté qui est autour de nous. Tous les grands saints, toutes les grandes œuvres de l’Eglise tournent autour de cela : comment soulager la misère qui est autour de nous ? Comment aider ceux qui ont faim ou soif  ? Comment venir en aide aux plus petits ?
Le Concile Vatican II souligne une dimension spécifique de la charité qui nous conduit à aller à la rencontre des plus pauvres: "Comme le Christ... a été envoyé par le Père "pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir les coeurs meurtris" (Lc 4, 18), "chercher et sauver ce qui était perdu" (Lc 19, 10). De même l'Eglise enveloppe de son amour tous ceux que la faiblesse humaine afflige. « … dans les pauvres et les souffrants elle reconnaît l'image de son fondateur pauvre et souffrant, elle s'efforce de soulager leur misère, et en eux c'est le Christ qu'elle veut servir."
En fait, le paradoxe soulevé n’est qu’apparent.
Tout d’abord parce qu’en en nous encourageant à lutter contre la pauvreté, l’Eglise nous appelle à la justice et à la charité.

- A la justice parce qu’il faut donner à chacun ce qui lui est dû. Et ce qui lui est dû, ce sont d’abord les moyens nécessaires à sa subsistance et à celle des siens, ce sont des conditions de vie décentes, un travail qui lui permette de gagner sa vie honnêtement, la liberté religieuse, etc.

- Mais la charité va plus loin. Comme le dit si bien saint Grégoire le Grand « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne faisons pas pour eux des dons personnels, mais nous leur rendons ce qui est à eux. Plus qu’accomplir un acte de charité, nous accomplissons un devoir de justice. »  C’est pourquoi, l’Eglise nous encourage à aller plus loin à travers la charité. La charité implique l’amour, elle est un don de soi qui nécessite toujours plus qu’un acte simple (mais nécessaire) de justice : « La participation profonde et personnelle aux besoins et aux souffrances d’autrui devient ainsi une façon de m’associer à lui…je dois lui donner non seulement quelque chose de moi, mais moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne » . Ainsi pouvons-nous nous rapprocher de l’amour du Christ qui est l’Amour total, le don absolu. On voit ainsi qu’en nous encourageant à lutter contre la pauvreté, l’Eglise nous conduit  à vivre de l’amour du Christ.

Par ailleurs, en nous enseignant la pauvreté, le Christ nous montre le chemin qui nous conduit vers lui. Si elle est librement consentie et acceptée, la pauvreté devient un moyen pour suivre le Christ, qui, comme le rappelle Paul aux Corinthiens, "pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté" (2 Co 8, 9).

Enfin, est pauvre celui qui, constatant sa propre insuffisance, est davantage disposé à l’espérance.

On trouve de nombreux passages de cette espérance des pauvres dans l’Evangile. Ils savent le mal qui les habite ou la maladie dont ils souffrent et ils s’en remettent au Christ pour les guérir ou les sauver. C’est cette simplicité, cet abandon, cette foi que nous demande Jésus et qui est plus difficilement possible lorsque l’on est dans la richesse et l’abondance. Le jeune homme riche de l’Evangile qui voulait en héritage la vie éternelle n’a pas consenti à se dépouiller « car il avait de grands biens » (Marc, 10, 17-30).

On comprend mieux, à travers ces quelques éléments la simple apparence du paradoxe.

En nous demandant de lutter contre la pauvreté et à devenir pauvre nous-même, l’Eglise nous parle de pauvretés différentes : la première qui est subie par les hommes de tous les temps doit être combattue au nom de la dignité même de la personne humaine. La seconde est acceptée et choisie. C’est «l’esprit de pauvreté » qui fait l’objet d’une béatitude de la part du Christ et qui est le bon usage des biens qui sont à notre disposition pour aller vers Dieu. L’esprit de pauvreté qui, quels quel soient nos richesses matérielles, est un chemin spirituel grâce auquel on peut se procurer la véritable richesse, c'est-à-dire « un trésor inépuisable dans les cieux » (cf. Lc 12, 32-34)

En fait, le paradoxe apparent soulève une vérité extraordinaire : c’est en donnant sa vie qu’on la trouve. C’est en rejoignant le Christ dans la pauvreté des hommes que l’on découvre sa propre pauvreté et que l’on accepte plus facilement de s’en remettre à Lui.

2-2/ Comment vivre « l’option préférentielle pour les pauvres » et défendre la propriété privé

Un deuxième paradoxe souvent mis en évidence, est significatif des critiques entendues contre l’Eglise. En effet, bien qu’elle nous demande de nous dépouiller pour nous mettre sur les pas du Christ, l’Eglise renouvelle constamment à travers ses différentes encycliques sociales son attachement à la propriété privé.
Autrement dit, comment peut-on posséder quelque chose et être pauvre ? A quoi sert-il de défendre un droit à la propriété si l’on nous encourage à ne pas en avoir ? Comment vivre « l’option préférentielle pour les pauvres » et défendre la propriété privé ?
La encore, le paradoxe n’est qu’apparent.

La première raison c’est que c’est une erreur d’avoir interprété cette « option préférentielle pour les pauvres » comme un programme politique permettant d’opposer les riches et les pauvres dans une espèce de lutte des classes. C’est même tout le contraire puisque c’est précisément en se faisant un devoir de venir en aide aux plus pauvres que nos sociétés pourront éviter toute forme de lutte des classes. Elles se donnent ainsi les moyens de réduire les conflits qui menaceraient à terme la sécurité et le bien être matériel de tous les membres de la société.
En fait, ce droit fondamental pour l’autonomie et le développement de la personne qu’est la propriété est subordonné à la destination universelle des biens.
Ce qui veut dire que s’il est bon de favoriser le droit à la propriété pour que chacun possède ce dont il a besoin pour vivre, il « y a un certain dû à l’homme, en raison de son éminente dignité » . En effet, celui qui possède des biens et qui fait semblant de ne pas voir la misère qui l’entoure a oublié que toute propriété a une destination universelle qui va au-delà de sa satisfaction personnelle. La parabole du riche et de Lazare est là pour nous le rappeler (Luc 16, 19-31).
Pour résumer, il faudrait dire que la légitimité de la propriété repose sur la distinction entre le pouvoir de gérer et de disposer et le pouvoir et le devoir de faire un bon usage de ses biens.
Dans cet esprit, on est loin de l’assistance des structures étatiques qui s’est pourtant considérablement développée quitte à se substituer aux initiatives privés et à déresponsabiliser les  sociétés. Il semble en effet « que les besoins soient mieux connus par ceux qui en sont plus proches ou qui savent s'en rapprocher, et que ceux-ci soient plus à même d'y répondre. On ajoutera que souvent certains types de besoins appellent une réponse qui ne soit pas seulement d'ordre matériel mais qui sache percevoir la requête humaine plus profonde » .
C’est ce que Jean-Paul II appelle la pratique de la solidarité qui est pleinement valable lorsque dans une société ceux « qui ont plus de poids, disposant d’une part plus grande de biens et de services communs, se sentent responsables des plus faibles et sont prêts à partager avec eux ce qu’ils possèdent.. De leurs côtés, les plus faibles, dans la même ligne de solidarité  ne doivent pas adopter une attitude purement passive ou destructrice du tissu social, mais…faire ce qui leur revient pour le bien de tous.» 

La deuxième raison, c’est que le droit à la propriété ne peut se comprendre que dans la perspective d’un développement de la propriété. Il appartient à l’homme qui a reçu mission de dominer la terre de faire fructifier la terre et tout ce qui s’y trouve au service des autres. Car « la vie économique n’est pas un jeu à somme nulle ou chacun gagne ce que l’autre perd. La vraie économie est celle qui permet une création de richesses, profitant à tous, dans laquelle il y a un échange et deux gagnants, parce que quelque chose a été créé à cette occasion » . C’est dans cet esprit que la propriété privée trouve sa signification « car l’homme est ainsi fait que la pensée de travailler sur un fonds qui est à lui redouble son ardeur et son application »

Option préférentielle pour les pauvres et propriété privée ne s’opposent donc pas. L’une est subordonnée à l’autre.

Conclusion

En conclusion, s’il est clair qu’un lien fort existe entre l’enseignement social chrétien et la pauvreté il doit s’exprimer pleinement à travers ce rapport entre la charité et la vérité que le Saint père nous invite à méditer dans sa dernière encyclique.

Comment aimer mon prochain, le plus pauvre, sans le connaître lui, sa pauvreté et la mienne ? Comment pourrais-je le connaître en vérité si, au-delà de mon intelligence ou de mon savoir, je ne suis pas capable de le rejoindre dans sa pauvreté en l’aimant de cet amour de bienveillance que le Christ porte sur chacun d’entre nous.

Jean Vanier, le fondateur de la Communauté de l’Arche, ne cesse de parler du lien nécessaire entre l’intelligence et le cœur. « L’essentiel est invisible pour les yeux », nous dit le Petit Prince, « on ne voit bien qu’avec le cœur ».
Le cœur qui est éclairé par le savoir et par l’intelligence, l’intelligence qui s'inscrit dans une compréhension claire des priorités à considérer quand on vise d'abord le développement intégral des personnes.

Ainsi doit-on penser que « le savoir humain est insuffisant et les conclusions des sciences ne pourront pas, à elles seules, indiquer le chemin vers le développement intégral de l’homme. Il est toujours nécessaire d’aller plus loin: l’amour dans la vérité le commande. Aller au-delà, néanmoins, ne signifie jamais faire abstraction des conclusions de la raison ni contredire ses résultats. Il n’y a pas l’intelligence puis l’amour: il y a l’amour riche d’intelligence et l’intelligence pleine d’amour. »

Pierre Collignon
directeur de l'IRCOM
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